Page images
PDF
EPUB

Ah ! sans les tendres feux que son disque nous lance,
L'homme errant dans la nuit en fuirait le silence,
Et tel qu'un jeune enfant que poursuit la terreur,
Faible, il croirait marcher environné d'horreur.
Viens donc d'un jour à l'autre embrasser l'intervalle,
O lune ! ô du soleil la seur et la rivale !
Et que tes rais d'argent dans l'onde réfléchis,
Se prolongent en paix sur les côteaux blanchis.

Plaisirs de l'imagination dans une belle nuit d'été.

J'oserai plus : je veux par delà tous les cieux,
Je veux encor pousser mon vol ambitieux,
Traverser les déserts, où, pâle et taciturne,
Se roule pesamment l'astre du vieux Saturne :
Voir mêine au loin cous moi dans le vague nager
De la comète en feu le globe passager;
Ne m'arrêter qu'aux bords de cet abîme immense
Où finit la nature, où le néant commence;
Et de cette hauteur dominant l'univers,
Poursuivre dans leurs cours tous ces orbes divers,
Ces mondes, ces soleils, flambeaux de l'empyrée,
Dont la reine des nuits se promène entourée.
Je les vois. De clartés quel amas fastueux,
Quels fleuves, quels torrens, quels océans de feux !
Mon âme à leur aspect muette et confondue,
Se plongeant dans l'extase, y demeure perdue.
Et voilà le succès qu'attendait mon orgueil !
Insensé, je croyais embrasser d'un coup-d'æil
Ces déserts où Newton, sur l'aile du génie,
Planait, tenant en main le compas d'Uranie.
Je voulais révéler quels sublimes accords
Gouvernent dans les airs tous les célestes corps,
Et devant eux s'abîme et s'éteint ma pensée.

Roucher, né avec du génie pour la poésie, eût pu se faire un grand nom, si un critique d'un goût sur l'eût dirigés dans ses premiers essais. Mais, plein de confiance en lui-même, on dit qu'il entreprit son poème des Mois, avant d'avoir étudié l'art de faire les vers. Arrivé à Paris, il s'y trouva d'abord sans protecteurs, mais peu à peu il fit connaissance avec quelques philosophes qui l'introduisirent dans le monde. Les lectures qu'il y fit de son poème lui donnèrent une grande répu. tation; mais lorsqu'il fut imprimé, tous ceux qui l'avait loué le critiquèrent sévèrement. Ce poème est en effet bien défectueux sous plusieurs rapports; mais quelque nombreux qu'en soient les défauts, on y trouve de beaux vers, des tableaux animés, et des tirades, même assez longues, d'une grande beauté.

Enfin les morceaux cités ci-dessus de ce poème, et qu'on aurait pu étendre, prouvent que Roucher n'était dépourvu ni d'imagination ni de talent.

BERNARDIN DE SAINT-PIERRE,

né au Havre en 1737, mort en 1814.

L’Arabe et son Cheval.

Les Arabes étendent leur humanité jusqu'à leurs chevaux : jamais ils ne les frappent. Ils les dressent à force de caresses, et ils les rendent si dociles qu'il n'y en a point dans le monde qui leur soient comparables en beauté et en bonté. Ils ne les attachent point dans leur camp; ils les laissent errer en paissant aux environs, d'où ils accourent à la voix de leurs maîtres. Ces animaux dociles viennent la nuit se coucher dans leurs tentes, au milieu des enfans, sans jamais les blesser. Si un cavalier tombe dans une course', son cheval s'arrête sur le champ, et reste auprès de lui sans le quitter. Ces peuples sont parvenus, par l'influence invincible d'une éducation douce, à faire de leurs chevaux les premiers coursiers de l'univers. On ne peut lire sans attendrissement ce que rapporte à ce sujet le vertueux consul d'Hervieux dans son voyage du Liban. Un pauvre arabe du désert avait pour tout bien une magnifique jument: le consul de France à Seyde lui proposa de la lui vendre, dans l'intention de l'envoyer à Louis XIV. L'arabe pressé par le besoin, balança long-temps; enfin il y consentit, et en demanda un prix considérable. Le consul, n'osant de son chef donner une si grosse somme, écrivit à Versailles pour en obtenir l'agrément de la cour. Louis XIV donna ordre qu'elle fût délivrée. Le consul sur le champ mande l'arabe, qui arrive monté sur sa belle coursière, et lui compte l'or qu'il lui avait demandé. L'arabe, couvert d'une pauvre natte, met pied à terre, regarde l'or; il jette ensuite les yeux sur sa jument, il soupire, et lui dit: "A qui vais-je te livrer? à des européens, qui t'attacheront, qui te battront, qui te rendront malheureuse : reviens avec

moi, ma belle, ma mignonne, ma gazelle ; sois la joie de mes enfans.” En disant ces mots, il sauta dessus et reprit la route du désert.

Paul et Virginie.

Il у avait alors tant de bonne foi et de simplicité dans cette île (de France) sans commerce, que les portes de beaucoup de maisons ne fermaient point à la clef, et qu'une serrure était un objet de curiosité pour plusieurs Créoles.

Mais il y avait dans l'année des jours qui étaient, pour Paul et Virginie, des jours de plus grandes réjouissances : c'étaient les fêtes de leurs mères. Virginie ne manquait pas, la veille, de pétrir et de cuire des gâteaux de farine de froment, qu'elle envoyait à de pauvres familles de blancs, nées dans l'ìle, qui n'avaient jamais mangé de pain d'Europe, et qui sans aucun secours de noirs, réduites à vivre de manioc au milieu des bois, n'avaient pour supporter la pauvreté, ni la stupidité qui accompagne l'esclavage, ni le courage qui vient de l'éducation. Ces gâteaux étaient les seuls présens que Virginie put faire de l'aisance de l'habitation, mais elle y joignait une bonne grâce qui leur donnait un grand prix. D'abord c'était Paul qui était chargé de les porter lui-même à ces familles, et elles s'engageaient, en les recevant, de venir le lendemain passer la journée chez madame de la Tour et Marguerite. On voyait alors arriver une mère de famille avec deux ou trois misérables filles, jaunes, maigres et si timides qu'elles n'osaient lever les yeux. Virginie les mettait bientôt à leur aise : elle leur servait des rafraîchissemens dont elle relevait là bonté par quelques circonstances particulières qui en augmentaient selon elle l'agrément: cette liqueur avait été préparée par Marguerite, cette autre, par sa mère : son frère avait cueilli lui-même ce fruit au haut d'un arbre. Elle engageait Paul à les faire danser. Elle ne les quittait point qu'elle ne les vit contentes et satisfaites. Elle voulait qu'elles fussent joyeuses de la joie de sa famille. On ne fait son bonheur, disait-elle, qu'en s'occupant de celui des autres. Quand elles s'en retournaient, elle les engageait d'emporter ce qui paraissait leur avoir fait plaisir, couvrant la nécessité d'agréer

1

ses présens du prétexte de leur nouveauté, ou de leur singularité. Si elle remarquait trop de délabrement dans leurs habits, elle choisissait, avec l'agrément de sa mère, quelques-uns des siens, et elle chargeait Paul d'aller secrètement les déposer à la porte de leurs cases ; ainsi elle fesait le bien à l'exemple de la divinité, cachant la bienfaitrice et montrant le bienfait.

Vous autres Européens, dont l'esprit se remplit dès l'enfance de tant de préjugés contraires au bonheur, vous ne pouvez concevoir que la nature puisse donner tant de lumières et de plaisirs. Votre âme circonscrite dans une * petite sphère de connaissances humaines, atteint bientôt le terme de ses jouissances artificielles; mais la nature et le cœur sont inépuisables. Paul et Virginie n'avaient ni horloges, ni almanach, ni livres de chronologie, d'histoire et de philosophie. Les périodes de leur vie se réglaient sur celles de la nature. Ils connaissaient les heures du jour par l'ombre des arbres ; les saisons, par les temps où ils donnent leurs fleurs ou leurs fruits, et les années par le nombre de leurs récoltes. Ces douces images répandaient les plus grands charmes dans leurs conversations. Il est temps de dîner, disait Virginie à la famille; les ombres des bananiers sont à leurs pieds ; ou bien, la nuit s'approche, les tamarins ferment les feuilles. Quand viendrez-vous nous voir, lui disaient quelques amies du voisinage ? Aux cannes de sucre, répondait Virginie. Votre visite nous sera encore plus douce et plus agréable, reprenaient ces jeunes filles. Quand on l'interrogeait sur son âge et sur celui de Paul, mon frère, disait-elle, est de l'âge du grand cocotier de la fontaine, et moi de celui du plus petit. Les manguiers ont donné douze fois leurs fruits, et les orangers vingt-quatre fois leurs fleurs depuis que je suis au monde. Leur vie semblait attachée à celle des arbres, comme celle des faunes et des dryades. Ils ne connaissaient d'autres époques historiques que celles de la vie de leurs mères, d'autre chronologie que celle de leurs vergers, et d'autre philosephie que de faire du bien à tout le monde, et de se résigner à la volonté de Dieu.

St. Pierre s'appliqua particulièrement à l'etude de l'histoire naturelle, et profita de son séjour dans l'Inde pour s'y perfectionner. Ses

« PreviousContinue »