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JEAN HÉNAULT.

né en 1622. et mort en 1682, à Paris.

SONNET.

S'élève qui voudra, par force ou par adresse,
Jusqu'au sommet glissant des grandeurs de la cour.
Moi, je veux, sans quitter mon aimable séjour,
Loin du monde et du bruit rechercher la sagesse.

Là, sans crainte des grands, sans faste et sans tristesse,
Mes yeux après la nuit verront naître le jour.
Je verrai les saisons se suivre tour-à-tour,
Et dans un doux repos j'attendrai la vieillesse.

Ainsi, lorsque la mort viendra rompre le cours
De ces momens heureux qui composent mes jours,
Je mourrai chargé d'ans, inconnu, solitaire.

Qu'un homme est misérable à l'heure du trépas,
Lorsque, ayant négligé le seul bien nécessaire,
Il meurt connu de tous, et ne se connait pas!

Hénault, après avoir fini ses études, voyagea en Belgique, en Hollande et en Angleterre. De retour à Paris, il se fit connaître par ses poésies au surintendant Fouquet, qui devint son protecteur.

Les principaux fruits de la plume de ce poète sont sa traduction en vers français d'une partie du poème de Lucrèce, et quelques sonnets, parmi lesquels on distingue celui de l'Avorton, qui a fait tant de bruit, et celui qu'on vient de lire.

BLAISE PASCAL,

né à Clermont en Auvergne l'an 1623, mort à Paris en 1662.

Pensées diverses.

L'immortalité de l'ame est une chose qui nous importe si fort, et qui nous touche si profondément, qu'il faut avoir perdu tout sentiment pour être dans l'indiférence de savoir ce qui en est. Toutes nos actions et toutes nos pensées doivent prendre des routes si différentes, selon qu'il y aura des bien éternels à espérer, ou non, qu'il est impossible de faire une démarche avec sens et jugement, qu'en la réglant par la vue de ce point qui doit être notre premier objet. Ainsi notre premier intérêt, comme notre premier devoir, est de nous éclaircir sur ce sujet, d'où dépend toute notre conduite. .. Les grandeurs et les misères de l'homme sont tellement visibles, qu'il faut nécessairement que la véritable religion nous enseigne qu'il y a en lui quelque grand principe de grandeur, et en même temps quelque grand principe de misère. Car il faut que la véritable religion connaisse à fond notre nature ; c'està-dire, qu'elle connaisse tout ce qu'elle a de grand, et tout ce qu'elle a de misérable, et la raison de l'un et de l'autre. Il faut encore qu'elle nous rende raison des étonnantes contrariétés qui s'y rencontrent. rendre l'homme heureux, qu'elle lui montre qu'il y a un Dieu ; qu'on est obligé de l'aimer; que notre véritable félicité est d'être à lui; et notre unique mal d'être séparés de lui: Qu'elle nous apprenne que nous sommes pleins de ténèbres qui nous empêchent de le connaître et de l'aimer; et qu’ainsi nos devoirs nous obligeant d'aimer Dieu, et notre concupiscence nous en détournant, nous sommes pleins d'injustice. Il faut qu'elle nous rende raison de l'opposition que nous avons à notre Dieu et à notre propre bien. Il faut qu'elle nous enseigne les remèdes, et les moyens d'obtenir des remèdes. Qu'on ex

Il faut, pour ne faut

amine sur cela toutes les religion du monde, et qu'on voie s'il y en a une autre que la chrétienne qui y satisfasse. .

... L'homme est si grand, que sa grandeur parait même en ce qu'il se connaît misérable. Un arbre ne se connait

pas misérable. Il est vrai que c'est être misérable, que de se connaitre misérable; mais aussi c'est être grand, que de connaître qu'on est misérable. Ainsi toutes ses misères prouvent sa grandeur. ...

L'homme n'est qu'un roseau le plus faible de la nature ; mais c'est un roseau pensant.

Il
pas que

l'univers entier s’arme pour l'écraser. Une vapeur, une goutte d'eau suffit pour le tuer. Mais quand l'univers l'écraserait, l'homme serait encore plus noble que ce qui le tue, parce qu'il sait qu'il meurt; l'avantage que l'univers a sur lui, l'univers n'en sait rien.

Ainsi toute notre dignité consiste dans la pensée. C'est par là qu'il faut nous relever, non de l'espace et de la durée. Travaillons donc à bien penser: Voilà le principe de la morale.

Si on est trop jeune, on ne juge pas bien. Si l'on est trop vieux, de même.

Cette maitresse d'erreur, que 'on appelle fantaisie et opinion, est d'autant plus fourbe qu'elle ne l'est pas toujours ; car elle serait règle infaillible de vérité, si elle l'était infaillible du mensonge. Mais étant le plus souvent fausse, elle ne donne aucune marque de sa qualité, marquant de même caractère le vrai et le faux. ..... Les sciences ont deux extrémités qui se touchent. La première est la pure ignorance naturelle, où se trouvent tous les hommes en naissant. L'autre extrémité est celle où arrivent les grandes ames, qui ayant parcouru tout ce que les hommes peuvent savoir, trouvent qu'ils ne savent rien, et se rencontrent dans cette même ignorance d'où ils étaient partis. Mais c'est une ignorance savante qui se connait. Ceux d'entre-deux, qui sont sortis de l'igno

. rance naturelle, et n'ont pu arriver à l'autre, ont quelque teinture de cette science, et font les entendus. Ceux-là troublent le monde, et jugent plus mal de

que les autres. Le peuple et les habiles composent pour l'ordinaire le train du monde. Les autres le méprisent et en sont méprisés.

Pascal fut un grand homme dès son enfance. Son père fut son précepteur. Les mathématiques eurent pour lui un attrait singulier: mais son père lui en cacha les principes avec soin, de peur qu'elles ne le dégoûtassent de l'étude des langues. Le jeune Pascal géné dans son goût pour la Géométrie, ne devint que plus ardent à l'apprendre. Sur la simple definition de cette science, il devina, par la seule force de son génie, jusqu'à la trente-deuxième proposition d'Euclide. Le père, cédant à la nature, mit entre les mains de son fils les éléniens du philosophe grec, et il en saisit si bien toutes les difficultés, qu'à l'âge de 16 ans, il publia un traité des sections coniques qui fut admiré des hommes consommés dans cette science ; Descartes ne voulut pas croire qu'il fut de lui. De la géométrie, Pascal passa aux autres branches des mathématiques, et s'y montra supérieur. A 19 ans, il inventa la machine d'arithmétique; à 23 il découvrit la pesanteur de l'air, etc. Ce génie supérieur pour les sciences ne l'empêcha pas de s'occu. per des vérités de la religion: il résolut même d'en faire son étude particulière, et pour s'y livrer avec plus de fruit, il se retira à PortRoyal des Champs, où il avait une seur religieuse. Ces célèbres solitaires étaient alors dans l'ardeur de leurs disputes avec les jésuites. C'est alors que Pascal écrivit ces fameuses Lettres provinciales, ouv. rage unique en son genre, et qui est la première époque de la fixation de la langue. Personne avant lui n'avait si bien écrit en prose, et il peut encore aujourd'hui être considéré comme un de nos meilleurs modéles. La mort rématurée de cet homme extraordinaire a privé la postérité d'un grand ouvrage qu'il avait en vue sur la religion, et l'on peut juger de ce qu'aurait été cet ouvrage par le plan qu’on a trouvé après sa mort, et qu'on a publié sous le nom de pensées. “Il jeta au basard sur le papier des pensées qui tiennent autant de Dieu que l'homme. Il est difficile de ne pas rester confondu d'étonnement, lorsqu'en ouvrant les pensées du philosophe chrétien, on tombe sur les six chapitres où il traite de la nature de l'homme. C'est là qu'il s'est véritablement élevé au-dessus des plus grands génies.”

M. DE CHATEAUBRIANT.

JEAN RENAUD DE SEGRAIS,

né à Caen en 1624, mort dans la même ville en 1701.

Eglogue. Climène.

Tircis était touché des attraits de Climène,
Sans que d'aucun espoir il pût flatter sa peine:
Ce berger accablé de son mortel ennui
Ne se plaisait qu'aux lieux aussi tristes que lui.
Errant à la merci de ses inquiétudes
Sa douleur l'entraînait aux noires solitudes :
Et des tendres accens de sa mourante voix,
Il fesait retentir les rochers et les bois.

Climène, disait-il, ò trop belle Climène,
Vous surpassez autant les nymphes de la Seine,
Que ces chênes hautains, et si verts et si beaux,
Des humides marais surpassent les roseaux.
Votre divin esprit, votre beauté divine
Du plus pur sang des dieux marquent votre origine.
Le soleil qui voit tout, et qui nous fait tout voir,
N'eut jamais tant que vous d'éclat ni de pouvoir.
Où vous portez les yeux les forêts reverdissent;
vous disparaissez, toutes choses languissent;
Les fleurs ne peuvent naître ailleurs que sous vos pas,
Et le printemps n'est point où l'on ne vous voit pas.
Où peut-on voir qu'en vous ces œillets et ces lis,
Qui paraissent toujours nouvellement cueillis ?
Mais plus ces doux attraits vous rendent adorable,
Plus ces attraits si doux me rendent misérable;
Si vous considérez tant de charmes divers
Comme autant de sujets de mépriser mes vers.
De votre belle bouche une seule parole
M'est ce qu'au voyageur est l'herbe fraîche et molle.
Je ne m'en dédis point, je n'aimerai que vous.
Mais Iris m’assurait d'un empire plus doux ;
Et je me sens si las de votre tyrannie,

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