Page images
PDF
EPUB

qu'on nous laisse de nous rendre heureux ; c'est ainsi que la religion nous tiendra lieu de la fortune ; c'est ainsi qu'après avoir fait l'apologie de l'institut par nos écrits, nous continuerons d'en faire l'éloge par notre conduite.

Céruti était jésuite à l'époque de la dissolution de cette société en France. Il fut chargé par ses confrères de rédiger l'apologie dont on vient de lire un fragment. Ce discours, qui est un chef-d'œuvre d'éloquence, ne contribua pas peu à augmenter la réputation littér. aire du jeune Céruti, qui avait déjà remporté plusieurs prix à l'Académie de Dijon. Il se rendit à Paris, où il se lia avec les plus fa. Deux philosophes, et ne tarda pas à devenir grand partisan des idées libérales. Il fut élu membre de l'Institut de France ainsi que du corps législatif

. Ce fut lui qui prononça l'éloge funèbre du célèbre Mirabeant

, dans l'église St. Eustache : il déploya en cette occasion toutes les ressources de son beau talent oratoire, mais il s'épuisa tel. lement qu'il en mourut. Ses ouvrages sont écrits de main de maitre. On donna le nom de Céruti à une des rues de Paris.

JACQUES DELILLE,

né a Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme) en 1738, mort en 1811.

Description du Printemps.

Mais le printemps surtout seconde tes travaux ;
Le printemps rend aux bois des ornemens nouveaux :
Alors la terre ouvrant ses entrailles profondes,
Demande de ses fruits les semences fécondes;
Le dieu de l'air descend dans son sein amoureux,
Lui verse ses trésors, lui darde tous ses feux,
Remplit ce vaste corps de son âme puissante ;
Le monde se ranime, et la nature enfante.
Dans les champs, dans les bois, tout sent les feux d'amour.
L'oiseau reprend sa voix ; les zéphirs de retour
Attiédissent les airs de leurs molles haleines ;
Un suc heureux nourrit l'herbe tendre des plaines ;
Aux

rayons doux encor du soleil printanier
Le gazon sans péril ose se confier;
Et la vigne, des vents bravant déjà l'outrage,
Laisse échapper ses fleurs et sortir son feuillage.
Sans doute le printemps vit naître l'univers ;
Il vit le jeune oiseau s'essayer dans les airs ;
Il ouvrit ou soleil sa brillante carrière,
Et pour l'homme naissant épura la lumière.
Les aquilons glacés, et l'æil ardent du jour
Respectaient la beauté de son nouveau séjour.
Le seul printemps sourit au monde en son aurore ;
Le printemps tous les ans le rajeunit encore,
Et des brûlans étés séparant les hivers,
Laisse du moins entre eux respirer l'univers.

L'Etalon.

L'Etalon généreux a le port plein d'audace,
Sur ces jarrets plians se balance avec grâce ;
Aucun bruit ne l'émeut; le premier du troupeau,

a

Il fend l'onde écumante, affronte un pont nouveau.
Il a le ventre court, l'encolure hardie,
Et la tête effilée, et la croupe arrondie;
On voit sur son poitrail ses muscles se gonfler,
Et ses nerfs tressaillir, et ses veines s'enfier.
Que du clairon bruyant le son guerrier l'éveille,
Je le vois s'agiter, trembler, dresser l'oreille ;
Son épine se double, et frémit sur son dos:
D'une épaisse crinière il fait bondir les flots ;
De ses naseaux brûlans il respire la guerre ;
Ses yeux roulent du feu, son pied creuse la terre.
Tel dompté par les mains du frère de Castor,
Ce Cyllare fameux s'assujettit au mors.
Tels les chevaux d'Achille et du dieu de la Thrace
Soufflaient le feu du ciel d'où descendait leur race ;
Tel Saturne surpris dans un tendre larcin,
En superbe coursier se transforma soudain,
Et secouant dans l'air sa crinière flottante
De ses hennissemens effraya son amante.

L'abbé Delille nous a laissé une grande quantité de Poésies: Traductions de Virgile, de Milton; Poèmes, les Jardins, sur l'imagina. tion, le Malheur et la Pitié, les Géorgiques françaises, L'homme des champs, Odes, Epitres, etc. etc.

La traduction des Géorgiques de Virgile fut une espèce de phénomène littéraire: elles avaient été, jusqu'à lui, l'écueil où tous les talens poétiques avaient échoué; il a eu la gloire d'y réussir et de nous don. ner la meilleure traduction en vers que nous ayons dans notre langue. On a dit du vivant de Delille que cette traduction était son meilleur ouvrage; mais on a avoué, en même temps, que ses autres ouvrages offrent des morceaux d'une beauté achevée, des descriptions d'une vérité frappante, des périodes poétiques qui n'appartiennent qu'à lui seul, des rapprochemens et des contrastes uniques.

Les qualités de son cæur égalaient celles de son esprit.

JEAN-FRANÇOIS DE LA HARPE,

né à Paris en 1739, mort dans la même ville en 1803.

Fragment du Discours qu'il prononça le jour de sa

ception à l'Académie française (20 janvier 1776,) à la place de Colardeau.

DE L'HOMME DE LETTRES.

.Qu'est-ce donc, messieurs, qu'un homme de lettres? C'est celui dont la profession principale est de cultiver sa raison, pour ajouter à celle des autres.

C'est dans ce genre d'ambition, qui lui est particulier, qu'il concentre toute l'activité, tout l'intérêt, que les autres hommes dispersent sur les différens objets qui les entraînent tour à tour.

Jaloux d'étendre et de multiplier ses idées, il remonte dans les siècles, et s'avance au travers des monumens épars de l'antiquité pour y recueillir, sur des traces souvent presque effacées, l'âme et la pensée des grands hommes de tous les âges. Il converse avec eux dans leur langue dont il se sert pour enrichir la sienne; il parcourt le domaine de la littérature étrangère dont il remporte des dépouilles honorables au trésor de la littérature nationale. Doué de ces organes heureux, qui font aimer avec passion le beau et le vrai en tout genre, il laisse les esprits étroits et prévenus s'efforcer en vain de plier à une même mesure tous les talens et tous les caractères, et il jouit de la variété féconde et sublime de la nature, dans les différens moyens qu'elle a donnés à ses favoris, pour charmer les hommes, les éclairer et les servir. C'est pour lui, surtout, que rien n'est perdu, de ce qui se fait de bon et de louable; c'est pour une oreille telle que la sienne, que Virgile a mis tant de charmes dans l'harmonie de ses vers ; c'est pour un juge aussi sensible, que Racine a répandu un jour si doux dans les replis des âmes tendres ; que Tacite jeta des lueurs affreuses dans les profondeurs de l'âme des ty.

rans; c'est à lui que s'adressait Montesquieu, quand il plaidait pour l'humanité; Fénélon, quand il embellissait la vertu; pour lui toute vérité est une conquête, tout chefd'oeuvre est une jouissance. Accoutumé à puiser également dans ses réflexions et dans celles d'autrui, il ne sera ni seul dans la retraite, ni étranger dans la société; enfin, quel que soit le travail où il s'applique, soit qu'il marche à pas mesurés dans le monde intellectuel des spéculations mathématiques, ou qu'il s'égare dans le monde enchanté de la poésie; soit qu'il attendrisse les hommes sur la scène ou qu'il les instruise dans l'histoire, en portant ces tributs au temple des arts, il ne cherchera pas à renverser ses concurrens dans sa route, ni à déshonorer leurs offrandes pour relever le prix de la sienne; il ne détournera pas des triomphes d'autrui son æil consterné; les cris de la renommée ne seront pas pour son âme un bruit importun, et au lieu que la médiocrité inquiète et jalouse gémit de tous ces succès, parce que le champ du génie se rétrécit sans cesse à ses faibles yeux, le véritable homme de lettres le parcou. rant d'un regard plus vaste et plus súr, y verra toujours et un monument à élever et une place à obtenir.

Maintenant si, parmi ceux qui se sont consacrés aux lettres, il n'en est point qui ne doive aspirer à se rapprocher de cet heureux ensemble de qualités que je viens de décrire, où trouveront-ils inieux que chez leurs dignes confrères, tout ce qu'il faut pour élever l'âme sans exalter la tête, polir les meurs sans affaiblir les caractères, adoucir les passions et affermir les principes, nourrir l'habitude du travail, exercer la pensée et le goût ? Où trouveront-ils ailleurs et des leçon toujours utiles et des consolations trop souvent nécessaires ?

La plupart des écrivains, suivant la diversité de leurs inclinations et de leurs études, se portent ou vers la retraite ou vers le monde. Ces deux parties extrêmes ont leurs avantages et leurs inconvéniens. Il me semble que le commerce des gens de lettres participe aux uns et remédie aux autres.

La retraite, je l'avoue, est essentielle au travail. , Eh ! quel homme de talent n'en a pas fait l'expérience ? C'est dans des antres solitaires qu’Apollon rendait autrefois ses oracles. Ses prêtres criaient qu'on écartât les profanes au

« PreviousContinue »