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il sera forcé de se dire: Non, l'homme n'est pas ainsi par lui-même, quelque chose de plus qu'humain règne ici !

Un heureux instinct me porte au bien, une violente passion s'élève, elle a sa racine dans le même instinct; que ferai-je pour la détruire ? De la considération de l'ordre, je tire la beauté de la vertu, mais que fait tout cela contre mon intérêt particulier; et lequel au fond m'importe le plus, de mon bonheur aux dépens du reste des hommes, ou du bonheur des autres aux dépens du mien ? Si la crainte de la honte ou du châtiment m'empêche de mal faire pour mon profit, je n'ai qu'à mal faire en secret, la vertu n'a plus rien à me dire; et si je suis surpris en faute, on punira comme à Sparte, non le délit, mais la maladresse. Enfin, que le caractère de l'amour du beau soit empreint par la nature au fond de mon âme, j'aurai ma règle aussi long-temps qu'il ne sera point défiguré; mais comment m'assurer de conserver toujours dans sa pureté cette effigie intérieure qui n'a point parmi les êtres sensibles de modèle auquel on puisse la comparer ? ne sait-on pas que les affections désordonnées corrompent le jugement ainsi que la volonté, et que la conscience s'altère et se modifie insensiblement dans chaque siècle, dans chaque peuple, dans chaque individu, selon l'inconstance et la variété des préjugés ? Adorons l'Etre éternel, d'un souffle nous détruirons ces fantômes de raison, qui n'ont qu'une vaine apparence et fuient comme une ombre devant l'immuable vérité.

L'oubli de toute religion conduit à l'oubli des devoirs de l'homme.

Fuyez ceux qui, sous prétexte d'expliquer la nature, sément dans les cœurs des hommes de désolantes doctrines, et dont le scepticisme apparent est une fois plus affirmatif et plus dogmatique que le ton décidé de leurs adversaires. Sous le hautain prétexte qu'eux seuls sont éclairés, vrais, de bonne foi, ils nous soumettent impérieusement à leurs décisions tranchantes, et prétendent nous donner, pour les vrais principes des choses, les inintelligibles systèmes qu'ils ont bâtis dans leur imagination. Du reste, renversant, détruisant, foulant aux pieds tout ce que les hommes respectent, ils ôtent aux affligés la dernière consolation de leur misère, aux puissans et aux

riches le seul frein de leurs passions ; ils arrachent du fond des cæurs le remords du crime, l'espoir de la verru, et se vantent encore d'être les bienfaiteurs du genre humain. Jamais, disent-ils, la vérité n'est nuisible aux hommes; je le crois comme eux, et c'est à mon avis une grande preuve que ce qu'ils enseignent n'est pas la vérité.

De la Bienfaisance. Hommes, soyez humains, c'est votre premier devoir. Soyez-le pour tou sles états, pour tous les âges, pour tout ce qui n'est pas étranger à l'homme. Quelle sagesse y a-t-il pour vous hors de l'humanité ?

L'occasion de faire des heureux est plus rare qu'on ne pense; la punition de l'avoir manquée est de ne la plus retrouver, et l'usage que nous en fesons, nous laisse un sentiment éternel de contentement ou de repentir.

Ce n'est pas d'argent seulement qu'ont besoin les infortunés, et il n'y a que les paresseux de bien faire, qui ne sachent faire du bien que la bourse à la main. Les consolations, les conseils, les soins, les amis, la protection, sont autant de ressources que la commisération laisse au défaut des richesses, pour le soulagement de l'indigent. Souvent les opprimées ne le sont, que parce qu'ils manquent d'organes pour faire entendre leurs plaintes. Il ne s'agit quelquefois que d'un mot qu'ils ne peuvent dire, d'une raison qu'ils ne savent point exposer, de la porte d'un grand qu'ils ne peuvent franchir. "L'intrépide appui de la vertu désintéressée suffit pour lever une infinité d'obstacles ; et l'éloquence d'un homme de bien peut effrayer la tyrannie au milieu de toute sa puissance. Si vous voulez donc être homme en effet, apprenez à redescendre. L'humanité, comme une eau pure et salutaire, va fertiliser les lieux bas; elle cherche toujours le niveau; elle laisse à sec ces roches arides qui menacent la campagne, et ne donnent qu'une ombre nuisible ou des éclats pour écraser leurs voisins.

Il n'y a que l'exercice continuel de la bienfaisance, qui garantisse les meilleurs cours de la contagion des ambitieux: un tendre intérêt au malheur d'autrui sert à mieux en trouver la source, et à s'éloigner en tout sens des vices qui les ont produits.

S'il est des bénédictions humaines que le ciel daigne exaucer, ce ne sont point celles qu'arrachent la flatterie et la bassesse en présence des gens qu'on loue ; mais celles que dicte en secret un cæur simple et reconnaissant. Voilà l'encens qui plait aux âmes bienfaisantes.

Un homine bienfaisant satisfait mal son penchant au milieu des villes, ou il ne trouve presque à exercer son zèle que pour des intrigans et pour des fripons.

Il ne serait pas plus aisé à une âme sensible et bienfaisante d'être heurense en voyant des misérables, qu'à l'homme droit de conserver sa vertu toujours pure, en vivant sans cesse au milieu des méchans. Une âme de ce caractère n'a point cette pitié barbare, qui se contente de détourner les yeux des maux qu'elle pourrait soulager; elle les va chercher

pour
les guérir.

C'est l'existence et non la vue des malheureux qui la tourmente ; il ne lui suffit point de ne point savoir qu'il y en a; il faut pour son repos qu'elle sache qu'il n'y en a pas, du moins autour d'elle: car se serait sortir des termes de la raison, que de faire dépendre son bonheur de celui de tous les hommes.

Nul honnête homme ne peut jamais se vanter d'avoir du loisir, tant qu'il y aura du bien à faire, une patrie à servir, des malheureux à soulager.

Les premiers besoins, ou du moins les plus sensibles, sont ceux d'un cæur bienfaisant; et tant que quelqu'un manque du nécessaire, quel honnête homme a du superflu?

Il n'y a que les infortunés qui sentent le prix des âmes bienfaisantes.

J. J. Rousseau est un de nos meilleurs écrivains en prose- Ses premières lectures furent Plutarque et Tacite. Une étourderie de jeune homme lui fit abandonner la maison paternelle. L'évêque d'An. neci, à qui il demanda un asile, chargea de son éducation madame Warens qui lui servit de mère et d'amie, et qui finit par prendre pour lui un sentiment plus vif. Rousseau aimait la musique, et y avait fait des progrès. Il en donna des leçons à Chambéri. Il quitta cette ville pour se rendre à Paris, où il passa deux ans dans la plus grande détresse. Ses amis réussirent à le placer auprès de Montaigu, ambas. sadeur à Venise ; mais la mésintelligence se mit bientôt entre l'ambassadeur et son secrétaire. De retour à Paris, la place de commis qu'il obtint chez un fermier-général, homme d'esprit, lui donna quelque aisance, et il s'en servit pour aider madame Warens, sa bienfaitrice. Rousseau avait trente-neuf ans lorsqu'il commença à se montrer sur la scène littéraire. L'Académie de Dijon avait proposé cette question : Si le rétablissement des sciences et des arts a contribué à épurer les

Rousseau voulut d'abord soutenir l'affirmative. "C'est le pont aux anes,” lui dit un philosophe alors son ami ; “soutenez la négative, et je vous promets le plus grand succès.” En effet, son discours fut couronné. Jamais argument n'avait été soutenu avec plus d'éloquence. Le discours qui suivit fut encore plus éloquent. Les maximes les plus hardies, les idées les plus extraordinaires y furent reson repos, et il quitta l'Angleterre. Rentré en France, il y trouva beaucoup d'amis, et obtint la permission de demeurer à Paris, à condition qu'il nécrirait ni sur la politique ni sur la religion; et depuis cette époque il vécut en philosophe plaisible, borné à la société de quelques amis sûrs, fuyant celle des grands, méprisant le luxe et tous ses appareils, n'affichant ni la philosophie ni le bel esprit, vivant dans la plus grande simplicité et le plus parfait désintéressement; Bref, s'étant retiré à la campagne, il y vécut et y mourut en vrai sage.

mours.

y vêtues des couleurs les plus brillantes, du style le plus enchanteur. Sa lettre à d'Alembert contre les spectacles, offrit les vérités les plus importantes et les mieux développées; Voltaire en fut irrité. Rousseau avait déjà donné son Devin du village, admirable par l'accord parfait des paroles et de la musique. Il publia peu de temps après une lettre sur la musique, dans laquelle il attaqua sans ménagement nos opéras. Les partisans de la musique française se déchaînèrent contre lui, et portèrent la fureur jusqu'à le pendre en effigie. A ses différens ouvrages succéda sa nouvelle Héloïse, roman qui offre peu de vraisemblance dans le fonds, mais qui étincelle de beautés de détails. Quoique le style en soit un peu guindé, on y trouve des lettres qui attachent

par la chaleur de l'expression, par cette effervescence de sentimens, par ce désordre d'idées, qui caractérisent une passion portée à son comble. Ce roman avait fait beaucoup de bruit, mais Emile en fit bien d'avantage. Cet ouvrage sur l'éducation renferme un infinité de choses sages, utiles, vraies, bien vues, et très-dignes de Platon : on a reproché à l'auteur d'avoir introduit dans le troisième volume un vicaire savoyard qui, après avoir parlé d'une manière sublime de l'évan. gile et de son auteur, exprime modestement ses doutes sur l'authentic. ité des preuves sur lesquelles sont fondées les vérités du christian. isme. Le parlement de Paris condamna ce livre et poursuivit crimi. nellement Rousseau, qui fut obligé de prendre la fuite à la hâte, Genève lui ferma ses portes. Il se retira dans la principauté de Neuf. Châtel, d'où, malgré la protection du roi de Prusse, il fut forcé de sortir. Il chercha un asile dans le canton de Berne, mais on refusa de l'y recevoir. Le célèbre Hume, touché de son sort, le mena en Angleterre, où il lui procura un établissement très-agréable à la campagne: mais le philosophe de Genève ne resta pas long-temps tranquille dans sa nouvelle retraite. Les partisans du pouvoir et des priviléges exclu. sifs redoutaient la présence d'un républicain doué de si grands talens: quelque journaux de Londres employèrent jusqu'aux plus infames maneuvres pour le décrier et l'avilir dans l'opinion publique. On y publia une lettre fabriquée sous le nom du roi de Prusse, dans laquelle on s'éngayait aux dépens des principes et de la conduite de Rousseau. Celui-ci se trouvant ainsi immolé aux attrocités de la colomnie et du fanatisme, vit que c'était une conspiration formée contre sa gloire et

y On n'a jamais contesté les grands talens de cet écrivain véritable. ment original. Il a été appelé le premier de nos prosateurs, après Bossuet, et cette opinion s'est toujours soutenue.

Outre les ouvrages déjà cités, nous avons encore de ce grand philosophe, le Contrat social, etc.

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