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Que j'ai presque regret à la fière Uranie.
J'ai regret à Philis, encor qu'elle aime mieux
L'indiscret Alidor, la honte de ces lieux ;
Qu'elle soit mille fois plus changeante que l'onde ;
Qu'elle soit brune encore, et que vous soyez blonde.

Hélas ! de vains désirs si long-temps inflammé,
Faut-il toujours aimer où l'on n'est point aimé ?
Hélas ! de quel espoir est ma faute suivie,
Si lorsque dans les pleurs je consume ma vie,
Celle pour qui je souffre un sort si rigouréux
Trouve tant de plaisir à me voir malheureux ?
En mille et mille lieux de ces rives champêtres
J'ai gravé son beau nom sur l'écorce des hêtres ;
Sans qu'on s'en aperçoive il croîtra chaque jour :
Hélas ! sans qu'elle y songe ainsi croît mon amour!
Pour éclairer autrui comme un flambeau s'allume,
Pour en servir une autre ainsije me consume.
Ah! si du même trait dont mon caur est blessé...
Mais ne pursuivons point ce discours insensé.
Je serai trop heureuz, belle et jeune Climène,
S'il vous plait seulement consentir à ma peine.

N'ai-je point quelque agneau dont vous ayez désir? Vous l'aurez aussitôt: vous n'avez qu'à choisir ; Et si Pan le défend de tout regard funeste, Aux yeux des enchanteurs j'abandonne le reste. Pan á soin des brebis, Pan a soin des pasteurs, Et Pan me peut venger de toutes vos rigueurs. Il aime, je le sais, il aime ma musette : De mes rustiques airs aucun il ne rejète ; Et la chaste Pallas, race du roi des dieux, A trouvé quelquefois mon chant mélodieux, Sous ses feuillages verts venez, venez m'entendre ; Si ma chanson vous plaît, je vous la veux apprendre. Que n'eût point fait Iris pour en apprendre autant? Iris que j'abandonne, Iris qui m'aimait tant ! Si vous vouliez venir, ô miracle des belles ; Je vous enseignerais un nid de tourterelles ; Je veux vous les donner pour gage de ma foi, Car on dit qu'elles sont fidèles comme moi.

Climène, il ne faut point mépriser nos bocages; Les dieux ont autrefois aimé nos pâturages,

a

Et leurs divines mains, aux rivages des eaux,
Ont porté la houlette et conduit les troupeaux.
L'aimable déité qu'on adore à Cythère,
Du berger Adonis se fesait la bergère ;
Hélène aima Pâris et Pâris fut berger.
Et berger on le vit les deésses juger.

Quiconque sait aimer peut devenir aimable:
Tel fut toujours d'amour l'arrêt irrévocable ;
Hélas ! et pour moi seul change-t-il cette loi ?
Rien n'aime tant que vous, rien n'aime comme moi.

Segrais n'avait que 20 ans, lorsque le comte de Fiesque se retira à Caen. Ce courtisan, charmé de l'esprit du jeune poète, l'emmena à Paris et le plaça chez Mlle. de Montpensier. Segrais y demeura, mais ayant désapprouvé le mariage de cette princesse avec le fameux Lauzun, il fut obligé de la quitter, et se retira chez Mme. de la Fay. ette. Il y prit part a la composition de Zaide. Enfin, lassé du grand monde, il se retira dans sa patrie, où il cultiva les lettres jusqu'à sa mort. Il avait réuni chez lui toute l'Académie de sa ville. De toutes les poésies de Segrais, on ne lit guére à présent que ses Eglogues, où l'on trouve d'heureuses imitations de Virgile. Son poème d'Atis offre des passages très-agréables. En général la pèosic de Segrais a du na. turel, de la douceur et du sentiment, mais elle est faible ; ses images sont bien saisies, mais elles manquent souvent de coloris. On a encore de lui quelques tragédies, et des opéras.

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PAUL PÉLISSON,

né à Beziers (Hérault) en 1624, mort à Versailles en 1693.

Passage d'un de ses Mémoires pour Fouquet.

Et vous, grand prince (car je ne puis m'empêcher de finir ainsi qne j'ai commencé par votre majesté même, c'est un dessein digne sans doute de sa grandeur, mais ce n'est pas un petit dessein que de réformer la France. Il a été moins long et moins difficile à votre majesté de vaincre l'Espagne. Qu'elle regarde de tous côtes: tout a besoin de sa main, mais d'une main douce, tendre, salutaire, qui ne tue point pour guérir, qui secoure, qui corrige et répare la nature sans la détruire. Nous sommes tous hommes, Sire, nous avons tous failli, nous avons tous désiré d'être considérés dans le monde, nous avons vu que sans bien on ne l'était pas ; il nous a semblé que sans lui toutes les portes nous étaient fermées, que sans lui nous ne pouvions pas même montrer notre talent et notre mérite, si Dieu nous en avait donné, non pas même servir votre majesté quelque zèle que nous eussions pour son service. Que n'aurions-nous pas

fait

pour ce bien, sans lequel il nous était impossible de rien faire ? Votre majesté, Sire, vient de donner au monde un siècle nouveau, où ses exemples plus que ses lois mêmes et que ses châtimens commencent à nous changer. Nous le voyons, sire, nous le sentons avec joie, s'il y a toujours à l'avenir comme on ne le peut empêcher, de grandes fortunes pour la mauvaise foi et pour l'injustice, il y aura désormais des récompenses et des établissemens honnêtes pour la fidélité et pour la vertu.

Si la constitution de l'état et mille autres raisons considérables font que les charges doivent demeurer vénales, il y en aura, du moins, quelque nombre de chaque espèce pour le seul mérite, pour les grâces de votre majesté. Cet homme de bien qui ne songe qu'à Dieu et à son étude, non pas même à votre majesté ni à son pou

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voir, apprendra tout d'un coup qu'elle l'a honoré d'un grand bénéfice, et il doutera long-temps si c'est une vision ou une vérité. Nous serons tous gens d'honneur pour être heureux, et courrons après la gloire comme nous courions après l'argent, mourant de honte si nous n'étions pas dignes sujets d'un si grand roi; par là véritablement, et par cette seconde formation de nos esprits et de nos meurs, le père de tous ses peuples. Mais quant à notre conduite passée, sire, que votre majesté s’accommode, s'il lui plait, à la faiblesse et à l'infirinité de ses enfans. Nous n'étions pas nés dans la république de Platon, ni même sous les premières lois d'Athènes, écrites de sang, ni sous celles de Lacédémone, où l'argent et la politesse étaient un crime; mais dans la corruption des temps, dans le luxe inséparable de la prospérité des états, dans l'indulgence française, dans la plus douce des monarchies, non seulement pleine de liberté, mais de licence. Il ne nous était pas aisé de vaincre notre naissance et notre mauvaise éducation. Nous aimons tous votre majesté. Que rien ne nous rende auprès d'elle si odieux et si détestables ; et que s'empêchant de faillir comme si elle ne pardonnait jamais, elle pardonne néanmoins comme si elle sesait tous les jours des fautes; et, quant au particulier dont j'ai entrepris la défense, la colère de votre majesté, sire, s'emporterait-elle contre une feuille sèche que le vent emporte? Car à qui appliquerait-on plus à propos ces paroles que disait autre

છે fois à Dieu même l'exemple de la pénitence et de la misère, qu'à celui qui par le courroux du ciel et de votre majesté s'est vu enlever en un seul jour, et comme d'un coup de foudre, biens, honneurs, réputation, serviteurs, famille, amis et santé, sans consolation et sans commerce qu'avec ceux qui viennent pour l'interroger et pour l'accuser? Encore que ses accusations soient incessemment aux oreilles de votre majesté, et que ses défenses n'y soient qu'un moment ; encore qu'on n'ose presque espérer qu'elle voie dans un si long discours ce qu'on peut dire pour lui sur ces abus de finances, sur ces millions, sur ces avances, sur ce toit de donner des commiss es, dont on entretient à toute heure votre majesté contre lui, je ne me rebuterai point, car je ne veux point douter auprès d'elle s'il est coupable;

mais je ne saurais douter s'il est malheureux. Je ne veux point savoir ce qu'on dira s'il est puni ; mais j'entends déjà avec espérance, avec'joie, ce que tout le monde doit dire de votre majesté, si elle fait grâce. J'ignore ce que veulent et ce que demandent, trop ouvertement néanmoins pour le laisser ignorer à personne, ceux qui ne sont pas satisfaits encore d’un si grand et si déplorable malheur; mais je ne puis ignorer, sire, ce que souhaitent ceux qui ne regardent que votre majesté, et qui n'ont pour intérêt et pour passion que sa seule gloire. Il n'est pas jusqu'aux lois, sire, qui, tout insensibles, inexorables, dures, fermes, rigoureuses qu'elles sont de leur nature, ne se réjouissent. lorsque, ne pouvant se fléchir elles-mêmes, elles se sentent fléchir d'une main toute puissante, telle que celle de votre majesté, en faveur des hommes dont elles cherchent toujours le salut, lors même qu'elles semblent demander leur ruine.

.... Seigneurs Athéniens, est-ce justement ou injustement que vous voulez nous faire mourir? Ainsi commençait sa défense et celle de ses amis, le plus homme d'honneur de son temps, et le plus zélé pour sa patrie, que l'on condamna comme traître, mais à qui on dressa des statues publiques après sa mort. C'est justement, répondit l'assemblée tumultueuse. Si c'est justement, répondit Phocion, vous ne le pourrez sans formes et sans nous avoir entendus.

(Un homme de bien eut le courage de se lever pour dire qu'il ne fallait rien dire qu'avec les ordres solennels et accoutumés, qu'on ne laissât au théâtre que les habitans naturels, qu'on fit sortir les étrangers et les esclaves introduits contre les lois pour donner leur suffrage. Mais ni l'homme de bien, ni Phocion n'en furent crus, et avec le nom de justice dans la bouche, on passa outre à l'une des plus injustes condamnations qui fut jamais.)

Qu'il nous soit permis de prendre un seul mot de cet exemple, les formes. Les formes, qui en matière criminelle (c'est la voix commune de tous les auteurs célèbres) ne reconnaissent point les juges pour maîtres, mais sont leurs maîtresses absolues, ne sont pas formes, mais essence de la justice, et distinguent seules l'autoritè d'avec l'attentat, et la punition d'avec l'homicide.

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