Page images
PDF
EPUB

gneur Fabrice Colonne, capitaine de la ville, ayant commencé à parlementer de dessus un bastion, et ses gents faisants plus molle garde, les nostres s'en emparerent et meirent tout en

pieces. Et de plus fresche memoire, à Yvoy, le seigneur Iulian Rommero ayant faict ce pas de clerc, de sortir pour parlementer avecques monsieur le connestable, trouva au retour sa place saisie. Mais à fin que nous ne nous en allions pas sans revenche, le marquis de Pesquaire assiegeant Genes, où le due Octavian Fregose commandoit soubs nostre protection, et l'accord entre eulx ayant esté poulsé si avant, qu'on le tenoit pour faict; sur le point de la conclusion, les Espaignols s'estants coulés dedans, en userent comme en une victoire planiere 2. Et depuis, à Ligny en Barrois, où le comte de Brienne commandoit, l'empereur l'ayant assiegé en personne, et Bertheville, lieutenant dudict comte, estant sorty pour parlementer, pendant le parlement la ville se trouva saisie 3.

Fù il vincer sempremai laudabil cosa, Vincasi o per fortuna, o per ingegno 4, disent ils mais le philosophe Chrysippus n'eust pas esté de cet advis; et moy aussi peu : car il disoit que ceulx qui courent à l'envy doibvent bien employer toutes leurs forces à la vistesse, mais il ne leur est pourtant aulcunement loisible de mettre la main sur leur adversaire pour l'arrester, ny de luy tendre la iambe pour le faire cheoir 5. Et plus genereusement encores ce grand Alexandre à Polypercon, qui luy suadoit de se servir de l'advantage que l'obscurité de la nuict luy donnoit pour assaillir Darius : «< Point, dict il, ce n'est pas à moy de chercher des victoires desrobbees: malo me fortunæ pœniteat, quam victoriæ pudeat 6.

[ocr errors]

Atque idem fugientem haud est dignatus Oroden Sternere, nec iacta cæcum dare cuspide vulnus : Obvius, adversoque occurrit, seque viro vir Contulit, haud furto melior, sed fortibus armis 7.

1 Yvoy ou Carignan, petite ville de l'ancien Luxembourg français (département des Ardennes), sur la rivière de Chiers, à quatre lieues de Sedan. J. V. L.

2 Mémoires de MARTIN DU BELLAY, liv. II, fol. 57, vers. C. 3 Mémoires de GUILLAUME DU BELLAY, liv. IX, fol. 495. C. 4 Que la victoire soit due au hasard ou à l'habileté, elle est toujours glorieuse. ARIOSTO, cant. XV, v. 1.

5 CICERON, de Offic. III, 10. C.

6 J'aime mieux avoir à me plaindre de la fortune, qu'à rougir de ma victoire. QUINTE-CURCE, IV, 13.

7 Le fier Mézence ne daigne pas frapper Orode dans sa fuite, ni lancer un dard que l'œil de son ennemi ne puisse voir partir; il le poursuit, l'atteint, l'attaque de front; ennemi de la ruse, il veut vaincre par la seule valeur. VIRGILE Énéide, X, 752.

CHAPITRE VII.

Que l'intention iuge nos actions. obligations. I'en sçay qui l'ont prins en diverse La mort, dict on, nous acquitte de toutes nos façon. Henry septiesme, roy d'Angleterre, feit composition avec dom Philippe, fils de l'empereur Maximilian, ou, pour le confronter plus cinquiesme, que ledict Philippe remettroit entre honnorablement, pere de l'empereur Charles ses mains le duc de Suffole de la Rose blanche, Païs Bas, moyennant qu'il promettoit de n'atson ennemy, lequel s'en estoit fuy et retiré au tenter rien sur la vie dudict duc: toutesfois, venant à mourir, il commanda par son testament à son fils, de le faire mourir soubdain aprez qu'il seroit decedé. Dernierement, en cette tragedie que le duc d'Albe nous feit veoir à Bruxelles ez tout plein de choses remarquables; et entre aulcomtes de Horne et d'Aiguemond 2, il y eut tres, que le comte d'Aiguemond, soubs la foy et asseurance duquel le comte de Horne s'estoit venu rendre au duc d'Albe, requit avec grande instance qu'on le feist mourir le premier, à fin que sa mort l'affranchist de l'obligation qu'il avoit audict comte de Horne. Il semble que la mort n'ayt point deschargé le premier de sa foy donnee, et que le second en estoit quitte, mesme sans mourir. Nous ne pouvons estre tenus au delà de nos forces et de nos moyens; à cette cause, parce que les effects et executions ne sont aulcunement en nostre puissance, et qu'il n'y a rien à bon escient en nostre puissance, que la volonté; en celle là se fondent par necessité et s'establissent toutes les reigles du debvoir de l'homme : par ainsi le comte d'Aiguemond tenant son ame et volonté endebtee à sa promesse, que la puissance de l'effectuer ne feust pas en ses mains, estoit sans doubte absouls de son debvoir, quand il eust survescu le comte de Horne. Mais le roy d'Angleterre faillant à sa parole par son intention, ne se peult excuser pour avoir retardé iusques aprez sa mort l'execution de sa desloyauté; non plus que le masson de Herodote3, lequel ayant loyalement conservé durant sa vie le secret des thresors du roy d'Aegypte son maistre, mourant le descouvrit à ses enfants.

1 Mémoires de MARTIN DU BELLAY, liv. I, fol. 9. C.

bien

2 Philippe II de Montmorency-Nivelle, comte de Horn, et Lamoral, comte d'Egmond, décapités le 4 juin 1568. J. V. L 3 L'architecte du trésor de Rhampsinite. HÉRODOTE, II, 121 J. V. L.

l'ay veu plusieurs de mon temps, convaincus | L'ame qui n'a point de but estably, elle se perd: par leur conscience retenir de l'aultruy, se dis- car, comme on dict, c'est n'estre en aulcun

poser à y satisfaire par leur testament et aprez❘ lieu, que d'estre par tout.
leur decez. Ils ne font rien qui vaille, ny de
prendre terme à chose si pressante, ny de vou-
loir restablir une iniure avecques si peu de leur
ressentiment et interest. Ils doibvent plus du
leur; et d'autant qu'ils payent plus poisamment
et incommodeement, d'autant en est leur satis-
faction plus iuste et meritoire: la penitence de-
mande à charger. Ceulx là font encores pis, qui
reservent la declaration de quelque haineuse vo-
lonté envers le proche, à leur derniere volonté,
l'ayants cachee pendant la vie; et montrent avoir
peu de soing du propre honneur, irritants l'of-
fensé à l'encontre de leur memoire, et moins
de leur conscience, n'ayants, pour le respect de
la mort mesme, sceu. faire mourir leur malta-
lent, et en estendants la vie oultre la leur. Ini-
ques iuges, qui remettent à iuger alors qu'ils n'ont
plus cognoissance de cause. Ie me garderay, si
ie puis, que ma mort die chose que ma vie n'ayt
premierement dict, et apertement.

Quisquis ubique habitat, Maxime, nusquam habitat 1. Dernierement que ie me retiray chez moy, deliberé, autant que ie pourroy, ne me mesler d'aultre chose que de passer en repos et à part pouvoir faire plus grande faveur à mon esprit, ce peu qui me reste de vie; il me sembloit ne que de le laisser en pleine oysifveté s'entretenir soy mesme, et s'arrester et rasseoir en soy, ce ayseement, devenu avecques le temps plus que i'esperoy qu'il peust meshuy faire plus poisant et plus meur: mais ie treuve, comme

CHAPITRE VIII.

De l'oysifveté.

Comme nous veoyons des terres oysifves, si elles sont grasses et fertiles, foisonner en cent mille sortes d'herbes sauvages et inutiles, et que pour les tenir en office, il les fault assubiectir et employer à certaines semences pour nostre service; et comme nous veoyons que les femmes produisent bien toutes seules des amas et pieces de chair informes, mais que pour faire une generation bonne et naturelle, il les fault embesongner d'une aultre semence: ainsin est il des esprits; si on ne les occupe à certain subiect qui les bride et contraigne, ils se iectent desreglez, par cy par là, dans le vague champ des imaginations,

Sicut aquæ tremulum labris ubi lumen ahenis
Sole repercussum, aut radiantis imagine lunæ,
Omnia pervolitat late loca; iamque sub auras
Erigitur, summique ferit laquearia tecti1;

et n'est folie ni resverie qu'ils ne produisent en
cette agitation.

Velut ægri somnia, vanæ

Finguntur species 2.

Ainsi, lorsque dans un vase d'airain une onde agitée réfléchit l'image du soleil ou les pàles rayons de Phébé, la lumière voltige incertaine, monte, descend, et frappe les lambris de ses mobiles reflets. VIRGILE, Énéide, VIII, 22.

2 Se forgeant des chimères, qui ressemblent aux songes d'un malade. HORACE, Art poétique, V. 7.

2

Variam semper dant otia mentem 3,

qu'au rebours, faisant le cheval eschappé, il se donne cent fois plus de carriere à soy mesme qu'il n'en prenoit pour aultruy; et m'enfante tant de chimeres et monstres fantasques les uns sur les aultres, sans ordre et sans propos, que pour en contempler à mon ayse l'ineptie et l'estrangeté, l'ay commencé de les mettre en roolle, esperant avecques le temps luy en faire honte à luy mesme.

CHAPITRE IX.

Des menteurs.

Il n'est homme à qui il siese si mal de se mesler de parler de memoire; car ie n'en recognoy quasi trace en moy; et ne pense qu'il y en ayt au monde une aultre si merveilleuse en defaillance. I'ay toutes mes aultres parties viles et communes; mais en cette là, ie pense estre singulier et tres rare, et digne de gaigner nom et reputation. Oultre l'inconvenient naturel que i'en souffre (car certes, veu sa necessité, Platon a raison de la nommer une grande et puissante deesse 4), si en mon païs on veult dire qu'un homme n'a point de sens, ils disent qu'il n'a point de memoire; et quand ie me plains du default de la mienne 5 ils me reprennent et

[ocr errors]

I MARTIAL, 1. VII, épig. 72. Montaigne a traduit ce vers avant de le citer. C.

2 Désormais; meshuy, pour mais huy, du latin magis hodie. E. J.

3 Dans l'oisiveté, l'esprit s'égare en mille pensées diverses. LUCAIN, IV, 704.

4 PLATON, Critias, pag. 1100, A, édition de Francfort. 1602. J. V. L.

5 Il s'en plaint encore au chapitre 17 du second livre. Malebranche et quelques autres l'accusent d'avoir prétendu faussement qu'il n'avait pas de mémoire. (Voyez surtout Baudius, not. ad Iamb. lib. II, Leyde, 1607.) Ils en donnent pour preuve ses nombreuses citations. Mais outre qu'elles ne sont pas toujours exactes, et qu'il lui arrive de se contredire, même

mescroyent, comme si ie m'accusoy d'estre insensé ils ne veoyent pas de chois entre memoire et entendement. C'est bien empirer mon marché ! Mais ils me font tort; car il se veoid par experience, plustost au rebours, que les memoires excellentes se ioignent volontiers aux iugements debiles. Ils me font tort aussi en cecy, qui ne sçay rien si bien faire qu'estre amy, que les mesmes paroles qui accusent ma maladie, representent l'ingratitude; on se prend de mon affection à ma memoire; et d'un default naturel, on en faict un default de conscience: « Il a oublié, dict on, cette priere ou cette promesse : Il ne se souvient point de ses amis: Il ne s'est point souvenu de dire, ou faire, ou taire cela, pour l'amour de moy. » Certes, ie puis ayseement oublier: mais de mettre à nonchaloir la charge que mon amy m'a donnee, e ne le fois pas. Qu'on se contente de ma misere, sans en faire une espece de malice, et de la malice autant ennemie de mon humeur !

Ie me console aulcunement : Premierement, sur ce, Que c'est un mal duquel principalement i'ay tiré la raison de corriger un mal pire, qui se feust facilement produict en moy, sçavoir est l'ambition; car cette defaillance est insupportable à qui s'empestre des negociations du monde Que, comme disent plusieurs pareils exemples du progrez de nature, elle a volontiers fortifié d'aultres facultez en moy à mesure que cette cy s'est affoiblie; et iroy facilement couchant et alanguissant mon esprit et mon iugement sur les traces d'aultruy, sans exercer leurs propres forces, si les inventions et opinions estrangieres m'estoient presentes par le benefice de la memoire : Que mon parler en est plus court; car le magasin de la memoire est volontiers plus fourny de matiere que n'est celuy de l'invention. Si elle m'eust tenu bon, i'eusse assourdy touts mes amis de babil, subiects esveillants cette telle quelle faculté que i'ay de les manier et employer, eschauffants et attirants mes discours. C'est pitié : ie l'essaye par la preuve d'aulcuns de mes privez amis; à mesure que la memoire leur fournit la chose entiere et presente, ils reculent si arriere leur narration, et la chargent de tant de vaines circonstances, que si le conte est bon, ils en estouffent la bonté; s'il ne l'est pas, vous estes à en ne citant pas, ceux qui ont écrit savent, comme moi, qu'il ne faut pas beaucoup de mémoire pour citer, et citer souvent. A faulte de memoire naturelle, dit l'oublieux Montaigne, i'en forge de papier (liv. III, chap. 13): voilà tout le secret. J V. L.

les

mauldire ou l'heur de leur memoire, ou le malheur de leur iugement. Et c'est chose difficile de fermer un propos et de le coupper depuis qu'on est arrouté 1; et n'est rien où la force d'un cheval se cognoisse plus, qu'à faire un arrest rond et net. Entre les pertinents mesmes, i'en veoy qui veulent et ne se peuvent desfaire de leur course ce pendant qu'ils cherchent le poinct de clorre le pas, ils s'en vont balivernant et traisnant comme des hommes qui defaillent de foiblesse. Sur tout les vieillards sont dangereux, à qui la souvenance des choses passees demeure, et ont perdu la souvenance de leurs redictes : i'ai veu des recits bien plaisants devenir tres ennuyeux en la bouche d'un seigneur, chascun de l'assistance en ayant esté abbreuvé cent fois.

Secondement, qu'il me souvient moins des offenses receues, ainsi que disoit cet ancien2: il me fauldroit un protocolle; comme Darius, pour n'oublier l'offense qu'il avoit receue des Atheniens, faisoit qu'un page, à touts les coups qu'il se mettoit à table, luy veinst rechanter par trois fois à l'aureille : « Sire, souvienne vous des Atheniens3; » d'aultre part, les lieux et les livres que ie reveoy, me rient tousiours d'une fresche nouvelleté.

Ce n'est pas sans raison qu'on dict, que qui ne se sent point assez ferme de memoire, ne se doibt pas mesler d'estre menteur. Ie sçay bien que les grammairiens font difference entre dire mensonge, et mentir; et disent que dire mensonge, c'est dire chose faulse, mais qu'on a prins pour vraye; et que la definition du mot de mentir en latin, d'où nostre françois est party, porte autant comme aller contre sa conscience; et que, par consequent, cela ne touche que ceulx qui disent contre ce qu'ils sçavent, desquels ie parle. Or ceulx icy, ou ils inventent marc et tout, ou ils desguisent et alterent un fond veritable. Lors qu'ils desguisent et changent, à les remettre souvent en ce mesme conte, il est malaysé qu'ils ne se desferrent; parce que la chose, comme elle est, s'estant logee la premiere dans la memoire, et s'y estant empreinte par la voye de la cognoissance et de la science, il est malaysé qu'elle ne se représente à l'imagination, deslogeant la

I Mis en route, en chemin, en train. E. J.

2 CICERON, pro Ligar. c. 12 : « Oblivisci nihil soles, nisi injurias. » J. V. L.

3 HERODOTE, V, 105. J. V. L.

4 Nigidius, dans AULU-GELLE, XI, II, et dans NONIUS, V, 80. Montaigne ne fait ici que traduire ce grammairien. J. V. L.

faulseté, qui n'y peult avoir le pied si ferme ny si rassis, et que les circonstances du premier apprentissage, se coulants à touts coups dans l'esprit, ne facent perdre le souvenir des pieces rapportees faulses ou abbastardies. En ce qu'ils inventent tout à faict, d'autant qu'il n'y a nulle impression contraire qui chocque leur faulseté, ils semblent avoir d'autant moins à craindre de se mescompter. Toutesfois encores cecy, parce que c'est un corps vain et sans prinse, eschappe volontiers à la memoire, si elle n'est bien asseuree. Dequoy i'ay souvent veu l'experience, et plaisamment, aux despens de ceulx qui font profession de ne former aultrement leur parole que selon qu'il sert aux affaires qu'ils négocient, et qu'il plaist aux grands à qui ils parlent; car ces circonstances. à quoy ils veulent asservir leur foy et leur conscience, estants subiectes à plusieurs changements, il fault que leur parole se diversifie quand et quand: d'où il advient que de mesme chose ils disent tantost gris, tantost iaune, à tel homme d'une sorte, à tel d'une aultre; et si par fortune ces hommes rapportent en butin leurs instructions si contraires, que devient cette belle art? oultre ce, qu'imprudemment ils se desferrent eulx mesmes si souvent; car quelle memoire leur pourroit suffire à se souvenir de tant de diverses formes qu'ils ont forgees en un mesme subiect? l'ay veu plusieurs de mon temps envier la reputation de cette belle sorte de prudence; qui ne veoyent pas que si la reputation y est, l'effect n'y peult estre.

utilement. Si, comme la verité, le mensonge n'avoit qu'un visage, nous serions en meilleurs termes; car nous prendrions pour certain l'opposé de ce que diroit le menteur : mais le revers de la verité a cent mille figures et un champ indefiny. Les pythagoriens font le bien certain et finy, le mal infiny et incertain. Mille routes desvoyent du blanc : une y va. Certes ie ne m'asseure pas que ie peusse venir à bout de moy, à guarantir un danger evident et extreme par une effrontee et solenne mensonge. Un ancien Pere dict, que nous sommes mieulx en la compaignie d'un chien cogneu, qu'en celle d'un homme duquel le langage nous est incogneu. Ut externus alieno non sit hominis vice'. Et de combien est le langage fauls moins sociable que le silence!

Le roy François premier se vantoit d'avoir mis au rouet, par ce moyen, Francisque Taverna, ambassadeur de François Sforce, duc de Milan, homme tres fameux en science de parlerie. Cettuy cy avoit esté despesché pour excuser son maistre vers sa maiesté, d'un faict de grande consequence, qui estoit tel : Le roy, pour maintenir tousiours quelques intelligences en Italie, d'où il avoit esté dernierement chassé, mesme au duché de Milan, avoit advisé d'y tenir prez du duc un gentilhomme de sa part, ambassadeur par effect, mais par apparence homme privé, qui feist la mine d'y estre pour ses affaires particulieres; d'autant que le duc, qui dependoit beaucoup plus de l'empereur (lors principalement qu'il estoit en traicté de mariage avec sa niepce, fille du roy de Danemarc, qui est à present douairiere de Lorraine), ne pouvoit descouvrir avoir aulcune practique et conference avecques nous, sans son grand interest. A cette commission se trouva propre un gentilhomme milanois, escuyer d'escurie chez le roy, nommé Merveille. Cettuy cy, despesché avecques lettres secrettes de creance et instructions d'ambassadeur, et avecques d'aultres lettres de recommendation envers le duc en faveur de ses affaires particulieres, pour le masque et la montre, feut si long temps auprez du duc, qu'il en veint quelque ressentiment à l'empereur, qui donna cause à ce qui s'ensuyvit aprez, comme nous pensons : ce feut que, soubs couleur de quelque meurtre, voylà

En verité le mentir est un mauldict vice. Nous ne sommes hommes, et ne nous tenons les uns aux aultres, que par la parole. Si nous en cognoissions l'horreur et le poids, nous le poursuyvrions à feu, plus iustement que d'aultres crimes. Ie treuve qu'on s'amuse ordinairement à chastier aux enfants des erreurs innocentes, tres mal à propos, et qu'on les tormente pour des actions temeraires qui n'ont ny impression ny suitte. La menterie seule, et un peu au dessoubs, l'opiniastreté, me semblent estre celles desquelles on debvroit à toute instance combattre la naissance et le progrez: elles croissent quand et eulx; et depuis qu'on a donné ce fauls train à la langue, c'est merveille combien il est impossible de l'en retirer: par où il advient que nous veoyons des honnestes hommes d'ailleurs, y estre subjects et asservis. l'ay un bon garçon de tailleur à qui ie n'ouy iamais dire une verité, point hommes l'un à l'égard de l'autre. PLINE, Nat. Hist. non pas quand elle s'offre pour luy servir

1 Détournent du but. E. J.

2 De sorte que deux hommes de différentes nations ne sont VII, 1.

le duc qui luy faict trencher la teste de belle nuict, et son procez faict en deux iours. Messire Francisque estant venu, prest d'une longue deduction contrefaicte de cette histoire (car le roy s'en estoit addressé, pour demander raison, à touts les princes de chrestienté et au duc mesme), feut ouy aux affaires du matin; et ayant estably pour le fondement de sa cause, ayant estably pour le fondement de sa cause, et dressé à cette fin plusieurs belles apparences du faict: que son maistre n'avoit iamais prins nostre homme que pour gentilhomme privé et sien subiect, qui estoit venu faire ses affaires à Milan, et qui n'avoit iamais vescu là soubs aultre visage; desadvouant mesme avoir sceu qu'il feust en estat de la maison du roy, ny cogneu de luy, tant s'en fault qu'il le prinst pour ambassadeur : le roy, à son tour, le pressant de diverses obiections et demandes, et le chargeant de toutes parts, l'accula enfin sur le poinct de l'execution faicte de nuict et comme à la desrobbee; à quoy le pauvre homme embarrassé respondit, pour faire l'honneste, que pour le respect de sa maiesté, le duc eust été bien marry que telle execution se feust faicte de iour. Chascun peult penser comme il feut relevé, s'estant si lourdement couppé, à l'endroict d'un tel nez que celuy du roy François 1.

Le pape Iule second ayant envoyé un ambassadeur vers le roy d'Angleterre, pour l'animer contre le roy François, l'ambassadeur ayant esté ouy sur sa charge, et le roy d'Angleterre s'estant arresté en sa response aux difficultez qu'il trouvoit à dresser les preparatifs qu'il fauldroit pour combattre un roy si puissant, et en alleguant quelques raisons; l'ambassadeur repliqua mal à propos qu'il les avoit aussi considerees de sa part, et les avoit bien dictes au pape. De cette parole, si esloingnee de sa proposition, qui estoit de le poulser incontinent à la guerre, le roy d'Angleterre print le premier argument de ce qu'il trouva depuis par effect, que cet ambassadeur, de son intention particuliere, pendoit du costé de France; et en ayant adverty son maistre, ses biens feurent confisquez, et ne teint à gueres qu'il n'en perdist la

vie '.

[blocks in formation]

Comme on donne des reigles aux dames, de prendre les ieux et les exercices du corps, selon l'advantage de ce qu'elles ont le plus beau; si

i'avois à conseiller de mesme en ces deux divers

advantages de l'eloquence, de laquelle il semble en nostre siecle que les prescheurs et les advocats facent principale profession, le tardif seroit mieulx prescheur, ce me semble, et l'aultre mieulx advocat : parce que la charge de cettuy là luy donne autant qu'il luy plaist de loisir pour se preparer; et puis sa carriere se passe d'un fil et d'une suitte sans interruption: là où les commoditez de l'advocat le pressent à toute heure de se mettre en lice; et les responses improuveues de sa partie adverse le reiectent de son bransle, où il luy fault sur le champ prendre nouveau party. Si est ce qu'à l'entrevue du pape Clement et du roy François à Marseille, il adveint, tout au rebours, que monsieur Poyet, homme toute sa vie nourry au barreau, en grande reputation, ayant charge de faire la harangue au pape, et l'ayant de longue main pourpensee, voire, à ce qu'on dict, apportee de Paris toute preste; le iour mesme qu'elle debvoit estre prononcee, le pape se craignant qu'on luy teinst propos qui peust offenser les ambassadeurs des aultres princes qui estoient autour de luy, manda au roy l'argument qui luy sembloit estre le plus propre au temps et au lieu, mais, de fortune, tout aultre que celuy sur lequel monsieur Poyet s'estoit travaillé; de façon que sa harangue demeuroit inutile, et luy en falloit promptement refaire une aultre: mais s'en sentant incapable, il fallut que monsieur le cardinal du Bellay en prinst la charge 2. La part de l'advocat est plus difficile que celle du pres

Mémoires de MARTIN DU BELLAY, liv. IV, fol. 166 et suiv. cheur; et nous trouvons pourtant, ce m'est advis,

Ce fait est de l'an 1534. C.

2 ERASMI Op. tom. IV, col. 684, C, éd. de Leyde, 1705, infol. C.

Ce vers, qui est du célèbre ami de Montaigne, Estienne de la Boëtie, ne se trouve point dans les vingt-neuf sonnets de ce jeune poëte, cités au chapitre vingt-huitième de ce premier livre des Essais. Il fait partie des Vers françois publiés par Montaigne en 1572, et il y termine le quatorzième sonnet. Fol. 16, verso. J. V. L.

2 Mémoires de MARTIN DU BELLAY, liv. IV, fol. 163 et suiv. C.

« PreviousContinue »