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que la loi de Dieu, à laquelle je me suis attaché, m'interdit toute vengeance, tout jugement, toute injure que je pourrais faire aux autres, et qui les pourrait soulever contre moi.

Paix inébranlable de ma part même : comment? parce que cette soumisson à la loi de Dieu, tient toutes mes passions dans le calme, ou du moins toutes mes passions sujettes à ma raison ; et dès qu'elles sont une fois sujettes à ma raison, elles ne troublent plus mon cæur: la colère ne m'emporte plus, la tristesse ne m'accable plus : j'obéis a Dieu, et quand j'obéis à Dieu, toutes mes passions m'obéissent; Dieu règne en moi, et par une suite naturelle, il me fait régner moi-même sur moi-même.

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Bourdaloue entra à l'âge de 16 ans chez les jésuites de sa province. Ses grands talens qui se développèrent bientôt dans cette société, en. gagèrent ses supérieurs, à l'envoyer à Paris, où il ne tarda pas à se montrer avec éclat. Ses sermons attirèrent une foule d'auditeurs. Louis XIV. qui entendit parler de Bourdaloue, le désigna lui-même pour prêcher devant lui, et après l'avoir entendu, voulut l'avoir tous les deux ans pour prédicateur : "J'aime mieux ses redites,” disait-il, que les choses nouvelles d'un autre.” Ce qui distingue principale ment ses sermons, c'est la force du raisonnement; et vraiment les idées en sont si bien liées les unes avec les autres, qu'elles forment un tout dont il est très difficile de détacher des morceaux. est d'ailleurs si clair qu'il est à la parte de tout le monde. Personne n'a jamais prêché une morale plus pure. Boileau, Voltaire et la Harpe l'ont regardé coinme un des hommes qui font le plus d'honneur à la France et à la religion. “Bourdaloue fut la premier qui eut toujours dans la chaire l'éloquence de la raison" (Voltaire et la Harpe.)

Son style

ESPRIT FLÉCHIER,

né en 1632 à Perne, dans le département de Vaucluse, et mort

à Montpellier en 1710.

Extrait de l'Oraison funèbre de Turenne.

“Tout le peuple le pleura amèrement; et après avoir pleuré durant plusieurs jours, ils s'écrièrent: comment est mort cet homme puissant, qui sauvait le peuple d'Isaël!” 1. Mach. c. 9.

Je ne puis, messieurs, vous donner d'abord une plus haute idée du triste sujet dont je viens vous entretenir, qu'en recueillant ces termes nobles et expressifs, dont l'Ecriture Sainte se sert pour louer la vie, et pour déplorer la mort du sage et vaillant Machabée. Cet homme, qui portait la gloire de sa nation jusqu'aux extrémités de la terre, qui couvrait son camp de boucliers, et forçait celui des ennemis avec l'épée; qui donnait à des rois ligués contre lui, des déplaisirs mortels, et réjouissait Jacob

par ses vertus et par ses exploits, dont la mémoire doit être éternelle.

Cet homme qui défendait les villes de Juda, qui domptait l'orgueil des enfans d'Ammon et d’Esaü; qui revenait chargé des dépouilles de Samarie, après avoir brûlé sur leurs propres

autels les dieux des nations étrangères ; cet homme

qne

Dieu avait mis autour d'Israël, comme un mur d'airain, où se brisèrent tant de fois toutes les forces de l'Asie, et qui après avoir défait de nombreuses armées, déconcerté les plus fiers et les plus habiles généraux des rois de Syrie, venait tous les ans, comme le moindre des Israélites, réparer avec ses mains triomphantes les ruines du sanctuaire, et ne voulait d'autre récompense des services qu'il rendait à sa patrie, que l'honneur de l'avoir servie.

Ce vaillant homme poussant enfin, avec un courage invincible, les ennemis qu'il avait réduits à une fuite honteuse, reçut le coup mortel, et demeura comme enseveli

tans.

dans son triomphe. Au premier bruit de ce funeste accident, toutes les villes de Judée furent émues ; des ruisseaux de larmes coulèrent des yeux de tous leurs habi

Ils furent quelque temps saisis, muets, immobiles. Un effort de douleur rompant enfin ce long et morne silence, d'une voix entrecoupée de sanglots, que formaient dans leurs creurs la tristesse, la pitié et la crainte, ils s'écrièrent: Comment est mort cet homme puissant qui sauvait le peuple d'Israël! A ces cris, Jérusalem redoubla ses pleurs ; les voûtes du temple s'ébranlèrent; le Jourdain se troubla, et tous ses rivages retentirent du son de ces lugubres paroles : comment est mort, &c.

Chrétiens, qu'une triste cérémonie assemble en ce lieu, ne rappellez-vous pas en votre mémoire ce que vous avez vu, ce que vous avez senti il y a cinq mois? ne vous reconnaissez-vous pas dans l'affliction que j'ai décrite? et ne mettez-vous pas dans votre esprit à la place du héros dont parle l'Ecriture, celui dont je viens vous parler? La vertu et le malheur de l'un et de l'autre sont semblables; et il ne manque aujourd'hui à ce dernier, qu'un éloge digne de lui. O si l'esprit divin, esprit de force et de vérité, avait enrichi mon discours de ces images vives et naturelles, qui représentent la vertu, et qui la persuadent tout ensemble, de combien de nobles idées remplirais-je vos esprits, et quelle impression ferait sur vos cæurs le récit de tant d'actions édifiantes et glorieuses !

Quelle matière fut jamais plus disposée à recevoir tous les ornemens d'une grave et solide éloquence, que la vie et la mort du prince Henri de la Tour d'Auvergne, vicomte de 'Turenne, maréchal-général des camps et armées du roi, et colonel-général de la cavaliere légère? Où brillent avec plus d'éclat les effets glorieux de la vertu militaire, conduites d'armées, siéges de places, prises de villes, passages de rivières, attaques hardies, retraites honorables, campemens bien ordonnés, combats soutenus, batailles gagnées, ennemis vaincus par la force, dissipés par l'adresse, lassés et consumés par une sage et noble patience? Où peut-on trouver tant et de si puissans exemples, que dans les actions d'un homme sage, modeste, libéral

, désintéressé dévoué au service de la patrie, grand dans l'adversité par son courage, dans la prospérité par sa modestie,

dans les difficultés par sa prudence, dans les périls par sa valeur, dans la religiou par sa piété?

Quel sujet peut inspirer des sentimens plus justes et plus touchans, qu’une mort soudaine et surprenante, qui a suspendu le cours de nos victoires, et rompu les plus douces espérances de la paix? Puissances ennemies de la France, vous vivez, et l'esprit de la charité chrétienne m'interdit de faire aucun souhait pour votre mort. Puissiez-vous seulement reconnaître la justice de nos armes, recevoir la paix que, malgré vos pertes, vous avez tant de fois refusée, et dans l'abondance de vos larmes éteindre les feux d'une guerre que vous avez malheureusement allumée! A Dieu ne plaise que je porte mes souhaits plus loin ; les jugemens de Dieu sont impénétrables. Mais vous vivez, et je plains en cette chaire un sage et vertueux capitaine, dont les intentions étaient pures et dont la vertu semblait mériter une vie plus longue et plus étendue...

Son courage, qui n'agissait qu'avec peine dans les malheurs de sa patrie, sembla s'échauffer dans les guerres étrangères, et l'on vit redoubler sa valeur. N'entendez pas par ce mot, messieurs, une hardiesse vaine, indiscrète, emportée, qui cherche le danger pour le danger même ; qui s'expose sans fruit, et qui n'a poúr but que la réputation et les vains applaudissemens des hommes. Je parle d'une hardiesse sage et réglée, qui s'anime à la vue des ennemis ; qui dans le péril même pourvoit à tout, et prend tous ses avantages, et qui se mesure forces; qui entreprend les choses difficiles, et ne tente pas les impossibles ; qui n'abandonne rien au hasard de ce qui peut être conduit par la veriu ; capable enfin de tout oser, quand le conseil est inutile, et prête à mourir dans la victoire, ou à survivre à son malheur, en accomplissant ses devoirs.

J'avoue, messieurs, que je succombe ici sous le poids de mon sujet. Ce grand nombre d'actions dont je dois parler m'embarrasse; je ne puis les décrire toutes, et je voudrais n'en omettre aucune. Que n'ai-je le secret de graver dans vos esprits un plan invisible et raccourci de la Flandre et de l'Allemagne!..

Je pourrais, messieurs, vous montrer vers les bords du Rhin autant de trophées que sur les bords de l'Escaut et de

avec ses

la Sambre. Je pourrais vous décrire des combats gagnés, des rivières et des défilés passés à la vue des ennemis, des plaines teintes de leur sang, des montagnes presque inaccessibles traversées pour les aller repousser loin de nos frontières. Mais l'éloquence de la chaire n'est pas propre au récit des combats et des batailles : la langue d'un prêtre destinée à louer Jésus-Christ, le sauveur des hommes, ne doit pas être employée à parler d'un art qui tend à leur destruction ; et je ne viens pas vous donner des idées de meurtre et de carnage devant cet autel où l'on n'offre plus le sang des taureaux en sacrifice au Dieu des armées, mais au Dieu de miséricorde et de paix une victime non sanglante.

La valeur n'est qu'une force aveugle et impétueuse, qui se trouble et se précipite, si elle n'est éclairée et conduite par la probité et par la prudence ; et le capitaine n'est pas accompli, s'il ne renferme en soi l'homme de bien et l'homme sage. Quelle discipline peut établir dans un camp, celui qui ne sait régler ni son esprit, ni sa conduite ? Et comment saura calmer ou émouvoir selon ses desseins dans une armée, tant de passions différentes, celui qui ne sera pas maître des siennes ? Aussi l'esprit de Dieu nous apprend dans l'Ecriture, que l'homme prudent l'emporte sur le courageux, que la sagesse vaut mieux que les armes des

gens

de

guerre, et que celui qui est patient et modéré, est quelquefois plus estimable que celui qui prend des villes, et qui gagne des batailles.

Après avoir montré dans un tableau vif et animé, toute la bril. lante carrière de son héros, l'orateur continue ainsi :

O Dieu terrible, mais juste en vos conseils sur les enfans des hommes, vous disposez et des vainqueurs et des victoires! Pour accomplir vos volontés et faire craindre vos jugemens, votre puissance renverse ceux que votre puissance avait élevés. Vous immolez à votre souveraine grandeur de grandes victimes ; et vous frappez, quand il vous plait, ces têtes illustres que vous avez tant de fois couronnées.

N'attendez pas, messieurs, que j'ouvre ici une scène tragique, que je représente ce grand homme étendu sur

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