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Jean-FRANCOIS-PAUL DE GONDY, CARDINAL DE

R E T Z.

né à Montmirail en 1614, mort à Paris en 1679.

Mathieu Molé, premier président. (1)

Si ce n'était pas une espèce de blasphème de dire qu'il y a eu quelqu'un dans notre siècle plus intrépide que le grand Gustave et que M. le Prince, je dirais que ç'a été Molé, premier président.(2) Il s'en fallait beaucoup que son esprit fût aussi grand que son cœur. Il ne laissait pas d'y avoir quelque rapport par une ressemblance qui n'y était toutefois qu'en laid. Je vous ai déjà dit qu'il n'était point congru dans sa langue, il est vrai; mais il avait une sorte d'éloquence qui, en choquant l'oreille, saisissait l'imagination. Il voulait le bien de l'état préférablement à toutes choses, même à celui de sa famille, quoiqu'il parût l'aimer trop; mais il n'eut pas le génie assez élevé pour connaître d'assez bonne heure celui qui eût pu lui en faire ; il présuma trop de son pouvoir; il s'imagina qu'il modérait la cour et sa compagnie ; il ne réussit ni à l'une ni à l'autre ; il se rendit suspect à toutes les deux, et ainsi il fit du mal avec de bonnes intentions. La préocupation y contribua beaucoup ; il était extrême en tout, et j'ai même observé qu'il jugeait des actions par

les actions. Comme il avoit été nourri dans les formes du palais, tout ce qui était extraordinaire lui était suspect; il n'y a guère de dispositions plus dangereuses en ceux qui se recontrent dans les affaires où les règles ordinaires n'ont plus lieu.

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Le cardinal de Retz eut pour précepteur le célèbre Vincent de Paul. Forcé par son père d'entrer dans l'état ecclésiastique, il fit ses études avec distinction, prit le bonnet de docteur de Sorbonne et fut nommé

(1) Mathieu Molé naquit sur la fin du 16e, siècle.

(2) Le célèbre Henrion de Pansay, dans son éloge de M. Molé, à cité ce passage du cardinal.

coadjuteur de l'archevêque de Paris, qui était son oncle. Par l'ascen. dant de sa place, il précipita le parlement dans les cabales, et le peuple dans les séditions. Tour à tour ami et ennemi de la cour, il la servait ou la combattait selon les vues secrètes de sa propre ambition. Forcé de quitier le royaume, après s'être échappé du château de Nantes où il était prisonnier, il erra en Italie, en Hollande, en Angleterre, et rentra en France où il se réconcilia avec la cour en se démettant de son ar. hevêche. Dès ce moment cet homme audacieux et bouillant, devint doux, paisible, et l'amour de tous les honnêtes gens de son temps ; son ambition, sa méchanceté, ses débauches d'esprit, tous ses vices avaient disparu avec sa jeunesse.

“Mais pour la connaissance des hommes et des affaires, pour le talent d'écrire, rien ne peut se comparer, même de fort loin, aux Memoires du fameux cardinal de Retz ; c'est le monument le plus précieux, en ce genre, qui nous reste du siècle passé.

La seule gloire qui lui soit restée, est celle à laquelle il songeait le moins, celle d'ecrivain supérieur.

Ce qu'il peint le mieux dans ses ouvrages, c'est lui-même, et l'on peut dire de lui, comine de César, qu'il a fait la guerre civille et l'a écrite avec le même esprit." (La Harpe.) Voyez l'article de Hénault, dans la quatrième partie de cette collection.

JEAN-BAPTISTE POCQUELIN DE MOLIÈRE,

né à Paris en 1620, mort dans la même ville en 1673.

Extrait d'une scène des Femmes Servantes.

Chrysale se plaint de la passion de sa femme et de sa sour pour les

sciences.

(à sa sour et à sa femme.)

Le moindre solécisme en parlant vous irrite;
Mais vous en faites, vous, d'étranges en conduite,
Vos livres éternels ne me contentent pas ;
Et hors un gros Plutarque à mettre mes rabats,
Vous devriez brûler tout ce meuble inutile,
Et laisser la science aux docteurs de la ville ;
M'ôter, pour faire bien, du grenier de céans,
Cette longue lunette à faire peur aux gens,
Et cent brimborions dont l'aspect importune ;
Ne point aller chercher ce qu'on fait dans la lune,
Et vous mêler un peu de ce qu'on fait chez vous,
Où nous voyons aller tout sens dessus dessous.
Il n'est pas bien honnête, et pour beauconp de causes,
Qu'une femme étudie et sache tant de choses.
Former aux bonnes meurs l'esprit de ses enfans,
Faire aller son ménage, avoir l'eil sur ses gens,
Et régler la dépense avec économie,
Doit être son étude et sa philosophie.
Nos pères, sur ce point, étaient gens bien sensés,
Qui disaient qu'une femme en sait toujours assez,
Quand la capacité de son esprit se hausse
A connaître un pourpoint d'avec un haut-de-chausse.
Les leurs ne lisaient point, mais elles vivaient bien.
Leurs ménages étaient tout leur docte entretien ;
Et leurs livres, un dé, du fil et des aiguilles,
Dont elles travaillaient au trousseau de leurs filles.
Les femmes d'à présent sont bien loin de ces meurs :

Elles veulent écrire et devenir auteurs;
Nulle science n'est pour elles trop profonde,
Et céans beaucoup plus qu'en aucun lieu du monde ;
Les secrets les plus hauts s'y laissent concevoir.
Et l'on sait tout chez moi, hors ce qu'il faut savoir.
On y sait comme vont lune, étoile polaire,
Venus, Saturne et Mars, dont je n'ai point affaire ;
Et dans ce vain savoir qu'on va chercher si loin,
On ne sait comme va mon pot dont j'ai besoin.
Mes gens à la science aspirent à vous plaire,
Et tous ne font rien moins que ce qu'ils ont à faire :
Raisonner est l'emploi de toute ma maison,
Et le raisonnement en bannit la raison.
L'un me brûle mon rôt en lisant quelque histoire,
L'autre rêve à des vers quand je demande à boire.
Enfin je vois par eux votre example suivi ;
Et j'ai des serviteurs, et ne suis point servi.
Une pauvre servante, au moins m'était restée,
Qui de ce mauvais air n'était point infectée ;
Et voilà qu'on la chasse avec un grand fracas,
A cause qu'elle manque à parler Vaugelas !*
Je vous le dis, ma seur, tout ce train là me blesse,
Car c'est, comme j'ai dit, à vous que je m'adresse.
Je n'aime point céans tous vos gens à latin,
Et principalement ce monsieur Trissotin.
C'est lui qui, dans des vers, vous a tympanisées ;
Tous les propos qu'il tient sont des billevesées ;
On cherche ce qu'il dit après qu'il a parlé,
Et je lui crois, pour moi, le timbre un peu fêlé. ...

Molière était fils et petit-fils de valets de chambre tapissiers du roi. Il n'avait d'abord reçu qu'une éducation conferme à l'etat de son père, auquel on le destinait. A l'âge de 14 ans, il demanda instamment, et on lui accorda avec peine la permission d'aller faire ses études chez les jésuites au collège de Clermont, ce qu'il accomplit dans

*Vaugelas est le nom d'un célèbre grammairien français qui con. tribua beaucoup au perfectionnement de la langue. Il était né à Bourg-en-Bresse, et inourut vers la fin de 1649, âgé d'environ 65

Sa Grammaire française et sa traduction de Quinte.Curce lui ont fait honneur. Il fut un des premiers membres de l'Academie française. Boileau appelle Vaugelas le plus sage des écrivains de notre langue.

ans.

l'espace de cinq ans sous ces maîtres célèbres qui lui inspirèrent le goût des belles-lettres. Pendant ce temps il se lia étroitment avec Chapelle, Bernier et Cyrano, qui le firent admettre aux leçons de philosophie du célèbre Gassendi, leur précepteur. C'est sous cet habile philosophe que le jeune Molière, après avoir orné son esprit des belles-lettres, apprit à raisonner. C'est dans ses préceptes qu'il puisa les principes de justesse qui lui ont servi de guide dans la plu. part de ses ouvrages. Entraîné par un gout irresistible vers le théâtre, il s'unit avec quelques jeunes gens, et parcourut avec eux les provinces en jouant la comédie. Il donna sa première pièce à Lyon, en 1653. C'était l'Etourdi. Quoique cette pièce ne soit pas bonne, elle donna l'idée d'un nouveau genre, et fut très-applaudie. Elle ne fut pas moins bien reçue à Béziers, où le prince de Conti tenait les états du Languedoc.

Ce prince qui avait connu Molière au collège, le reçut avec bonté, et fit donner des appointemens à sa troupe. C'est dans cette ville qu'il donna le Dépit amoureux, et les Précieuses ridicules. Molière se rendit à Paris, et Louis XIV, fut si satisfait des spectacles que lui donna sa troupe, qu'il en fit ses comédiens ordinaires, et accorda à leur chef une pension de mille livres. C'est depuis cette époque qu'il a donné ces belles comédies qui l'ont fait regarder comme le premier auteur comique qui ait jamais existé. On peut regarder les ouvrages de Molière comme l'histoire des meurs, des modes et du gout, et comme le tableau le plus fidèle de la vie humaine. Né avec un esprit de réflexion, prompt à remarquer les expressions extérieures des passions et leurs mouvemens dans les différens états ; il saisit les hommes tels qu'ils sont, et expose en habile peintre les plus secrets replis de leurs cæurs, et le ton, le geste, le langage de leurs sentimens divers. “Quelle naïveté ! quelle source de bonne plaisantrie! quelle imitation des mœurs ! quelles images et quel fléau du ridicule!”

LA BRUYERE.

“Si Ménandre et Térence revenaient au monde, ils étudieraient grand maître, et n'étudieraient que lui.”

MAUMONTEL.

“ Inimitable Molière. . .
Tu fus le peintre de la France.
Nos bourgeois à sots préjugés.
Chez toi venaient se reconnaitre ;
Et lu les aurais corrigés,
Si l'esprit humain pouvait l'être.”

VOLTAIRE.

Molière était d'un caractère doux, complaisant, généreux.

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