Page images
PDF
EPUB

lisme spontane ou artificiel ? Voilà, certes, de hautes questions bien dignes des honneurs du concours et des récompenses décernées par l'Institut. Mais tout n'est pas là encore: auquel des deux éléments de la dualité attribuer les perceptions, les sensations, la comparaison le jugement, la détermination, etc., etc. Les divisions et subdivisions ne manquent pas, hélas, dans l'énoncé des facultés intellectuelles, et malheureusement, pour la conciliation, toutes ces facultés se modifient à l'infini dans ce que l'on appelait autrefois l'individu. Celui-ci par exemple, susceptible d'attention pour une chose, ne pourra jamais la fixer sur une autre ; celui-là, jugeant parfaitement une série de faits, appréciera les autres d'une manière complètement fausse, bien que doué d'une bonne organisation. Que devient la liberté du choix au milieu de toutes ces nuances?

On pourrait assurément laisser passer inaperçues des conceptions dont tout le monde n'aperçoit pas au premier abord le côté pratique. Mais un examen attentif des faits démontre bientôt qu'à la faveur de nos faciles moyens de propagande, les idées, aujourd'hui, passent assez rapidement dans l'application, comme nous l'avons déjà fait pressentir, et relativement au sujet qui nous occupe, la législation, l'appréciation des jurés, la jurisprudence des tribunaux, d'une part, de l'autre la médecine, dans le traitement des maladies mentales, subissent infailliblement les influentes insinuations des théories qui ont cours, ou qui du moins occupent les esprits.

Nous ne rappellerons pas les errements incroyables qui, suivant les âges, suivant les pays, ont régi les lois pénales, et les raffinements avec lesquels on administrait les châtiments ou la peine capitale, en s'acharnant même quelquefois sur les cadavres. Les mêmes errements ont réglementé le sort des malheureux déshérités de l'intelligence; tantôt considérés comme des émissaires mystérieux de la divinité, tantôt comme des échappés de l'enfer, tantôt enfin comme des mons truosités dangereuses, sinon criminelles, que les fers et le fouet pouvaient seuls contenir.

Nous voyons, de nos jours, l'opinion des défenseurs de la société, et les verdicts de culpabilité ou d'innocence se modifier dans des cir

constances analogues, suivant certaines idées préconçues ou acceptées sur la foi de leurs auteurs.

De même, aux yeux d'une certaine école médicale, l'aliéné est un homme qui se trompe et que la fermeté, la douche, le raisonnement, doivent ramener à la réalité. Pour d'autres, l'organe cérébral, malade dans une étendue plus ou moins considérable, donne lieu aux désordres plus ou moins complets de la manie, de la monomanie, dont les impulsions inattendues sont niées encore par certaines personnes de l'art médical ou de la robe. Aussi, au milieu de semblables discidences, est-il bien difficile que les degrés de responsabilité morale soient appréciés d'une manière uniformément équitable.

Elle serait sans doute ridicule la prétention de ramener à une précision mathématique la balance qui doit peser les actions humaines. Mais il est permis d'espérer qu'on arriverait à plus d'exactitude en se débarrassant de tant de faux poids, et en prenant pour point d'appui l'observation. Or, l'observation, pour acquérir quelque valeur et s'approcher de la certitude, doit s'appliquer à tout ce qui nous entoure de près ou de loin, à tout ce qui, par analogie, par similitude, peut rectifier notre jugement; et certes, si déposant le vain orgueil auquel nous sommes beaucoup trop habitués à sacrifier, nous consentons à prendre des points de comparaison dans le reste de la création, . les exemples, les analogies ne nous manqueront pas.

En effet, tout ce qui respire est soumis à des impulsions, à des répulsions par suite desquelles a lieu une détermination instinctive, raisonnée ou automatique. Nous ne tiendrons pas à l'explication pour nous occuper exclusivement du résultat de la prédominance de l'une sur l'autre incitation; prédominance qui varie à l'infini chez les individus d'une même espèce, et qui, par conséquent, détermine des actes entièrement différents en présence d'un même objet. Prenons des exemples:

La fourmi, soit qu'elle visite ses nouvelles constructions, soit que, troublée dans ses foyers elle porte ailleurs ses pénates et sa progéniture, suit généralement, sans dévier d'une ligne, la route tracée par sa devancière; et si un obstacle est tout-à-coup interposé, il sera

surmonté par les unes, tourné par les autres, et fera rebrousser chemin aux plus timides.

La limace, dont la trace visqueuse nous présente d'habitude un plan labyrinthique remarquable par l'incertitude et l'hésitation qui l'a dessiné, montre quelquefois une obstination étonnante à poursuivre sa route dont on la détourne vingt fois inutilement.

La race canine, si fidèle, si sûre pour la garde de nos personnes et de nos propriétés, si courageuse au moment du danger, offre cependant toutes ces qualités à des degrés infiniment variables. L'animosité à poursuivre à la chasse le gibier fort ou faible n'est point le partage de tous. Ainsi dans ces combats d'animaux dont nos pères étaient si avides, et qui se sont conservés jusqu'à nos jours, on lançait des meutes nombreuses contre des ours, des taureaux et autres dont les dispositions hostiles étaient les mêmes envers tous les assaillants. Le danger était le même pour chacun de ceux-ci; et cependant, à peine l'arène était ouverte, que l'on pouvait saisir des impulsions diverses au milieu de l'élan général, et bientôt les premiers rangs se trouvaient éclaircis par la prudence d'un certain nombre. Mais la lutte engagée établissait encore des différences plus tranchées; si les uns se rebutaient après quelques échecs, d'autres, lancés dix fois dans l'espace, revenaient au combat avec plus d'ardeur et d'acharnement; d'autres encore, suspendus à leur proie, ne cessaient de la déchirer, même aux dépens de leur vie. Et parmi ces plus courageux, ce n'était ni la taille, ni la force, ni la race qui déterminait la ténacité. Il y a donc là quelque chose de spécial, un nescio quid incitamentum.

On connaît dans le boeuf ou le cheval de trait des différences notables dans le développement de forces volontaires pour vaincre les résis tances. Tout le monde a pu voir le lion, le tigre, refouler leurs instincts carnassiers sous la cravache et le regard fascinateur de dompteurs de bêtes, et lécher la main qu'ils devaient dévorer plus tard.

Le nègre dans l'esclavage connaît les châtiments qui l'attendent s'il abandonne sa case, et cependant il n'hésite pas à déserter si le moindre espoir de liberté brille à ses yeux. Il fuit aussi momen

tanément pour courir près de l'objet de ses amours, dût-il au retour périr sous le fouet impitoyable.

L'homme incomplet, l'idiot, le crétin, se livre à certains actes, à la colère non motivée, aux plaisirs solitaires surtout, avec une frénésie incroyable.

Dans la vie commune, la sphère des impulsions ou des répulsions a grandi; elle s'étend avec les progrès de la civilisation à un plus grand nombre d'objets devenus nécessaires ou antipathiques. Heureusement, par une espèce de compensation, l'éducation intelligente qui se fait par les yeux ou par les oreilles, c'est-à-dire par l'exemple ou par les préceptes, peut diriger et modifier même profondément ces incitations dans l'intérêt de l'individu non moins que dans l'intérêt de la société. On leur doit alors les actes les plus nobles de vertu, de courage, de dévouement, d'abnégation.

Mais si l'éducation fait défaut, si trop généralisée, elle ne s'applique point avec sollicitude à rétablir un équilibre pondérateur entre toutes les tendances instinctives, sentimentales ou passionnelles de chaque organisation native; si, de plus, de funestes exemples venant d'en haut, s'infiltrent par contagion dans les masses, oh! alors la liberté morale n'est plus qu'une fiction, et les lois répressives, les lois pénales s'armeront en vain du glaive le mieux acéré. Leur tardive vengeance ne saurait un moment arrêter le crime lorsqu'il est considéré comme le seul ou le plus rapide moyen de satisfaire des appétits désordonnés.

Un cadre aussi restreint que celui-ci ne saurait comporter une énumération, même rapide, de toutes les tendances égoïstes, mystiques ou romanesques, qui semblent dominer la société à son insu, et dont l'exagération conduit à des actes tellement contraires aux intérêts généraux qu'ils sont frappés de réprobation et qu'on les considère comme conséquence de perversité ou de folie.

Dans ce dernier cas spécialement, la privation de liberté morale devient plus sensible, lorsque l'homme est déchu de la direction nor male de tout ou partie de ses facultés primitives; que les causes soient constatées ou non dans l'hérédité, dans l'exagération des sentiments ou dans le retentissement de désordres pathologiques.

Pour se rendre un compte exact des influences précitées, il ne faudrait point prendre à partie chaque unité morbide, et en approfondir les divagations. Il convient au contraire de s'élever, de manière à planer en quelque sorte sur l'ensemble des agglomérations d'aliénés. On sera bientôt frappé d'un certain air de famille dans les physionomies maladives d'un pays, d'une région, qu'on ne retrouvera plus ailleurs qu'à l'état d'isolement, et qui aura fait place à des linéaments d'un autre caractère.

C'est ainsi que dans nos départements du Nord, dans la Belgique, l'ensemble des manies, des démences, avec ou sans hallucination, se rattache plus ou moins intimement aux idées religieuses mal entendues, aux sortiléges, etc., tandis qu'à Paris et dans les environs, la police, la physique, le somnambulisme et leurs mystères, expliquent toutes les perturbations de ces pauvres cerveaux.

Le maniaque, le monomaniaque plus encore, car il met à la disposition de ses idées dominantes une logique sévère sur d'autres points, et dont il apprécie lui-même la justesse ; le maniaque, disons-nous; encouragé souvent par des hallucinations impératives, poursuit son but avec toute l'assiduité, toute la fermeté, la ruse dont il est capable, à travers des obstacles en apparence insurmontables.

Arrêtons-nous cependant avant d'accepter une généralisation trop exclusive. Car, si puissante, si tenace que soit leur volonté, il n'est pas impossible de la faire céder pour un temps plus ou moins long devant une volonté plus forte, une incitation plus énergique.

C'est ce que démontre la pratique journalière de nos maisons d'aliénés, où une patiente étude des caractères, une équité inflexible, secondée par les moyens d'action dont on dispose aujourd'hui, arrivent surement à dévier du moins, sinon à refouler toujours les penchants subversifs que les malades apportent dans ces établissements.

Ce serait sans doute ici le lieu de donner des exemples puisés dans la pratique, après avoir indiqué que les luttes les plus difficiles se rencontrent dans les croyances les plus absurdes et dans les propensions au suicide, de citer, entre autres, les observations de cette femme d'une complexion athlétique, qui, victime d'un sortilége, dut être

« PreviousContinue »