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à coup dans un abime d'amertume, parlera assez haut; et s'il n'est pas permis aux particuliers de faire des leçons aux princes sur des événement si étranges, un roi me prête ses paroles pour leur dire: Et nunc, Entendez, ô grands de la terre ; instruisez-vous, arbitres du monde..

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Extrait de l'Oraison funèbre de Henriette-Anne d'An

gleterre, duchesse d'Orléans. (Prononcée le 21 août 1670.)

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J'étais donc encore destiné à rendre ce devoir funèbre à Henriette-Anne d'Angleterre. Elle, que j'avais vue si attentive pendant que je rendais le même devoir à la reine sa mère, devait être sitôt après le sujet d'un discours semblable ; et ma triste voix était réservée à ce déplorable ministère. O vanité ! ô néant! ô mortels ignorans de leurs destinées ! L'eût-elle cru il y a dix mois ? et vous, messieurs, eussiez-vous pensé, pendant qu'elle versait tant de larmes en ce lieu, qu'elle dût sitôt vous y rassembler pour la pleurer elle-même ?

6. Vanité des vanités, et tout est vanité." C'est la seule parole qui me reste; c'est la seule réflexion que me permet, dans un accident si étrange, une si juste et si sensible douleur. Aussi n'ai-je point parcouru les livrés sacrés, pour y trouver quelque texte que je puisse appliquer à cette princesse. J'ai pris sans étude et sans choix les premières paroles que présente l'Ecclésiaste, où quoique la vanité ait été si souvent nommée, elle ne l'est pas assez à mon gré pour le dessein que je me propose. Je veux dans un seul malheur déplorer toutes les calamités du genre humain, et dans une seule mort faire voir la mort et le néant de toutes les grandeurs humaines. Ce texte qui convient à tous les états et à tous les événemens de notre vie, par une raison particulière devient propre à mon lamentable sujet; puisque jamais les vanités de la terre n'ont été si clairement découvertes, ni și hautement confondues. Non, après ce que nous venons de voir, la santé n'est qu'un nom, la vie n'est qu'un songe, la gloire n'est qu'une ap

parence, les grâces et les plaisirs ne sont qu'un dangereux amusement; tout est vain en nous, excepté le sincère aveu que nous fesons devant Dieu de nos vanités, et le jugement arrêté qui nous fait mépriser tout ce que nous sommes.

Mais, dis-je la vérité ? L'homme que Dieu a fait à son image, n'est-il qu'une ombre ? Ce que Jésus-Christ est venu chercher du ciel en la terre, ce qu'il a cru pouvoir, sans se ravilir, acheter de tout son sang, n'est-ce qu'un rien! Reconnaissons notre erreur. Sans doute ce triste spectale des vanités humaines nous imposait; et l'espérance publique frustrée tout à coup par la mort de cette princesse, nous poussait trop loin. Il ne faut pas perinettre à l'homme de se mépriser tout entier, de peur que, croyant avec les impies que notre vie n'est qu'un jeu où règne le hasard, il ne marche sans règle et sans conduite au gré de ses aveugles désirs. C'est pour cela que l'ecclésiaste, après avoir commencé son divin ouvrage par les paroles que j'ai réciteés, après avoir rempli toutes les pages du mépris des choses humaines, veut enfin montrer à l'homme quelque chose de plus solide, et conclut son discours, en lui disant: “Crains Dieu, et garde ses commandemens ; car c'est tout l'homme : et sache que le Seigneur examinera dans son jugement tout ce que nous aurons fait de bien ou de mal.Ainsi tout est vain en l'homme, si nous regardons ce qu'il donne au monde; mais au contraire, tout est important, si nous considérons ce qu'il doit à Dieu. Encore une fois, tout est vain en l'homme, si nous regardons le cours de sa vie mortelle ; mais tout est précieux, tout est important, si nous contemplons le terme où elle aboutit, et le compte qu'il en faut rendre. Méditons donc aujourd'hui à la vue de cet autel et de ce tombeau, la première et la dernière parole de l'ecclésiaste; l'une qui montre le néant de l'hum me, l'autre qui établit sa grandeur. Que ce tombeau nous convainque de notre néant, pourvu que cet autel où l'on offre tous les jours pour nous une victime d'un si grand prix, nous apprenne en même temps notre dignité. La princesse que nous pleurons sera un temoin fidèle de l'un et de l'autre. Voyons ce qu'une mort soudaine lui a ravi ; voyons ce qu'une sainte mort lui a donné. Ainsi nous apprenons à mépriser ce qu'elle a quitté sans peine, afin d'attacher toute notre estime à ce qu'elle a embrassé avec tant d'ardeur, lorsque son ame épurée de tous les sentimens de la terre, et pleine du ciel où elle touchait, a vu la lumière toute manifeste. Voilà les vérités que j'ai à traiter.

De quelque superbe distinction que se flattent les hommes, ils ont tous une même origine ; et cette origine est petite. Leurs années se poussent successivement comme des flots : ils ne cessent de s'écouler ; tant qu'enfin après avoir fait un peu plus de bruit, et traversé un peu plus de pays les uns que les autres, ils vont tous ensemble se confondre dans un abîme où l'on ne reconnaît plus ni princes, ni rois, ni toutes ces autres qualités superbes qui semblent distinguer les hommes ; de même que ces fleuves tant vantés demeurent sans nom et sans gloire, mêlés dans l'océan avec les rivières les plus inconnues.

La grandeur et la gloire ! Pouvons-nous encore entendre ces noms dans ce triomphe de la mort ? Non, messieurs, je ne puis plus soutenir ces grandes paroles, par lesquelles l'arrogance humaine tâche de s'étournir elle-même, pour ne pas apercevoir son néant. Il est temps de faire voir que tout ce qui est mortel, quoi qu'on ajoute par le dehors pour le faire paraître grand, est, par son fonds, incapable d'élévation. Ecoutez, à ce propos, le profond raisonnement, non d’un philosophe qui dispute dans une école, ou d'un religieux qui médite dans un cloître: je veux confondre le monde par ceux que le monde même révère le plus, par ceux qui le connaissent le mieux, et ne veux lui donner pour le convaincre que des docteurs assis sur le trône. 10 Dieu! dit le roi prophète, vous avez fait mes jours mesurables, et ma substance n'est rien devant vous !!!

Bossuet fit connaître de très bonne heure les grands talens qu'il déploya par la suite, et qui l'ont fait placer au rang des premiers ora. teurs et des meilleurs écrivains Présenté à l'age de seize ans à l'hotel de Rambouillet, il prononça sans être préparé, sur un sujet qu'on lui donna, un discours qui le fit regarder comine un prodige par tous les beaux esprits qui s'y rassemblaient. Ayant été choisi pour précher l'avent à la cour en 1661, et le carême en 1662, il plut si fort à ses auditeurs, que le roi écrivit au père du prédicateur, alors intendant de Soissons, pour le féliciter d'avoir un fils qui l'immortaliserait.

Quelques années après il fut nommé à l'évêché de Condom, dont il se démit pour se livrer tout entier à l'éducation du Dauphin. C'est pour son élève qu'il coinposa le célèbre Discours sur l'Histoire uni. verselle, et sa Politique sacrée. Ses Oraisons funèbres furent prononcées à différens temps. Ses Sermons furent trouvées et publiés par le cardinal Maury. Ses excellens ouvrages de controverse lui firent donner de son vivant le nom de Père de l'église: zélé pour la Foi, il désirait l'étendre partout ; et pour y réussir, il avait formé un plan propre à réunir toutes les communions chrétiennes. On connait sa réponse à Louis XIV à l'occasion de sa dispute avec Féné. lon: "qu'auriez-vous fait, si j'avais protégé M. de Cambrai ?" lui demanda le roi. "Sire," répondit-il, « j'aurais crié vingt fois plus haut; quand on défend la vérité, on est assuré de triompher tot ou tard.”. C'est ce grand homme qui défendit les libertés de l'église gallicane contre les prétentions de la cour de Rome, et qui fut l'auteur de la célèbre déclaration du clergé de France en 1682.

Bossuet est regardé comme le plus éloquent des orateurs, tant an. ciens que modernes. Rien ne peut être comparé à ses oraisons funébres. “Quel discours de Cicéron ou de Démosthène ne s'éclipserait point devant ces chefs-d'œuvre ?' Jamais les rois ont-ils reçu de pareilles leçons, jarnais la philosophie s'exprima-t-elle avec plus d'indépendance ? Le diadême n'est rien aux yeux de l'orateur; par lui, le pauvre est égalé au monarque, et le potentat le plus absolu. du globe est obligé de s'entendre dire, devant des milliers de témoins, que toutes ses grandeurs ne sont que vanité, que sa puissance n'est qu'un songe, qu'il n'est lui-même que poussière, et que ce qu'il prend pour un trône n'est qu'un tombeau!" (CHATEAUBRIANT.)

"Indeed the most eloquent, perhaps. of all modern orators, is Bos. suet the Bishop of Meaux.” (Blair.)

DOMINIQUE BOUHOURS,

né à Paris en 1628, mort dans la même ville, en 1702.

Lettre au Comte de Bussy. (1)

PARIS, 6 février, 1675. J'ai reçu votre lettre, monsieur, avec toute la joie que donnent les lettres qu'on souhaite extrêmement, et qu'on n'attend presque plus. Je ne savais à qui me prendre de votre silence : il ne s'en est rien fallu que je ne m'en soit pris à cette résignation que le ciel vous a donnée depuis peu, et qui vous a un peu endurci. A vous parler franchement, monsieur, quelque zèle que j'aie pour votre repos et pour votre salut, je ne serais pas bien aise que vous fussiez si philosophe et si chrétien pour moi.

Je suis ravi que Dieu entre un peu dans vos réflexions, et que vous regardiez comme une faveur du ciel ce qui est une disgrâce aux yeux du monde. Croyez-moi, monsieur, votre mauvaise fortune en est une bonne pour vous, à parler chrétiennement. La providence a des desseins de miséricorde sur nous lorsqu'elle nous afflige; et les chemins les plus rudes sont d'ordinaire les plus sûrs pour alter où elle nous conduit. Mais parlons d'autre chose : pour peu que je continuasse sur le même ton, vous prendriez ceci pour un sermon; et je craindrais de vous endormir.

Enfin nous avons un confesseur du roi ; c'est le père La Chaise, homme de mérite et de qualité, qui a de l'esprit, du savoir, un grand fonds d'honneur et une droiture

(1) Roger, comte de Bussy-RABUTIN, naquit en 1618, et mourut à Autun en 1693. Son Histoire amoureuse des Gaules, écrite avec beaucoup d'art et de vérité, n'étant que l'histoire bien connue des dames d'Olonne et de Chatillon, le fit exclure de la cour et lui attira des persécutions. Il se consola dans la culture des lettres. Outre l'ouvrage dont on vient de parler, on a encore de lui des lettres, quelques poésies, des discours à ses enfans, etc. Bursy était cousin de Mme de Sévigné. Il a été de l'Académie française.

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