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CHARLES-ETIENNE PESSELIER,

né à Paris en 1712, mort dans la même ville en 1763.

L'Homme et la Marmotte. Fable.

La marmotte venait de finir son long somme;

Sommeil de six mois seulement.
N'as-tu pas honte, lui dit l'homme,
De dormir si profondément ?

Tu ne parles que par envie,
Répondit la marmotte, et tu me fais pitié :
J'aime encor mieux dormir la moitié de ma vie,
Que d'en perdre en plaisirs, comme toi, la moitié.

Pesselier commença à travailler pour le théatre, et donna quelques comédies estimées, pour la légèreté du style et les agrémens de la versification. Il a aussi publié des fables dont quelques-unes renferment une excellente morale, mais l'esprit qui y domine, leur ôte ces graces simples et ingénues qui sont essentielles à ce genre. Il reste aussi de Jui des ouvrages en prose, et entre autres des Lettres sur l'éducation. Des vérités morales exprimées avec facilité, de la douceur, de l'exactitude, de l'harmonie, soit en prose soit en vers ; des sentimens rendus avec finesse ; plus d'esprit que de talent, plus de réflexions que d'im. ages, voila ce qui caractérise cet écrivain d'autant plus estimable qu'il ne lui est jamais échappé rien qui put blesser les meurs ou la société. ANTOINE MALVIN DE MONTAZET, COMTE DE

LYON

mort à Paris en 1788.

Devoirs que la religion prescrit à l'homme envers ses

semblables.

Jamais la philosophie ne donna plus de leçons d'humanité et de bienfaisance, que dans le siècle où nous sommes ; mais la gloire de nous faire aimer sincèrement nos frères est tellement propre à la doctrine chrétienne, qu'aucune autre ne peut la partager avec elle, et encore moins la lui ravir. C'est-elle seule qui nous apprend, et qui nous rend chers tous les devoirs de notre mutuelle correspondance, qui nous en découvre l'origine, en établit les fondemens, en règle l'exercice, en surmonte les obstacles, et qui forme ainsi, entre tous les hommes, une alliance si chère et si inviolable, qu'aucune vue humaine, qu'aucun intérêt particulier, que l'ingratitude et la persécution même ne sauraient plus la rompre, l'affablir ou la souiller. Mais comment la religion nous conduit-elle à cette haute perfection ? Elle ordonne d'abord que nous concentrions en Dien toutes les affections de notre cæur, et lorsqu'elle nous a pleinement attachés à lui, comme au principe de toutes choses, elle veut que de cette source, où notre amour est devenu également pur et abondant, il se répande par une communication générale sur tous les êtres qui sont faits, comme nous, à l'image de Dieu, appelés, comme nous, à le voir, et à jouir de lui dans tous les siècles. Or, il est manifeste, non-seulement que ces deux devoirs ont entre eux une relation nécessaire, que l'un est un écoulement et une dépendance de l'autre, mais que

le second ne peut ni s'accomplir, ni subsister sans le premier. Car qu'est-ce qu'aimer les hommes, si ce n'est leur désirer et leur procurer, autant qu'il est en nous,

le bien que nous désirons pour nous-mêmes, et dont nous attendons notre felicité ? Mais pour s'élever à une disposition

si sublime, il faut nécessairement avoir détaché son cœur de tous les biens particuliers, parce qu'étant finis, ils diminuent par le partage, et qu'en perdant de leur prix, ils nous divisent. ... C'est cette générosité chrétienne qui nous élève au-dessus de l'amour-propre, et qui fait que nous n'en éprouvons plus les vaines inquiétudes, les basses jalousies, les injustes désirs. C'est cette même générosité qui nous porte à répandre notre trésor, à partager notre couronne, à chercher des compagnons de notre bon

Et dès-lors qu'aimera donc celui qui n'aime ni la religion, ni le Dieu qu'elle adore ? Il pourra être humain par tempérament, bienfaisant par ostentation. Renfermé dans le cercle étroit de son amour-propre, il n'en sortira point; il n'obéira qu'à son intérêt; il n'aimera que luimême.

La charité que Jésus-Christ nous commande pour tous les hommes, n'est pas moins ferme qu'elle est sincère et désintéressée. Elle survit à toutes les épreuves, parce qu'elle ne peut être vaincue. Elle n'est jamais blessée, parce qu'elle descend encore plus bas que son humilité, que les hommes ne pourraient l'abaisser par leur injustice. Elle ne cache ni trouble, ni aigreur sous les dehors de la patience, parce quelle n'est pas une dangereuse hypocrisie. Elle ne consiste point en démonstrations et en paroles, parce que son siège est dans le cæur, et qu'elle est prête à tout souffrir, surtout lorsque ses frères ont besoin du spsctacle de son courage et de sa douceur, pour conserver ou recouvrer le précieux trésor de l'innocence. Elle sait que sa force et son énergie doivent aller jusqu'à mourir pour eux, parce que J. C. nous en a donné l'exemple, et nous en impose la loi. Si elle espère quelque reconnaissauce de ses sacrifices, ce n'est pas pour elle, c'est pour ceux qui ne pourraient être ingrats sans cesser d'être justes.

Montazet était archevêque de Lyon. On a dit que sa fameuse In.. struction prstorale contre l'incrédulité, aurait suffi pour lui donner des droits aux hommages de la postérité et comme évêque et comme littérateur. Cet ouvrage est, en effet, écrit avec beaucoup d'éloquence, de force et de pureté : le style en est pathétique et touchant, les pensée profondes, les idées sublimes et bien dignes d'un ministre de l'évangile. Qu'il suffise de dire que Voltaire, aussi juste appreciateur du mérite qu'ennemi de toute flatterie, ne donnait à ce prélat que le nom d'éloquent Montazet. Il a été de l'Académie française.

JEAN-JACQUES ROUSSEAU,

né à Genève l'an 1712, mort à Ermenonville (Oise) en 1778.

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EXTRAITS D'EMILE. Divinité de Jésus-Christ prouvée par sa comparaison avec tout ce qu'il y a eu de plus sage dans le paganisme.

J'avoue que la majesté des écritures m'étonne, que la sainteté de l'évangile parle à mon cæur. Voyez les livres des philosophes avec toute leur pompe ; qu'ils sont petits près de celui-là ! Se peut-il qu'un livre à la fois si sublime et si simple soit l'ouvrage des hommes ? Se peutil que celui dont il fait l'histoire, ne soit qu'un homme lui-même ? Est-ce là le ton d'un enthousiaste, ou d'un ambitieux sectaire ? Quelle douceur ! quelle pureté dans ses meurs ! quelle grâce touchante dans ses instructions ! quelle élévation dans ses maximes! quelle profonde sagesse dans ses discours ! quelle présence d'esprit! quelle finesse et quelle justesse dans ses réponses! quel empire sur ses passions! Où est l'homme, où est le sage qui sait agir, souffrir et mourir sans faiblesse et sans ostentatation? Quand Platon peint son juste imaginaire couvert de l'opprobre du crime, et digne de tous les prix de la vertu, il peint Jésus-Christ trait pour trait. La ressemblance est si frappante, que tous les pères l'ont sentie, et qu'il n'est pas possible de s'y tromper. Quels préjugés, quel aveuglement ne faut-il point avoir pour comparer le fils de Sophronisque au fils de Marie ! Quelle distance de l'un à l'autre ! Socrate, mourant sans douleur et sans ignominie, soutint aisément son personnage ; et si cette facile mort n'eût honoré sa vie, on douterait si Socrate, avec tout son esprit, fut autre chose qu'un sophiste. Il inventa, dit-on, la morale; d'autres, avant lui, l'avaient mise en pratique ; il ne fit que dire ce qu'ils avaient fait: il ne fit que mettre en leçons leurs exemples. Aristide avait été juste, avant que Socrate eût dit ce que c'est

que la justice.

Léonidas était mort pour son pays, avant que Socrate eût fait un devoir d'aimer la patrie. Sparte était sobre, avant que Socrate eût loué la sobriété : avant qu'il eût défini la vertu, Sparte abondait en hommes vertueux, Mais où Jésus avait-il pris parmi les siens cette morale élevée et pure, dont lui seul a donné les leçons et l'exemple? Du sein du plus furieux fanatisme, la plus haute sagesse se fit entendre, et la simplicité des plus héroïques vertus honora le plus vil de tous les peuples. La mort de Socrate philosophant tranquillement avec ses amis, est la plus douce qu'on puisse désirer; celle de Jésus expirant dans les tourmens, injurié, raillé, maudit de tout un peuple, est la plus horrible qu'on puisse craindre. Socrate, prenant la coupe empoisonnée, bénit celui qui la lui présente et qui pleure ; Jésus, au milieu d'un supplice affreux, prie pour ses bourreaux acharnés. Oui, si la vie et la mort de Socrate sont d'un sage, la vie et la mort de Jésus sont d'un Dieu.

De quelles douceurs et de quelles consolations n'est pas

privé l'homme sans religion. De combien de douceurs n'est pas privé celui à qui la religion manque ! Quel sentiment peut le consoler dans ses peines ? quel spectateur anime les bonnes actions qu'il fait en secret ? quelle voix peut parler au fond de son ame? quel prix peut-il attendre de sa vertu ? comment doit-il envisager la mort?

Une dernière ressource à employer contre l'incrédule, c'est de le toucher, c'est de lui montrer un exemple qui l'entraine, et de lui rendre la religion si aimable qu'il ne puisse lui résister.

Quel argument contre l'incrédule que la vie du vrai chrétien ! y a-t-il quelque âme à l'épreuve de celui-là ?

! quel tableau pour son ceur, quand ses amis, ses enfans, sa femme concourront tous à l'instruire en l'édifiant: quand, sans lui prêcher Dieu dans leurs discours, ils le lui montreront dans les tus dont il est l'auteur, dans le charme qu'on trouve à lui plaire: quand il verra briller l'image du ciel dans sa maison : quand une fois le jour,

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