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JEAN-FRANÇOIS COLLIN D'HARLEVILLE,

né à Maintenon (Eure-et-Loir) en 1750, mort à Paris en 1806.

Scène de l'Inconstant.

FLORIMOND en uniforme, CRISPIN.

CRISPIN.
Permettez donc enfin que je vous dise un mot :
Je ne puis glus long-temps me taire comme un sot.
Mardi, vous quittez Brest, sans m'avertir la veille,
Fort bien ! Sans dire adieu vous partez, à merveille !
Mais de grâce, monsieur, daignez me faire part
Du sujet important d'un si brusque départ.

FLORIMOND.
Je te revois enfin, superbe capitale !
Que d'objets enchanteurs à mes yeux elle étale !
De l'absence, Crispin, admirable pouvoir !
Pour la première fois il me semble la voir.

CRISPIN.
Je le crois ; mais, monsieur, quelle affaire soudaine
De Brest comme un éclair à Paris vous amène ?

FLORIMOND.
D'honneur jamais Paris ne m'a paru si beau.
Quelle variété ! c'est un mouvant tableau :
L'oeil ravi, promené de spectacle en spectacle,
De l'art à chaque pas voit un nouveau miracle.

CRISPIN.
Il est vrai ; mais ne puis-je apprendre la raison
Qui vous a fait ainsi laisser la garnison.

FLORIMOND.
La garnison, Crispin ? J'ai quitté le service.

CRISPIN.
Vous quittez ?...quoi, monsieur, par un nouveau caprice ?...

FLORIMOND.
Je suis vraiment surpris d'avoir, un mois entier,
Pu supporter l'ennui d'un si triste métier.

m

CRISPIN.
Mais j'admire en effet votre persévérance.
Un mois dans un état ! quelle rare constance !
Depuis quand cet ennui ?

FLORIMOND.

Depuis le premier jour, J'eus d'abord du dégoût pour ce morne séjour. Dans une garnison, toujours mêmes usages, Mêmes soins, mêmes jeux, toujours mêmes visages ; Rien de nouveau jamais à dire, à faire, à voir : Le matin on s'ennuie et l'on baille le soir. Mais ce qui m'a surtout dégoûté du service, C'est, il faut l'avouer, ce maudit exercice. Je ne pouvais jamais regarder sans dépit Mille soldats de front, vêtus d'un même habit ; Qui semblables de taille, ainsi que de coiffure, Étaient aussi, je crois, semblables de figure. Un seul mot à la fois fait hausser mille bras ; Un autre mot les fait retomber tous en bas. Le même mouvement vous fait à gauche, à droite Tourner tous ces gens-là comme une girouette.

CRISPIN. Cependant....

FLORIMOND.

A mon gré je vais changer d'habit Et ne te mettrai plus, uniforme maudit !

CRISPIN.
Pauvre disgracié ! va dans la garde-robe
Rejoindre de ce pas la soutane et la robe.
Que d'états ...je m'en vais les compter par mes doigts.
D'abord....

FLORIMOND.
Oh ! tu feras ce compte une autrefois.

CRISPIN.
Soit ; sommes-nous ici pour long-temps?

FLORIMOND.

Pour la vie.

CRISPIN.
Quoi, Brest....

FLORIMOND.
D'y retourner, va, je n'ai nulle envie.

CRISPIN.
Et votre mariage ?

FLORIMOND.
Eh bien, il reste là.

CRISPIN.
Mais Léonor ?

FLORIMOND.
Ma foi, l'épouse qui voudra.

CRISPIN.
J'ignore, en vérité, si je dors, si je veille.
Eh quoi, vous la quittez, le contrat fait la veille ?

FLOKIMOND.
Fallait-il

par
hasard attendre au lendemain ?

CRISPIN.
Là, sérieusement vous refusez sa main ?

FLORIMOND.
Pour le persuader, il faudra que je jure.

CRISPIN.
Ah! pouvez-vous lui faire une pareille injure ?
Car, que lui manque-t-il ? elle est jeune d'abord.

FLORIMONI.
Trop jeune.

CRISPIN.
Bon, monsieur ?

FLORIMOND.

C'est une enfant.
CRISPIN.

D'accord; Mais une aimable enfant : elle est belle, bien faite.

FLORIMOND.
Je sais fort bien qu'elle est une beauté parfaite.
Mais cette beauté-là n'est point ce qu'il me faut :
J'aime sur un visage à voir quelque défaut.

CRISPIN.
C'est différent. J'aimais cette humeur enjouée
Qui ne la quittait pas de toute la journée.

FLORIMOND.
Je veux qu'on boude aussi par fois.

CRISPIN.

Sans contredit.

FLORIMOND.
Trop de gaîté, vois-tu, me lasse et m'étourdit :
Qui rit à tous propos ne peut que me déplaire.

CRISPIN.
Sans doute, Eléonor n'était point votre affaire ;
Une enfant de seize ans, riche, ayant mille attraits,
Qui n'a pas un défaut, qui ne boude jamais !
Bon ! vous en seriez las au bout d'une semaine.
Mais
que
dira de vous monsieur le capitaine ?

FLORIMOND.
Qu'il en dise, parbleu, tout ce qu'il lui plaira ;
Mais pour gendre jamais Kerbanton ne m'aura.
Qui, moi ! bon dieu ! j'aurais le courage de vivre
Auprès d'un vieux marin qui chaque jour s'enivre ?
Qui fume à chaque instant, et tous les soirs d'hiver
Voudrait m'entretenir de ses combats de mer ?

CRISPIN.
Mais, si je ne me trompe, après le mariage
Il devait à Paris faire un petit voyage.

FLORIMOND.
Oui... tu m'y fais

songer.

CRISPIN.

S'il était en chemin ?

FLORIMOND.
Eh bien, crois-tu qu'ici du soir au lendemain
On se rencontre ?

CRISPIN.

Non, mais enfin, mon cher maître, Dans cet hôtel lui-même il descendra peut-être : Car toujours des Bretons ce fut le rendez-vous.

FLORIMOND. Eh que m'importe à moi ? je ris de son courroux. Laissons là pour jamais et le père et la fille.

CRISPIN. Parlons donc de Justine ; elle est ma foi gentille. Des défauts, elle en a, mais elle a mille appas : Elle est gaie et folâtre, et je ne m'en plains pas. Voilà ce qu'il me faut, à moi qui ne ris guère. Enfin, elle n'a point de vieux marin pour père. Pauvre Justine, hélas ! je lui donnai" ma foi. Que va-t-elle à présent dire et penser de moi ?

FLORIMOND.
Elle est déjà peut-être amoureuse d'un autre.

CRISPIN.
Nos deux cæurs sont, monsieur, bien differens du vôtre.
D'avoir perdu Crispin jamais cette enfant-là,
C'est moi qui vous le dis, ne se consolera.

FLORINOND.
Va, va, dans sa douleur le sexe est raisonnable,
Et je n'ai jamais vu de femme inconsolable.
Laissons cela.

CRISPIN.

Fort bien, mais au moins, dites-moi Pourquoi vous descendez dans un hôtel ?

FLORIMOND.

Pourquoi ?

CRISPIN.
Oui, monsieur, vous avez un oncle qui vous aime,
Dieu sait!

FLORIMOND.
De mon côté, je le chéris de même ;
Mais je ne logerai pourtant jamais chez lui :
Je crus bien l'an passé que j'en mourrais d'ennui.
C'est un ordre, une règle en toute sa conduite !
Une assemblée hier, demain une visite.
Ce qu'il fait aujourd'hui, demain il le fera:
Il ne manque jamais un seul jour d'opéra.
La routine est pour moi si triste, si maussade !
Et puis sa politique et sa double ambassade !
Car tu sais que mon oncle était ambassadeur.
J'écoutais des récits...mais d'une pesanteur !
Tu vois que tout cela n'est pas fort agréable.
D'ailleurs, je me suis fait un plaisir délectable
De venir habiter dans un hôtel garni :
Tout cérémonial de ces lieux est banni :
Je vais, je viens, je rentre et sors, quand bon me semble ;
Entière liberté, le soir, on se rassemble :
L'hôtel forme lui seul une société,
Et si je n'ai le choix, j'ai la variété.

Cet auteur a donné quelques pièces de théâtre qui lui ont acquis la réputation de bon poète comique. En effet, dans ses Châteaux en

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