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MARIE DE RABUTIN, MARQUISE DE

SÉVIGNE,

née en 1626, et morte au Château de Grignan en 1696.

Lettre à sa Fille.

Il me semble, ma chère enfant, que j'ai été trainée malgré moi à ce point fatal où il faut souffrir la vieillesse ; je la vois, m'y voilà : et je voudrais bien au moins ménager de ne pas aller plus loin, de ne point avancer dans ce chemin des infirmités, des douleurs, des pertes de mémoire, des défiguremens qui sont près de m'outrager; mais j'entends une voix qui dit: il faut marcher malgré vous ; ou bien, si vous ne voulez pas, il faut mourir, qui est une autre extrémité à quoi la nature répugne. Voilà pourtant le sort de tout ce qui avance un peu trop; mais un retour à la volonté de Dieu, et à cette loi universelle qui nous est imposée, remet la raison à sa place, et fait prendre patience. Prenez-la donc aussi, ma très-chère ; et que votre amitié trop tendre ne vous fasse point jeter des larmes que votre raison doit condamner.

Outre une figure pleine de grâce et de beauté cette femme avait beaucoup d'esprit, ce qui la fit rechercher par tout ce qu'il y avait alors de plus distingué. Elle donna la préférence au marquis de Sévigné, et ce mariage ne fut pas beureux. Son mari ayant été tué en duel, elle refusa de se remarier pour se dévouer tout entière à l'éducation de ses enfans. La tendresse qu'elle eut toute sa vie pour sa fille, donna lieu à une correspondance suivie qu'elle entretint avec elle, et qui produisit ces lettres célèbres qu’on a tant admirées à cause de la simplicité, de l'aisance avec laquelle elles sont écrites, et de la rare tendresse maternelle qui les dicta.

JACQUES-BENIGNE BOSSUET,

né à Dijon en 1627, mort à Meaux en 1704.

Marche et rapidité de la Vie.

La vie humaine est semblable à un chemin, dont l'issue est un précipice affreux : on nous en avertit dès le premier pas; mais la loi est prononcee, il faut avancer toujours. Je voudrais retourner sur mes pas; marche, marche. Un poids invisible, une force invincible nous entraine ; il faut sans cesse avancer vers le précipice. Mille traverses, mille peines nous fatiguent et nous inquiètent dans la route : encore si je pouvais éviter ce précipice affreux. Non, non, il faut marcher, il faut courir, telle est la rapidité des années. On se console pourtant, parce que de temps en temps on rencontre des objets qui nous divertissent, des eaux courantes, des fleurs qui passent. On voudrait arrêter; marche, marche. Et cependant on voit tomber derrière soi tout ce qu'on avait passé ; fracas effroyable, inévitable ruine! On se console, parce qu'on emporte quelques fleurs cueillies en passant, qu'on voit se faner entre ses mains du matin au soir ; quelques fruits qu'on perd en les goûtant: enchantement! Toujours entrainé, tu approches du gouffre: déjà tout commence à s'effacer ; les jardins moins fleuris, les fleurs moins brillantes, leurs couleurs moins vives, les prairies moins riantes, les eaux moins claires ; tout se ternit, tout s'efface: l'ombre de la mort se présente; on commence à sentir l'aproche du gouffre fatal. Mais il faut aller sur le bord, encore un pas. Déjà l'horreur trouble les sens, la tête tourne, les yeux s'égarent, il faut marcher. On voudrait retourner en arrière ; plus de moyens : tout est tombé, tout est évanoui, tout est échappé.

Je n'ai pas besoin de vous dire que ce chemin, c'est la vie ; que ce gouffre, c'est la mort.

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Alexandre.

Deux rois courageux commencèrent ensemble leur règne ; Darius, fils d’Arsame, et Alexandre, fils de Philippe. Ils se regardaient d'un wil jaloux, et semblaient nés pour disputer l'empire du monde. Mais Alexandre voulut s'affermir avant d'entreprendre son rival. Il vengea la mort de son père ; il dompta les peuples rebelles qui méprisaient sa jeunesse ; il battit les Grecs qui tentèrent vainement de secouer le joug, et ruina Thèbes ou il n'épargna que la maison et les descendans de Pindare, dont la Grèce admirait les odes. Puissant et victorieux, il marche après tant d'exploits à la tête des Grecs contre Darius, qu'il défait en trois batailles rangées, entre triomphant dans Babylone et dans Suze, détruit Persépolis, ancien siége des rois de Perse, pousse ses conquêtes jusqu'aux Indes, et vient mourir à Babylone, âgé de trente-trois ans.

Auguste.

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Tout cède à la fortune de César: Alexandrie lui ouvre ses portes ; l'Egypte devient une province romaine; Cléopatre qui dés espère de la pouvoir conserver, se tue ellemême après Antoine : Rome tend les bras à César, qui demeure, sous le nom d'Auguste et sous le titre d’empereur, seul maître de tout l'empire. Il dompte, vers les Pyrénées, les Cantabres et les Asturiens révoltés. L'Ethiopie lui demande la paix ; les Parthes épouvantés lui renvoient les étendards pris sur Crassus, avec tous les prissoniers romains ; les Indes recherchent son alliance : ses armes se font sentir aux Rhètes ou Grisons, que leurs montagnes ne peuvent défendre; la Pannonie le reconnaît; la Germanie le redoute, et le Veser reçoit ses lois. Victorieux par mer et par terre, il ferme le temple de Janus. Tout l'univers vit en paix sous sa puissauce, et JésusChrist vient au monde.

Anciens Romains.

De tous les peuples du monde le plus fier et le plus hardi, mais tout ensemble le plus réglé dans ses conseils, le plus constant dans ses maximes, le plus avisé, le plus laborieux, et enfin le plus patient, a été le peuple Romain.

De tout cela s'est formé la meilleure milice et la politique la plus prévoyante, la plus ferme, et la plus suivie qui fût jamais.

Le fond d'un romain, pour ainsi parler, était l'amour de sa liberté et de sa patrie. Une de ces choses lui fesait aimer l'autre : car parce qu'il aimait sa liberté, il aimait aussi sa patrie comme une mère qui le nourrisait dans des sentimens également généreux et libres.

Sous ce nom de liberté, les Romains se figuraient avec les Grecs un état où personne ne fût sujet que de la loi, et où la loi fût plus puissante que les hommes.

La liberté leur était un trésor qu'ils préféraient à toutes les richesses de l'univers. Aussi dans leurs commencemens et même bien avant dans leurs progrès, la pauvreté n'était pas un mal pour eux: au contraire, ils la regardaient comme un moyen de garder leur liberté plus entière, n'y ayant rien de plus libre ni de plus indépendant qu'un homme qui sait vivre de peu, et qui sans rien attendre de la protection ou de la libéralité d'autrui, nc fonde sa subsistance que sur son industrie et sur son travail. .

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Extrait de l'Oraison funèbre de Henriette-Marie de

France, reine d'Angleterre. (16 Novembre, 1669.)

Celui qui règne dans les cieux, et de qui relèvent tous les empires, à qui seul appartient la gloire, la majesté et l'indépendance, est aussi le seul qui se glorifie de faire la loi aux rois, et de leur donner quand il lui plait, de grandes et terribles leçons. Soit qu'il élève les trônes, soit qu'il les abaisse, soit qu'il communique sa puissance aux princes, soit qu'il la retire à lui même, et ne leur

laisse que leur propre faiblesse ; il leur apprend leurs devoirs d'une manière souveraine et digne de lui. Car en leur donnant la puissance, il leur commande d'en user comme fait lui-même pour le bien du monde ; et il leur fait voir en la retirant, que toute leur majesté est empruntée, et que pour être sur le trône ils n'en sont pas moins sous sa main et sous son autorité suprême. C'est ainsi qu'il instruit les princes, non seulement par des discours et par des paroles, mais encore par des effets et par des exemples. Et nunc, reges, intelligite ; erudimini, qui judicatis terram.

Chrétiens, que la mémoire d'une grande reine, fille, femme, mère de rois si puissans, et souveraine de trois royaumes, appelle de tous côtés à cette triste cérémonie ; ce discours vous fera paraître un de ces exemples redoutables, qui étalent aux yeux du monde sa vanité tout entière. Vous verrez dans une seule vie toutes les extrémités des choses humaines : la félicité sans bornes, aussi bien que les misères ; une longue et paisible jouissance d'une des plus pobles couronnes de l'univers ; tout ce que peuvent donner de plus glorieux la naissance et la grandeur accumulées sur une tête, qui ensuite est exposée à tous les outrages de la fortune ; la bonne cause d'abord suivie de bons succès, et depuis, des retours soudains; des changemens inouïs ; la rébellion long-temps retenue, à la fin tout-à-fait maîtresse ; nul frein à la licence ; les lois abolies ; la majesté violée par des attentats jusqu'alors inconnus; l'usurpation et la tyrannie sous le nom de liberté ; une reine fugitive qui ne trouve aucune retraite dans trois royaumes, et à qui sa propre patrie n'est plus qu'un triste lieu d'exil, neuf voyages sur mer entrepris par une princesse, malgré les tempêtes; l'océan étonné de se voir traversé tant de fois en des appareils si divers, et pour des causes si différentes ; un trône indignement renversé, et miraculeusement rétabli. Voilà les enseignemens que Dieu donne aux rois : ainsi fait-il voir au monde le néant de ses pompes et de ses grandeurs. Si les paroles nous manquent, si les expressions ne répondent pas à un sujet si vaste et si relevé, les choses parleront assez d'ellesmêmes. Le ceur d'une grande reine, autrefois élevé par une si longue suite de prospérités, et depuis plongé tout

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