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moire à ce conseil si jaloux de son despotisme: “Accordez au moins cette grace aux protestants, jusqu'à ce qu'un temps plus heureux permette enfin de rendre à leurs enfants la légitimité civile qu'aucun prince de la terre n'a droit d'oter à ses sujets.

N'est-ce pas moi qui, consulté par les ministres sur le rappel des parlements, osai combattre avec courage, en 1774, les prétentions du pouvoir arbitraire en ces termes : “ Il existe donc, en tout état monarchique, autre chose que la volonté arbitraire des rois. Or cette chose ne peut être que

des lois et leur autorité, seul vrai soutien de l'autorité royale et du bonheur des peuples;" et qui appuyai le principe par les raisonnements les plus forts, comme on peut le voir dans le court mémoire cité dans la note ci-dessus ?

Qu'on se rappelle, si l'on peut, le courage qu'il fallait alors pour dire de telles vérités !..

le corps

Beaumarchais a été un homme véritablement extraordinaire. Fils d'un horloger, il exerça d'abord lui-même cette profession; puis il devint habile musicien, et enseigna la guitare aux filles de Louis XV. Les princesses l'introduisirent à la cour, où il ne tarda pas à se faire de nombreux et puissans protecteurs. Ainsi, de simple artisan, le voilà déjà homme de cour. Au moyen du crédit qu'il a déjà acquis, il se livre à des spéculations commerciales, devient un des premiers négocians de France, et fait une fortune immense. Toujours partisan et avocat zélé de la liberté et de l'indépendence, il voit arriver la révolution des Etats-Unis, et emploie tous ses moyens et son crédit pour en favoriser le succès : non seulement il expédie de nombreux bâtimens chargés de provisions, d'armes et de munitions, mais encore il détermine le ministère français à se déclarer en faveur de la cause de la liberté dans l'Amérique septentrionale; et, comme le fait remarquer un des critiques de Beaumarchais, les patriotes amé. ricains de 1776 “ne furent peut-être pas moins redevables de leur indépendance aux habiles spéculations du commerçant français, qu'aux puissans secours de la France."

Mais Beaumarchais est bien autre chose que négociant ; il est auteur, et ses ouvrages ont un caractère d'originalité qui les distingue entre tous les ouvrages de l'école philosophique, et qui fait, dit M. Berryer, que le nom de Beaumarchais vivra après les noms de Vol: taire, de Montesquieu, de Rousseau et de Buffon. Ainsi, a force de travail, d'esprit, d'adresse et de bonheur, en amassant des trésors, Beaumarchais arrive en même temps à l'immortalité par ses écrits. Mais sa gloire ne s'arrête pas là. Son élévation

fut si rapide, qu'on la regarda comme une espèce de prodige et un renversement des lois ordinaires; de là la jalousie, les soupçons outgeans, la calomnie succède à la médisance. La fortune qui l'avait elevé d'une main le frappé de l'autre, et semble avoir juré sa perte. Tantot ami des ministres et bien venu à la cour, tantôt emprisonné, puis obligé de fuir sa patrie; les uns le peignent au peuple comme un fa. vori de cour,

les autres en critiquant ses ouvrages, le désignent comme un novateur dangereux et un écrivain immoral; d'autres le dénoncent comme un revolutionnaire et un conspirateur encore plus dangereux, qui veut affamer le peuple, parce qu'il achète des armes, des munitions et des vivres qu'il expédie aux insurgés de l'Amérique du nord, on l'accuse enfin de séduction, etc. Forcé de defendre ses biens, son honneur et sa vie, Beaumarchais paraît devant les tribunaux, et devient avocat et homme public par nécessité. Attaqué de tous côtés, il se présente devant ses adversaires avec les armes de la philosophie et de l'éloquence, déploie un genre de polémique inconnu jusqu'à lui, et après avoir triomphe de ses accusateurs et de ses juges, il les immole tous les uns sur les autres avec l'arme du ridicule, aux yeux de toute l'Europe, et se couvre lui-même d'honneur et de gloire. Rien de plus singulier, de plus suprenant que l'esprit de cet homme justement cé. lèbre; sa vie n'est qu'une tempête depuis le commencement jusqu'à la fin; c'est un tissu de succès, de dangers, de revers, de troubles et de gloire : il mêle tout, affaires de cour, de commerce, de théâtre, de barreau, politique, littérature, il entreprend tout à la fois, et il excelle, il est maître en chaque chose comme s'il n'avait jamais étudié que celle-là ; rien ne le rebute, plus il voit d'obstacles, plus il acquiert de force et de courage. Il a eu une foule de procès à soutenir, et pendant toute de sa vie, il n'a écrit que des pièces de théâtre et des plaidoyers. Chacun de ses procès fut un drame, et chacun de ses drames lui suscita un procès qui devint un objet de politique. Tous ses ouvrages sont des productions aussi hardies que neuves. Il est novateur dans ses écrits comme dans ses actions, c'est un réformateur infatigable, et l'on dit qu'il a poussé plus que personne les esprits en vant. En effet, il n'est pas seulement novateur en parole, il dit et il fait; il donne le précepte et l'exemple. Beaumarchais, dit un écrivain, sait que l'esprit humain est né pour avancer, et que chacun ici-bas doit chercher à lui faire faire une part du chemin. Aussi il le pousse hardiment en avant. Il prit ses contemporains où Voltaire et Rousseau les avaient laissés, et les conduisit plus loin.

Le style de Beaumarchais offre beaucoup d'énégalité ; quelquefois on y trouve des saillies piquantes et fort gaies, des traits spirituels et satiriques, des épigrammes vives et mordantes, de la naïveté, et même de la grâce ; beaucoup de ses phrases sont devenues proverbes : mais souvent il manque de feu, de clarté et de goût, et il est commun ou bias. Cependant on convient que, dans ses mémoires ou plaidoyers, l'auteur s'est fréquemment élevé au ton de la vraie éloquence, et l'on y trouve ces grands principes de justice et d'humanité qui depuis ont passé dans notre législation. Avant Beaumarchais, les séances de nos cours et de nos tribunaux étaient secrètes ; il fit ouvrir les portes, et donna une si grande publicité aux procédures de ses affaires, que toute l'Europe en fut témoin. C'est depuis cette époque que les débats judiciaires sont publics. Beaumarchais donna aussi une édition complète des œuvres de Voltaire, et l'on dit qu'il perdit un million de francs dans cette entreprise.

ANTOINE THOMAS,

né à Clermont en Auvergne l'an 1732, mort dans le château d'Oulins,

près de Lyon, en 1785.

La Mort du Sage.

On annonce à l'homme juste qu'il doit mourir : il n'en est pas ému. Son cœur est tranquille, et son visage ne s'altère

pas. Sa gaieté même ne l'abandonne pas un moment: entouré de visages désolés, lui seul paraît indifférent et calme. Sa grandeur est sans efforts, et sa fermeté sans ostentation. Il ne s'élève pas. Il ne voit

pas

même qu'on le regarde. Chaque jour il mesure l'état où il est, par la clarté de ses idées, et calcule avec tranquillité la diminution successive de ses forces. Il a le loisir de se livrer à l'impression de tous les objets qui l'affectent. Il observe tout. Il sourit au milieu de ses douleurs. Une douce plaisanterie se mêle à ces momens affreux. On dirait qu'il n'est que le spectateur d'une chose indifférente; et la mort ne semble être pour lui qu'une action ordinaire de la vie. Quoi ! dans le moment où tout échappe, quand tous les êtres s'éloignent, pour ainsi dire, et se reculent; lorsque le temps n'est plus que le calcul lent et affreux de la destruction ; quand l'âme solitaire, arrachée à la nature et à ses propres sens, est sur le poirt d'entrer dans un avenir impénétrable; quoi! dans ce moment être tranquille! Qui peut ainsi affermir l'homme, au milieu de tout ce qu'il y a de plus effrayant pour l'homme ? Ah! c'est la paix de l'homme de bien. C'est la douce conscience de la vertu. C'est le sentiment secret de l'immortalité ; l'immortalité, le plus saint des désirs, la plus précieuse des espérances, qui pendant la vie donne des transports à l'âme généreuse, et rassure à la mort l'âme juste. Et que peut craindre l'homme vertueux quand il va rejoindre le premier être ? N'a-t-il pas rempli le poste qui lui était assigné dans la nature ? Il a été fidèle aux lois qu'il a reçues ; il n'a point défiguré son âme aux yeux de celui

a

qui l'a faite. Peut-être a-t-il ajouté quelque chose à l'ordre moral de l'univers. L'heure sonne. Le temps a cessé pour lui. Il va demander à Dieu la récompense du juste. C'est un fils qui a voyagé et qui retourne vers son père.

Qu'est-ce qu'un trône dans ce moment ? Un grain de sable un peu plus élevé sur la terre. Alors ces vains objets disparaissent. Mais il en est de plus touchans, et qui ont le droit d'intéresser jusque dans les bras de la mort. Ce sont ceux qui, pendant une vie courte et agitée, ont été les appuis de notre faiblesse: ce sont les âmes sur qui la nôtre se reposait avec attendrissement, et qui partageant avec nous nos plaisirs et nos peines, nous fesaient éprouver les charmes si doux de la sensibilité. C'est en les quittant que l'âme se déchire. C'est alors que l'on meurt; car qu'est-ce-que mourir, sinon se séparer pour toujours de ceux qu'on aime ?

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Thomas fut d'abord professeur de troisième au collège de Beauvais. Il s'annonça dans le monde littéraire par des réflexions sur le poème de la loi naturelle de Voltaire, critique sage et modérée, dans laquelle il prend le parti de la religion, mais sans fanatisme. En contre. disant un écrivain célèbre, il rend hommage à ses talens et respecte sa personne. Cet ouvrage fut suivi des Eloges du maréchal de Saxe, de d’Aguesseau, de Duguai-Trouin, de Sully, et de Descartes qui obtinrent les suffrages de l'Académie et du public, et qui lui firent une réputation, à laquelle l'éloge de Marc-Aurèle, plein de raison et d'éloquence, mit le comble. On trouve dans tous ces éloges une éloquence abondante et vive, des réflexions pleines de chaleur et de phi. losophie, et des traits mâles et énergiques; mais il y a en même temps une monotonie qui fatigue, des pensées gigantesques, trop de comparaisons entassées les unes sur les autres, un trop grand usage de mots abstraits, en un mot, peu de ce naturel qui attache et qui en. traine dans nos grands orateurs. Le style de son Essai sur le caractère, les meurs et l'esprit des femmes vaut mieux, ainsi que celui de son Essai sur les éloges, ouvrage distingué par des images brillantes, des pensées fortes, des idées justes, des jugemens sains, des connaissances variées, et des recherches intéressantes sur les orateurs tant anciens que modernes. On dit que cet essai est le meilleur ouvrage de Thomas. Il était aussi poète: on remarque son Ode sur le temps, son Epître au peuple, et son poème de Jumonville, qui sont des pro. ductions d'une imagination noble et élevée ; la versification en est belle, mais en général elle est trop travaillée et trop monotone. On a cncore de cet auteur un autre poème intitulé la Pétréide (sur Pierrele-Grand,) etc. Voltaire estimait beaucoup Thomas.

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