Qui la voile aux profanes yeux, Ceux dont le présent est l'idole Quoi! tour à tour dieux et victimes, Buffon, dès que rompant ses voiles, Du sein brillant de l'empyrée Moi, sur cette rive déserte Les poésies de Le Brun ont de la chaleur, de l'imagination et même de l'enthousiasme; mais on lui reproche de n'avoir pas assez respecté la langue. Ses partisans l'avaient comparé à J. B. Rousseau, mais il est infiniment au-dessous: son ton est rarement soutenu, et ses images ne sont pas toujours heureuses: il a cependant du mérite, et il est estimé. Le Brun élait fils d'un employé de la maison de Conti, et fut lui-même secrétaire de ce prince. Il ne faut pas confondre ce poète avec Antoine-Louis LE BRUN, né à Paris en 1680, et mort dans la même ville en 1743. On a de celui-ci des odes galantes et bacchiques, des fables et des épigrammes CHARLES PALISSOT DE MONTENAY, peu estimées. né en 1730 et mort en 1814, à Paris. Dialogue. But de la Comédie chez les Grecs. Aristophane. J'ai entendu parler ici de votre théâtre des Grecs. On dit que vous me justifiez assez bien de la mort de Socrate, à laquelle je ne contribuai pas plus qu'à la vôtre ; mais j'ai été fort étonné d'apprendre que vous ayez rendu si peu de justice à la comédie de mon temps. Selon vous, elle se sentait encore, non-seulement de la licence, mais de la grossièreté du siècle de 'Thespis. Savezvous, mon révérend père, que, pour débiter une pareille impertinence, ce n'était pas la peine d'avoir passé une partie de votre vie sur le théâtre des Grecs ? Le Père Brumoy. On voit bien que vous usez du privilége des morts ; mais passons. Quoi ! vous justifierez ces personnalités cruelles qui flétrissaient l'honneur de vos premiers citoyens, cette licence odieuse qui scandalisait la pudeur ? Aristophane. J'excuse vos réflexions sur le scandale ; vos meurs sont devenues si pures ! Le Père Brumoy. Aristophane, vous n'avez pas changé de caractère. Aristophane. Mais vous me semblez d'une morale bien rigide. Apprenez, mon révérend père, que jamais la muse comique n'a joué un rôle plus brillant, plus hon (1). PIERRE Brumoy, célèbre jésuite, naquit à Rouen, l'an 1688, et mourut à Paris en 1742. C'est un des hommes qui ont le plus con. tribué à la gloire littéraire des jésuites, autant par l'objet que par le nombre de ses ouvrages, dont les principaux sont deux Poèmes la. tins, l'un sur la verrerie, et l'autre sur les passions ; et sa Traduction du Thèatre des Grecs. Ce dernier ouvrage est précieux, et jouit depuis long-temps d'une grande célébrité classique. orable, que celui qu'elle jouait de mon temps, que les autres nations n'ont eu que des tréteaux, et qu'Athènes seule peut se glorifier d'avoir eu un théâtre. Le P. Brumoy. Vous n'y pensez pas, Aristophane ; et notre divin Molière ? Aristophane. J'excepte celui-là ; il méritait d'être né dans l'Attique. Le P. Brumoy. Eh, comment me persuaderez-vous ces étranges paradoxes? Aristophane. Par les faits. La comédie telle que j'en avais donné le plan, était liée à la constitution même de l'état ; elle était un des principaux ressorts du gouvernement; et lorsque je me donnai tant de liberté contre Cléon, et beaucoup d'autres qui avaient part à l'administration, je me conformais à l'esprit, et je suivais les ordres secrets de la république. Le P. Brumoy, Vous me surprenez. Aristophane, M'eût-elle décerné une couronne de l'olivier sacré, si elle n'eût pas reconnu que j'avais rempli les devoirs d'un excellent citoyen ? Mais je veux vous étonner davantage. Le genre de comédie dont je fus l'inventeur, était le seul qui convint au gouvernement d'Athènes. Dans une démocratie, dont le principe est l'égalité, où l'état ne peut avoir d'autre crainte, sinon que quelque citoyen trop puissant ne donne atteinte à la liberté commune, rien n'était plus nécessaire qu'un poète comique, qui dénonçát à ses concitoyens ceux doni l'ambition commençait à devenir suspecte, et qui pouvaient abuser de leur crédit, soit pour corrompre les anciennes meurs, soit pour amener des révolutions; enfin, il fallait un homme qui fût autorisé à livrer au ridicule ceux qui, par une considération usurpée, étaient à portée de nuire à la tranquillité publique. Ce moyen plus doux que l'ostracisme . et que les équivalens de oette peine employés dans d'autres états, servaient en même temps de frein aux attentats de la calomnie. Cet usage de nommer, qui vous parait si cruel, était un engagement que l'auteur prenait avec la vérité. Mes pièces n'étaient point de ces satires clandestines et ténébreuses ; elles étaient représentées dans des jours solennels, le peuple et les magistrats assemblés. Enfin, elles étaient destinées à servir de châtiment à ces crimes envers la société, contre lesquels la loi n'avait pas prononcé de peine. Le P. Brumoy. Vous me dites le mot d'une énigme de vingt siécles. Avouez pourtant que l'abus de cette liberté comique était à craindre, et qu'il était difficile qu'elle se renfermât toujours dans les bornes du vrai. Vous-même, peut-être .... Aristophane. Vous ne récuserez pas le témoignage d'un ami de Socrate, de Platon, qui m'appelait l'historien le plus fidèle des mæurs d'Athènes : mais ce qui vous prouvera mieux encore la noble franchise de mon caractère, c'est qu'en effet, il m'arriva de me tromper une fois, et de traiter Lamachus, à peu près comme j'avais traité Socrate. à Eh bien, j'osai me rétracter en public, tant une fermeté courageuse et vraie était l'attribut auquel je me fesais reconnaître. Le P. Brumoy. Et pourquoi ne pas vous rétracter aussi sur Socrate? Aristophane. Vous pouvez tirer la conséquence. Le P. Brumoy. La mort de ce philosophe laissera subsister contre vous un préjugé que le temps aura peine à détruire. Aristophane. S'il eût profité de ma comédie, en gardant plus de ménagemens, il eût échappé à sa destinée. La liberté de penser est permise, sans doute, mais le gouv. ernement a droit d'imposer le silence. Le P. Brumoy. Vous me donnez des idées toutes nouvelles sur un art que je croyais connaître ; j'avoue que je n'avais jamais considéré la comédie sous ces rapports. Aristophane. Si vous aviez saisi l'esprit des miennes, vous eussiez découvert ces rapports intimes qu'elles avaient avec l'administration publique. Vous m'eussiez vu, dans la comédie des Archananiens, déconcerter les mesures du roi de Perse ; livrer le secret des dépêches de ses ambassadeurs à la république; précautionner ma patrie con. tre leurs insinuations dangereuses ; en un mot, le prince lui-même fut forcé de reconnaître que mes conseils tendaient au bien d'Athènes, et je ne me laissai point séduire par cette louange. Les Lacédémoniens m'en donnèrent une bien plus flatteuse encore, lorsqu'ils posèrent pour prélim |