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MÉMOIRES DE LA SOCIÉTÉ IMPERIALE DES SCIENCES DE L'AGRICULTURE ET DES ARTS DE LILLE.

SUR

LA CONSTITUTION ET LA SUSPENSION DES NUAGES,

Par M. DELEZENNE, Membre résidant.

Séance du 14 avril 1856,

le

A moins d'indication contraire, je prendrai le millimètre pour unité de longueur, gramme pour unité de poids et le centimètre cube pour unité de volume. Les densités seront représentées par le poids en grammes d'un centimètre cube de la matière.

L'air atmosphérique jouit d'une transparence si grande qu'il est invisible à moins qu'il ne soit accumulé en une masse prodigieuse; il en est de même de la vapeur d'eau. C'est le mélange de ces gaz qui a la couleur bleue réfléchie du ciel. La vapeur proprement dite ne mouille pas les corps qu'elle touche ; c'est de la vapeur sèche telle qu'elle existe dans l'air serein, dans les chaudières des machines à vapeur, dans la partie vide au sommet d'un baromètre à eau, etc. On donne le nom de vapeur humide, vapeur en nuage, vapeur blanche, vapeur vésiculaire, buées, etc., à la vapeur sèche qui s'est assez refroidie pour se transformer en gouttelettes d'eau pleines ou creuses, en une sorte de fumée blanche, de nuage, de brouillard ou de buée. Elle mouille les corps sur lesquels elle se dépose.

Les nuages qui se soutiennent dans les régions basses ou élevées de l'air, ceux qui entourent les montagnes ou qui, sous le nom de brouillards, descendent jusque sur le sol, sont composés d'une infinité

de petits globules d'eau plus ou moins éloignés les uns des autres ; sont d'une grosseur à peu-près uniforme dans une portion du nuage; mais elle varie d'une portion à l'autre et surtout d'un nuage à l'autre.

Quand la lune est vivement éclairée et qu'entre elle et nous s'interposent des nuages blancs, peu épais, l'astre paraît entouré de cercles ornés des riches couleurs de l'iris. Ce sont des couronnes. On voit plus fréquemment ces couronnes colorées sur les nuages qui passent devant le soleil, en prenant la précaution de les observer à travers un verre absorbant. J'ai donné le nom de Stéphanoscope (mémoires de la Société de Lille pour 1836) aux combinaisons de certains verres absorbants qui permettent de voir quelquefois des couronnes composées de 2, 3 et même 4 cercles irisés équidistants.

Quand les couleurs sont vives et les couronnes bien faites, c'est un signe certain que les globules pleins ou creux du nuage sont d'une grosseur à très-peu près égale, et plus sont grands les diamètres des couronnes, plus les globules sont petits.

En mesurant l'angle sous lequel on voit le demi-diamètre du premier anneau rouge d'une couronne solaire ou lunaire, et se servant d'une formule que j'ai donnée, on calcule très-facilement la grosseur des globules ou des vésicules d'eau qui constituent le nuage sur lequel on a vu cette couronne. J'ai fait de nombreuses observations de ce genre et voici quelques unes des grosseurs mesurées.

0,05647

0,02259 0,00852 0,00512 0,00452.

Le premier de ces nombres vient d'une observation faite sur une couronne rouge en contact par son bord intérieur avec le disque solaire. L'angle sous lequel on voyait le demi-diamètre de la couronne, compté depuis le centre du soleil jusqu'au milieu de la bande rouge circulaire, était de 32'. Ces couronnes étroites s'observent quand le temps se dispose à la pluie, et que les globules d'eau sont à peu-près les plus gros qui peuvent se soutenir dans l'air. S'ils grossissent encore, ils tombent, ils se réunissent à ceux qu'ils rencontrent dans leur trajet, et arrivent à la terre en gouttes de pluie plus ou moins grosses.

Assez généralement, les couronnes très-étroites sont l'indice d'une pluie prochaine; les couronnes à grand diamètre sont l'indice du beau temps; mais il ne faut pas trop se confier à ces indices, parce que les faibles et fréquents changements de vent et de température dans la région des nuages changent la grosseur des globules et font rapidement changer la grandeur des couronnes, c'est à ce point qu'on a parfois des nombres différents quand on mesure plusieurs fois de suite le diamètre d'une couronne.

Le second des nombres ci-dessus vient d'une couronne double observée le 21 juillet 1836 à 3h 40'. L'angle était de 1° 20′. C'est à peuprès le minimum des couronnes complètes et bien faites. Il pleuvait à 3b 35'.

Le troisième nombre vient d'une grande et belle couronne observée le 3 août. Je n'ai pas eu l'occasion d'en observer de plus grandes. L'angle était de 3° 33'. Le 15 octobre 1797, Walker-Jordan en a observé une dont l'angle était de 5° 36', ce qui donne 0,00540 pour la grosseur des globules d'eau.

Enfin, les deux derniers nombres viennent des larges couronnes que j'ai observées sur la vapeur refroidie qui s'échappe des machines sans condenseur.

On remarquera que le diamètre des plus gros globules ci-dessus est douze fois et demi plus grand que celui des plus petits globules et conséquemment qu'ils pèsent 1950 fois plus. Ces plus gros globules pèsent 5553 fois moins que les gouttes de pluie d'un millimètre de grosseur, et ont un diamètre 18 fois moindre. Il faut 48946 des plus fins globules pour faire une pareille goutte d'eau.

En été, la vapeur à 100° qui s'échappe d'une machine sans condenseur, est déjà refroidie de 4 à 8 degrés au moment où elle débouche du tuyau métallique qui la conduit dans l'air plus froid environnant. Dans ce cas, le nuage blanc artificiel ne devient visible qu'à une certaine distance de la bouche du tuyau. Cette distance, variable avec la température de l'air, peut être de un à deux mètres quand l'air est sec et chaud. Dans ce dernier cas encore, les globules qui se sont presque subitement formés, se dissipent rapidement. Dans l'hiver, au con

traire, la vapeur se condense déjà dans le tuyau de conduite, si une partie de sa longueur est exposé à l'air libre. Si l'air est saturé, le nuage s'étale beaucoup, il est volumineux et les globules grossissent aux dépens de la vapeur répandue dans cet air saturé.

Chacun peut étendre ces remarques et les vérifier sur les locomotives des chemins de fer.

Nous pouvons faire sur nous-mêmes des remarques analogues. Après chaque inspiration, nous expulsons de nos poumons une masse d'air vicié, saturé de vapeur d'eau et ayant 37° de chaleur. Son mélange avec l'air moins chaud qui nous entoure donne lieu à la formation de globules d'eau plus ou moins visibles, plus ou moins abondants, selon la température et l'état hygrométrique de l'air. Observez, dans la diversité des circonstances et des saisons, à quelle distance de la bouche se forme le nuage blanc produit par la respiration; observez l'étendue et l'intensité de ce nuage; combinez ces observations avec celles du thermomètre et de l'hygromètre, et vous arriverez à connaître pratiquement, sans instruments, le degré approximatif d'humidité de l'air. Par exemple, quand vous voyez s'élever un nuage blanc, intense, de toute la surface d'un cheval en sueur vous pouvez affirmer que l'air est saturé ou bien près de l'être.

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Soit d le diamètre d'un globule d'eau ; le poids de ce globule sera

d3. Sur l'une des 3 dimensions du cube d'un centimètre de côté, on

peut mettre à la file et en contact, de ces globules, et dans le

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d

Le poids de ce que peut contenir le cube sera donc

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Dans un nuage, dans le brouillard le plus épais, les globules d'eau ne peuvent pas être en contact, car ils s'uniraient immédiatement les uns aux autres. Le poids de ces globules en contact dans un centimètre

cube serait de 0,5236, poids énorme qui fait bien sentir que les globules doivent être fort éloignés les uns des autres, même dans le cas extrême le plus défavorable. Ce cas s'observe lorsque, dans un atelier où un incendie se déclare, on lance toute la vapeur d'un générateur. Supposons l'atelier long de 10 mètres, large de 5 et haut de 4; le volume total de l'air restant et de la vapeur blanche serait donc de 200 mètres cubes. Si les globules se touchaient, chaque mètre cube en contiendrait 523k, 598; on aurait donc lancé dans cet atelier 523,598 × 200 ou 104719,75 d'eau, ou 1047 hectolitres. L'absurdité de ce résultat est évidente dans l'hypothèse des globules pleins.

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Supposons que ces globules aient de millimètre d'épaisseur, ce qui est assez vraisemblable; s'ils se touchaient, les centres seraient à de millimètre les uns des autres. Décuplons la distance des centres; la proximité sera encore très-grande; mais il y aura mille fois moins de globules dans l'atelier et la masse se réduira à un hectolitre ou cent kilogrammes d'eau, résultat plus recevable.

Une très-grande quantité de vapeur non condensée se mêle sans doute aux globules d'eau qui remplissent l'atelier. L'expérience prouve, en effet, que l'air y manque ; on y respire à peine et il faut se hâter de fuir pour n'être pas asphyxié. Les corps incandescents sont refroidis par ces gouttelettes d'eau si voisines les unes des autres ; de plus, cette eau se réduit en vapeur momentanément invisible et enlève ainsi 550 unités de chaleur. Ces circonstances et le manque d'air font comprendre comment un incendie peut être éteint à son début au moyen de la vapeur lancée abondamment dans l'atelier.

Dans cet atelier rempli de buées on ne reconnaît plus la forme des objets, parce que les rayons de lumière réfléchis par ces objets rencontrent dans leur trajet des globules d'eau qui les détournent de leur direction par réfléxion et par réfraction. Il faut que l'objet, la main par exemple, soit à une faible distance pour qu'une partie des rayons réfléchis puisse arriver à l'œil sans avoir rencontré des globules.

Dans les nuages et dans les brouillards les plus épais, les globules

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