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ces propres trophées ; que je découvre ce corps pâle et sanglant, près duquel fume encore la foudre qui l'a frappé, et que j'expose à vos yeux les tristes images de la religion et de la patrie éplorées. Dans les pertes médiocres, on surprend ainsi la pitié des auditeurs, et par des mouvemens étudiés, on tire au moins de leurs yeux quelques larmes vaines et forcées ; mais on décrit sans art une mort qu'on pleure sans feinte. Chacun trouve en soi la source de sa douleur, et rouvre lui-même sa plaie ; et le ceur pour être touché n'a pas besoin que l'imagination soit émue.

Peu s'en faut que je n'interrompe ici mon discours. Je me trouble, messieurs, Turenne meurt, tout se confond, la fortune chancelle, la victoire se lasse, la paix s'éloigne, les bonnes intentions des alliés se ralentissent, le courage des troupes est abattu par la douleur, et ranimé par la vengeance ; tout le camp demeure immobile. Les blessés pensent à la perte qu'ils ont faite, et non aux blessures qu'ils ont reçues. Les pères mourans envoient leurs fils pleurer sur leur général mort

. L'armée en deuil est occupée à lui rendre les devoirs funèbres, et la renommée qui se plait à répandre dans l'univers les accidens extraordinaires, va remplir toute l'Europe du récit glorieux dela vie de ce prince et du triste regret de sa mort.

Fléchier, fut élevé dans le sein des lettres et de la vertu, auprès d'Hercule Audiffret, son oncle, général des pères de la doctrine chré. tienne. Après la mort de cet oncle, il quitta cette congregation, et parut à Paris comme prédicateur, et se fit bientôt un nom. Son orai. son funèbre de Turenne mit le comble à sa réputation, et lui attira les grâces de la cour. Quelque temps après, il fut élevé à l'épisco pat. C'est à cette occasion que Louis XIV. qui mettait toujours de la grâce dans tout ce qu'il fesait, lui dit: "ne soyez pas surpris si j'ai récompensé si tard votre mérite;j'appréhendais d’être privé du plaisir de vous entendre."

Arrivé dans son diocèse de Nimes, son premier soin fut de faire cesser les animosités qui existaient entre les Catholiques et les Protestants : il les traita tous avec une égale bonté et une même charité; et cet esprit de paix et de douceur fut la règle invariable de sa conduite pendant les 23 années que dura son épiscopat. Dans la disette de 1709, la misère étant extrême dans son diocèse, il fit des charités immenses, auxquelles les Catholiques et les Protestans eurent une part égale, uniquement reglée sur ce qu'ils souffraient, et non sur ce qu'ils

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croyaient. Aussi à sa mort, arrivée l'année suivante, fut-il également pleuré des uns et des autres. Les travaux de l'épiscopat n'empêchèrent pas Fléchier de cultiver les lettres. Outre ses Oraisons funèbres, on a encore de lui des Panegyriques, des Sermons, les Vies de l'empereur Théodose, du cardinal Ximénès, du cardinal Commandon, et des Lettres. “Notre langue a des obligations à Fléchier, que l'on peut appeler l'Isocrate français : il s'est appliqué à donner aux formes du langage de la netteté, de la régularité, de la douceur, du nombre; il est en cela supérieur à Bossuet; mais pour le génie de la composition, Bossuet est 'infiniment au-dessus de Fléchier qui n'est orateur que du second ordre. Fléchier est plus élégant, Bossuet est plus élevé. Ils sont tous les deux de bons modèles à suivre" (La Harpe.) Les cuvres choisies de Fléchier forment 10 vol. in 12.

CHARLES PERRAULT,

né en 1633 et mort en 1703, à Paris,

Portrait de l'Amitié.

J'ai le visage long et la mine naïve,

Je suis sans finesse et sans art.
Mon teint est fort uni, ma couleur assez vive,

Et je ne mets jamais de fard.
Mon abord est civil ; j'ai la bouche riante ;

Et mes yeux ont mille douceurs ;
Mais quoique je sois belle, agréable et charmante,
Je règne sur bien peu

de ceurs.
On me proteste assez, et presque tous les hommes

Se vantent de suivre mes lois. Mais que j'en connais peu dans le siècle où nous sommes,

Dont le cæur réponde à la voix !
Ceux que je fais aimer d'une flamme fidèle,

Me font l'objet de tous leurs soins.
Quoique vieille, à leurs yeux je parais toujours belle ;

Ils ne m'en estiment pas moins.
On m'accuse souvent d'aimer trop à paraître

à
Où l'on voit la prospérité ;
Cependant il est vrai qu'on ne me peut connaître

Qu'au milieu de l'adversité.

Perrault né dans le sein des lettres les cultiva dès sa jeunesse. Des vers furent les premiers fruits de sa plume. Aimé et considéré du grand Colbert, il employa son crédit au près de lui, pour l'utilité des arts, et de ceux qui les cultivaient. Ce fut à lui que l'Académie française dut un logement au Louvre, et l'Académie de peinture, de sculpture et d'architecture, son institution. Après la mort de Colbert, il se déroua entièremeut aux lettres. Il chanta les merveilles de Louis XIV. Son poème, intitulé le Siècle de Louis XIV, était une satire injuste contre les anciens. Racine, Boileau et tous les parti. sans du goût s'élevèrent contre Perrault, qui, pour soutenir ce qu'il Avait avancé, mit au jour son Parallèle des anciens et des modernes. Il y mettait au-dessus d'Homère non seulement Corneille, mais

encore les Chapelain et les Scudéri ;(1) il n'y parla même point de Racine et de Boileau, ou il n'en dit que des choses peu en leur faveur, ce qui excita une guerre de plume qui dura long-temps. Lorsque la paix fut conclue, Perrault s’occupa de ses éloges historiques des grands hommes du dix-septième siècle, ouvrage très-estimé. Les célèbres Arnauld (2) et Pascal ne s'y trouvaient pas; les jésuites avaient eu le crédit de les faire exclure par la cour, mais le cri pub. lic fit réparer cette injustice. Cet ouvrage en deux petits volumes in folio, contient la biographie de cent hommes célèbres qui paru. rent en France dans le dix-septième siècle, avec le portrait de chacun d'eux, placé à la tête de chaque article.

On a encore d'autres ouvrages de Perrault, en vers et en prose, mais ils sont peu estimés : son style en général manque d'imagination et de coloris. Il était de l'Académie française.

(1) JEAN CHAPELAIN, né à Paris en 1595, et mort dans la même ville en 1674, a laissé un Poème épique intitulé la Pucelle ou la France délivrée ; des Stances ; et des Odes, parmi lesquelles on remarque celle qui est adressée au cardinal de Richelieu. Boileau s'est montré très-sévère à l'égard de ce poète, qu'il ne faut pas confondre avec un autre auteur du même nom :

CHARLES-JEAN-BAPTISTE CHAPELAIN, jésuite, né en 1710 et mort en 1780. Il jouit d'une grande réputation comme prédicateur à Paris et à la cour. Ses Sermons, publiés en 6 volumes, sont peu lus à présent.

GEORGES DE Scuderi, que Boileau n'a pas épargné non plus que sa seur Madeleine, dont on a déjà parlé, page 52, a écrit un grand nombre de pièces de théatre ; le Poème d'Alaric; et plusieurs romans peu estimés. Il était de l'Académie française.

(2) ANTOINE ARNAULD, docteur de Sorbonne, naquit à Paris en 1612, et mourut à Bruxelles en 1694. Il possédait une érudition immense. Voyez Pascal, pages 45 et 43.

PHILIPPE QUINAULT,

né en 1635 et mort en 1688, à Paris.

Médée invoquant les Démons.

Sortez, ombres, sortez de la nuit éternelle,

Voyez le jour pour le troubler;
Que l'affreux désespoir, que la rage cruelle,
Prennent soin de vous rassembler

;
Avancez, malheureux coupables,

Soyez aujourd'hui déchainés, Goûtez l'unique bien des cæurs infortunés ;

Ne soyez pas seuls misérables.
Ma rivale m'expose à des maux effroyables ;
Qu'elle ait part aux tourmens qui vous sont destinés !

Non, les enfers impitoyables
Ne pourront inventer des horreurs comparables

Aux tourmens qu'elle m'a donnés.
Goûtons l'unique bien des cæurs infortunés,

Ne soyons pas seuls misérables.

Les Géans terrassés

Les superbes géans, armés contre les dieux,

Ne nous causent plus d'épouvante :
Ils sont ensevelis sous la masse pesante
Des monts qu'ils entassaient pour attaquer les cieux.
Nous avons vu tomber leur chef audacieux

Sous une montagne brûlante.
Jupiter l'a contraint de vomir à nos yeux
Les restes enflammés de sa rage mourante.

Jupiter est victorieux,
Et tout cède à l'effort de sa main foudroyante.

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