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ces jattes de lait qu'on vient de traire, et ces fruits délicieux que nous avons cueillis de nos mains ? Et quel goût ne prêtent pas à nos alimens, des travaux qu'il est si doux d'entreprendre, même dans les glaces de l'hivers, et dans les chaleurs de l'été ; dont il est si doux de se délasser, tantôt dans l'épaisseur des bois, au souffle des zéphyrs, sur un gazon qui invite au sommeil; tantôt auprès

; d'une flamme étincelante, nourrie par des troncs d'arbres que je tire de mon domaine, au milieu de ma femme et de mes enfans, objets toujours nouveaux de l'amour le plus tendre ; au mépris des vents impétueux qui grondent aŭtour de ma retraite sans en troubler la tranquillité.

Ah! si le bonheur'n'est que la santé de l'ame, ne doiton pas le trouver dans les lieux où règne une juste proportion entre les besoins et les désirs, où le mouvement et toujours suivi du repos, et l'intérêt toujours accompagné du calme ?

Combat des Messéniens et des Spartiates. Tels que les feux du tonnerre, lorsqu'ils tombent dans les gouffres de l'Etna et les embrasent, le volcan s'ébranle et mugit; il soulève ses flots bouillonnans ; il les vomit de ses flancs qu'il entr'ouvre ; il les lance contre les cieux qu'il ose braver. Indignée de son audace, la foudre chargée de nouveaux feux qu'elle a puisés dans la nue, redescend plus vite que l'éclair, frappe à coups redoublés

à le sommet de la montagne ; et après avoir fait voler en éclats ses roches fumantes, elle impose silence à l'abîme, et le laisse couvert de cendres et de ruines éternelles. Tel Aristomène, à la tête des jeunes Messéniens, fond avec impétuosité sur l'élite des Spartiates, commandés par leur roi Anaxandre. Ses gnerriers, à son exemple, s'élancent comme des lions ardens ; mais leurs efforts se brisent contre cette masse immobile et hérissée de fers, où les passions les plus violentes se sont enflammés, et d'où les traits de la mort s'échappent sans interruption. Couverts de sang et de blessures, ils désespéraient de vaincre, lorsqu 'Aristomène, se multipliant dans lui-même et dans ses soldats, fait plier le brave Anaxandre et sa redoutable cohorte ; parcourt rapidement les bataillons ennemis ; écarte les uns par sa valeur, les autres par sa présence ; les disperse, les poursuit, et les laisse dans leur camp, ensevelis dans une consternation profonde.

L'abbé Barthélemy est au rang de nos premiers écrivains.

Outre un grand nombre de mémoires, on doit à cet illustre savant le petit roman de Carite et Polidore, et le Voyage du jeune Anacharsis en Grèce. Ce dernier ouvrage, qui lui avait couté trente années de travail, fut accueilli avec enthousiasme, et ouvrit à l'auteur les portes de l'Académie française. Une érudition immense, une connaissance exacte de la Grèce et des mœurs de ses anciens habitans, un style pur et varié selon les sujets, des rapprochemens heureux et des allusions fines et ingénieuses, tel est le mérite de cet ouvrage qu'on lira toujours avec autant de plaisir que d'instruction : une sim. plicité d'enfant, des meurs douces, un caractère franc et ouvert, et un caur sensible, fut celui de son modestc auteur. Le duc de Nivernais a écrit la vie de l'abbé Barthélemy.

JEAN-FRANÇOIS DE SAINT-LAMBERT,

né à Nancy (Meurthe) en 1717, mort à Paris en 1803 ou 1805.*

Extrait du Poème des Saisons. Orage d'été. On voit à l'horizon de deux points opposés, Des nuages monter dans les airs embrasés ; On les voit s'épaissir, s'élever et s'étendre. D’un tonnerre éloigné le bruit s'est fait entendre : Les flots en ont frémi, l'air en est ébranlé, Et le long du vallon le feuillage a tremblé. Les monts ont prolongé le lugubre murmure Dont le son lent et sourd attriste la nature. Il succède à ce bruit un calme plein d'horreur, Et la terre en silence attend dans la terreur; Des monts et des rochers le vaste amphithéâtre Disparaît tout à coup sous un voile grisâtre ; Le nuage élargi les couvre de ses flancs; Il pèse sur les airs tranquilles et brûlans. Mais des traits enflammés ont sillonné la nue, Et la foudre, en grondant, roule dans l'étendue ; Elle redouble, vole, éclate dans les airs ; Leur nuit est plus profonde ; et de vastes éclairs En font sortir sans cesse un jour pâle et livide. Du couchant ténébreux s'élance un vent rapide Qui tourne sur la plaine, et rasant les sillons, Enlève un sable noir qu'il roule en tourbillons. Ce nuage nouveau, ce torrent de poussière Dérobe à la campagne un reste de lumière. La peur, l'airain sonnant dans nos temples sacrés Font entrer à grands flots les peuples égarés. Grand Dieu ! vois à tes pieds leur foule consternée Te demander le prix des travaux de l'année. Hélas ! d'un ciel en feu les globules glacés Ecrasent, en tombant, les épis renversés ;

* Voyez la note page 332.

Le tonnerre et les vents déchirent les nuages;
Le fermier de ses champs contemple les ravages,
Et presse dans ses bras ses enfans effrayés.
La foudre éclate, tombe, et des monts foudroyés
Descendent à grand bruit les graviers et les ondes
Qui courent en torrent sur les plaines fécondes.
O récolte ! ô moisson ! tout périt sans retour:
L'ouvrage de l'année est détruit dans un jour.

Saint-Lambert était entré au service, mais la vie militaire ne l'empêcha pas de cultiver les lettres. Il s'était déjà fait connaître par de petites pièces de vers où l'on remarquait du talent, lorsqu'il publia son Poème des Saisons; c'est une des productions originales, dans le genre descriptif, qui font le plus d'honneur au dix-huitième siècle. En effet, on y rencontre ou les détails charmans de la nature pittoresque, décrits avec une pompe qui ne dégénère jamais en luxe; ou les teintes d'une mélancolie aimable et réfléchissante qui attache des idées, des souvenirs et des sentimens à tous les objets. On n'y trouvera rien de vague, rien d'embarrassé, rien de pénible : mais on y apercevra partout une marche sûre, une propriété de termes bien choisis, qui se relèvent l'un par l'autre; un intérêt de style, qui réside toujours dans des tournures faciles et naturelles; on y admirera des exemples fréquens d'harmonie imitative, un coloris toujours vrai, des réflexions intéressantes, des tableaux d'une vérité frappante, et des contrastes ménagés avec art. La seule chose qui manque à ce beau poème, c'est une sorte d'élan et de jet, et, pour ainsi dire, ce feu central qui doit échauffer ou animer l'ensemble d'un poème descriptif

, pour suppléer un peu à cet intérêt d'action qui soutient d'autres sujets.

Outre les poésies dont on vient de parler, St. Lambert a encore donné quelques ouvrages en prose, remarquables par la beauté du style, et par la philosophie qui y règne. Il n'est pas nécessaire de dire que les antagonistes de la philosophie moderne n'ont pas approuvé ces dernières productions. Saint-Lambert est au rang des premiers écrivains de son temps. On regrette de n'avoir pas pu donner quelques morceaux de sa prose, dont le style est très-soigné, ainsi qu'on l'a déjà dit.

ANTOINE BRET,

né en 1717 et mort à Paris vers la fin 18e. siècle.

Le Sommeil du Tyran. Fable.
Sous ses lambris dorés, un tyran détesté
Dormait, en apparence, avec tranquillité.
Le sommeil, dit quelqu'un, est-il fait pour le crime ?
Eh quoi ! le ciel épargne sa victime !

Imprudent! au bruit que tu fais,
Dit un fakir, tremble qu'il ne s'éveille ;
Le ciel permet que le méchant sommeille

le sage ait des momens de paix.

Pour que

Bret se fit d'abord connaître par les articles qu'il fournit aux jour. naux, et ensuite par la rédaction de la Gazette 'de France: mais ces occupations lui laissèrent assez de temps pour donner quelques pièces de théâtre et un recueil de poésies fugitives qui annoncent du talent et du gout. Ses notes et ses remarques sur Molière ont obtenu les suffrages de toutes les personnes de goût, qui s'accordent à les regarder comme très-utiles et très-justes,

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