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ANTOINETTE DESHOULIÈRES,

née à Paris en 1638, morte dans la même ville en 1694.

IDYLLE.

[L'auteur s'adresse à ses enfans.] Dans ces prés fleuris Le ciel par mes cris ; Qu'arrose la Seine,

Il rit de mes craintes, Cherchez qui vous mène,

Et sourd'à mes plaintes, Mes chères brebis.

Houlette ni chien, J'ai fait pour vous rendre Il ne me rend rien. Le destin plus doux, Puissez-vous contentes Ce qu'on peut attendre Et sans mon secours, D'une amitié tendre; Passer d'heureux jours, Mais son long courroux Brebis innocentes, Détruit, empoisonne

Brebis mes amours ! Tous mes soins ponr vous; Qne Pan vous défende ; Et vous abandonne

Hélas ! il le sait, Aux fureurs des loups. Je ne lui demande Seriez-vous leur proie, Que ce seul bienfait. Aimable troupeau!

Oui, brebis chéries, Vous de ce hameau

Qu'avec tant de soin
L'honneur et la joie, J'ai toujours nouries,
Vous qui, gras et beau, Je prends à témoin
Me donniez sans cesse,

Ces bois, ces prairies,
Sur l'herbette épaisse, Que si les faveurs
Un plaisir nouveau.

Du dieu des pasteurs
Que je vous regrette !

Vous gardent d'outrages, Mais il faut céder;

Et vous font avoir Sans chien, sans houlette(1) Du matin au soir Puis-je vous garder? De gras paturages, L'injuste Fortune

J'en conserverai Me les a ravis.

Tant que je vivrai En vain j'importune La douce mémoire,

(1) Elle avait perdu son mari et sa fortune.

Et que mes chansons, Rend à la nature
En mille façons,

Toute sa parure,
Porterons sa gloire, Jusqu'en ces climats
Du rivage heureux, Où, sans doute las
Où, vif et pom peux,

D’éclairer le monde, L'astre qui mesure Il va chez Thétis, Les nuits et les jours,

Rallumer dans l'onde Commençant son cours, Ses feux amortis.

Mme. Deshoulières avait reçu de la nature les talens de l'esprit et les grâces de la figuré. Elle eut une foule d'admiraieurs, et de ce nombre était le grand Condé: mais en recevant leurs hommages, elle fut toujours vertueuse. Hénault lui donna les premières leçons de l'art des vers, et l'élève surpassa bientôt le maître les poésies de cette femme aimable ont beaucoup perdu de la réputation dont elles ont joui : les vers en sont aisés, mais extrêmement prosaïques. D'ailleurs elles ont toutes la même couleur. C'est partout une morale triste

mélancholique.
Elle a écrit des idylles, des églogues, des tragédies, etc.

Quelques pièces de cette dame pourraient la faire ranger parmi les moralistes.

EDME BOURSAULT,

né à Mussi-Lévêquo en 1638, mort à Montluçon en 1701.

Lettre á son fils.

Je ne puis, mon fils, aller à Paris faire les honneurs de votre thèse. Quoique la langue que vous parlerez me soit inconnue, le désir que j'aurais de vous entendre dire de bonnes choses, me la rendrait sans doute intelligible ; ou du moins, mon amitié pour vous serait assez ingénieuse pour tâcher à découvrir dans les yeux des auditeurs tout ce qui serait à votre avantage. Je ne doute pas que ma présence ne vous animât à bien faire, mais je suis sûr aussi, que vous ne laisserez pas de bien faire quoique je n'y sois pas. Jusqu'ici il ne s'est présenté aucune occasion d'éclat, dont vous ne soyez sorti avec honneur. Surtout, mon fils, si vous avez envie de bien réussir, soyez le premier à vous persuader que cette étude, toute dégoûtante qu'elle est, vous est nécessaire pour aller à d'autres qui sont d'une plus grande utilité. Quelque heureuses dispositions qu'on ait à devenir habile homme, ce n'est pas l'ouvrage d'un jour ni d'une année ; il en coûte de la peine et des veilles : et l'assiduité que vous y avez apportée pendant votre enfance, me répond que, dans un âge plus raisonnable, vous y donnerez des soins plus importants. Quoique ce soit pour vous seul que vous travaillerez, et que l'érudition que vous aurez soit un bien attaché à votre seule personne, je regarderai comme une marque de reconnaisance de tout ce que j'ai fait pour vous, l'application que vous apporterez à me rendre le père d'un fils habile et vertueux ; et pour vous exciter par quelque chose de plus pressant, je vous assure que je vous en aurai obligation. Tâchez donc de faire en sorte que votre père vous soit redevable, et forcez-moi à être autant par estime et par équité, que je suis par inclination et par terdresse, votre tres-affectionné père.

Autre lettre a son fils.

J'ai reçu, mon fils, avec un véritable plaisir, votre dernière lettre et votre premier sermon.

Vous ne pouvez m'obliger plus sensiblement qu'en travaillant, comme vous faites, à justifier la prévention favorable que j'ai toujours eue pour vous. Quoique la vertu essentielle d'un religieux soit l'humilité, il est permis de se distinguer dans quelque profession que l'on puisse être, et plus dans la vôtre que vous ne vous l'imaginez: il n'y a presque point de milieu pour vous. Qui ne vous estime pas vous méprise : et rien n'est plus vrai dans le fond. Prêchez donc, si vous croyez

avoir assez de talent

pour

réussir : c'est une belle voie pour se faire distinguer, que de parler en public, quand on le fait avec succès. Quelque réputation qu'on puisse acquérir à bien écrire, on ne l'acquiert pas aussi promptement qu'à bien parler; et un prédicateur a plus d'auditeurs dans un jour, qu’un bon écrivain n'a de lecteurs dans un an. J'ai lu le sermon que vous m'avez envoyé, avec autant d'attention que j'entendais autrefois ceux du père Bourdaloue. Je crois ne pouvoir mieux vous dire, qu'il ne m'en est pas échappé nn mot. Le texte m'a paru essez heureux, le style assez pur, l'économie assez belle, les transitions justes, la morale vive; et si j'avais quelque chose à vous souhaiter, ce serait que vous sentissiez bien ce que vous avez dessein de faire sentir aux autres. Le plus sûr moyen à un prédicateur, pour toucher, c'est d'être touché lui-même ; et puisque vous me témoignez ne vouloir rien entreprendre sans mon conseil, pesez bien celui que m'inspire la tendresse que j'ai pour vous. Un prédicateur, pénétré de ce qu'il dit, pénètre aisément le cour de ceux qui l'écoutent; et les conversions seraient plus fréquentes, si les prédicateurs bien persuadés de ce qu'ils disent, étaient moins rares. beau être délicat, l'auditeur a une répugnance naturelle à suivre le conseil de ceux dont il n'ose suivre l'example. Je ne sais rien de plus extravagant, que de voir prêcher l'humilité avec

une tête poudrée, un rochet magnifique, et un discours si peigné qu'il n'y a pas une période qui ne soit accompagnée d'une vanité. Ne me répondez point une chose usée; "faites ce qu'ils disent, et

On a

ne faites pas ce qu'ils font.” Je ne puis me résoudre à manger des carottes et des betteraves, quand je vois le prédicateur manger des chapons et des perdrix; ni à coucher sur la paille, pendant qu'il repose mollement sur le duvet. Ce que je vous recommande le plns, c'est d'aller dans la chaire avec une modeste présomption; je veux dire, que vous n'ayez pas assez bonne opinion de ce que vous aurez fait, pour en avoir de l'orgeuil, ni asssz mauvaise pour en avoir du dégoût: l'orgueil entête, et la timidité abat; et ce sont deux extrémités vicieuses qu'il faut également éviter. On a tant de penchant à se flatter, qu'il n'y a point de jeune prédicateur, qui ne croie égaler Fléchier et Bourdaloue. Je ne puis souffrir qu'au commencement d'une carrière où l'on ne marche encore qu'à tâtons, on prétende avoir atteint ceux qui sont au bout. Vous ne devez pas douter que ce ne soit une joie bien sensible pour un père, que celle d'entendre un beau sermon de son fils. Mais aussi, quel chagrin aurais-je, si malheureusement vous en fesiez un semblable à celui que j'entendis l'année dernière à Saint-Barthélemy le jour de sa fête! Jamais homme n'a été plus maltraité qne ce grand saint le fut dans sa propre église. J'ai trop bonne opinion de vous, pour craindre que vous m'exposiez jamais à une si rude mortification; et je vous crois le discernement trop juste pour que vous vous y exposiez jamais vous-même. Comme le métier de prédicateur, s'il m'est permis d'user de ce terme, est un métier divin, il faut le faire divinement : autrement la parole de Dieu que vous annoncez, ne vous met pas à couvert de la censure. L'occupation d'un prédicateur doit être d'annoncer les mystères de la religion, et non d'approfondir les mystères de la cour: cette matière n'est point de sa juridiction, et il sied mal à un ministre de l'évangile, de vouloir faire le ministre d'état. Souvenezvous, sutout, que la chaire n'est pas le théâtre ; et qu'un sermon qui divertit la canaille, n'édifie guère les honnêtes gens. Q:velque esprit qu'il y ait dans ce que disait autrefois le petit père André, et après lui le père Lenfant, qui a été, son singe, ce ne sont pas

modèles à imiter: si vous avez quelqu'un à imiter, que ce soit Bourdaloue, L2 Rue, Gironi, Hubert, La Roche, La Tour, Mascaron, Fléchier, Soanen, Anselme, etc. Mais, croyez-moi,

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