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Louis-ELIZABETH DE LA VERGNE, COMTE DE

TRESSAN,

né au Mans (Sarthe) en 1705, mort à Paris en 1783.

Histoire de l'origine des Peuples.

Il n'est aucune histoire de nations considérables dont le: commencement ne soit obscur, fabuleux et voilé par les ténèbres que l'orgueil national et la superstition ont ré pandues sur son origine et sur ses premiers siècles.

Ce commencement est toujours le même pour toutes les nations dont nous voyons l'établissement en Europe ; j'en excepte la république de Venise.

L'horreur de la tyrannie, l'amour de la liberté appela quelques peuples malheureux dans ces lagunes alors inhabitables. Les Vénitiens n'entrèrent point en conquérans, le fer et la flamme à la main, dans ce pays stérile et malsain ; leur industrie, leur union et des lois sages y fondèrent bientôt une des plus belles villes de l'univers, et cette nouvelle puissance qui, depuis quatorze siècles, paraît inébranlable, et se gouverne toujours par les mêmes principes.

On ne voit dans l'origine des autres nations que les mêmes calamitès qui parcourent la surface de la terre, des émigrations de peuples malheureux et féroces qui font des incursions : des massacres, des prodiges, des oracles, des mystéres, et presque toujours des sacrifices barbares où le sang humain a baigné l'autel du pére commun de tous les hommes.

Plus vous examinerez le commencement des nations les plus policées et les plus célèbres, plus vous serez indignés de la barbarie, de l'ignorance et de l'aveuglement des premiers fondateurs des empires.

Il a fallu bien du temps avant que les descendans des premiers conquérans aient connu l'art de rassembler les faits, de les mettre en ordre, et surtout de les écrire.

et

Ce ne fut que par une tradition fabuleuse que les Grecs commencèrent à rassembler l'histoire de ces premiers héros, qu'ils placérent au rang des demi-dieux.

Jugez quelle put être l'espèce de tradition qui transmit aux Romains (lorsqu'ils surent écrire) l'histoire de Rémus et de Romulus, et des premiers siècles de cette république.

Jugez de l'aveuglement de ce peuple devenu depuis si célèbre, puisque le sage Numa ne crut pouvoir les éclairer et les assujettir à des lois nécessaires, sans se servir du prestige de la nymphe Egérie et sans leur faire croire qu'il leur parlait au nom des dieux.

Parler au nom de la divinité, c'est presque l'unique ressource de l'esprit vaste et courageux qui veut se soumettre celui de la multitude, et lui imposer un nouveau culte avec de nouvelles meurs. C'est ainsi que Numa Pompilius réussit à former un peuple policé, de ces brigands qui n'avaient encore pour usage pour

loi
que

de se conformer aux lois féroces de leurs pères.

Mahomet fit bien plus encore: il détruisit un ancien culte, il en établit un nouveau, les circonstances se trouvèrent favorables, on l'écouta, on le crut, on lui obéit, le fer et l'alcoran à la main, il séduisit, il subjugua: mais ce même Mahomet en des circonstances moins heureuses eût été empalé.

Passez donc légèrement sur les commencemens de l'histoire profane ; le tableau général vous suffit, dès que vous l'aurez vu éclairé par la philosophie.

Ne commencez à faire quelques efforts pour saisir l'esprit de l'histoire de chaque empire, qu'au moment où vous trouverez des chroniques contemporaines des faits, et quelques monumens qui constateront ces mêmes faits, leurs époques et une chronologie qui ne soit plus fabuleuse.

Si vous ne portez un esprit vraiment philosophique dans l'étude de l'histoire, vous ne ferez que charger votre mémoire de faits, de noms et d'époques, et vous serez, il est vrai, très-érudits, pour ceux qui ne sont qu'èrudits, mais vous ne serez jamais éclairés pour ceux qui saisissent les les vrais moyens de l'être.

Je vous avoue, mes chers enfans, que la plupart des prétendues beautés que je vois admirer par quelques ama

teurs de l'histoire, sont précisément, selon moi, les défauts que l'esprit juste doit leur reprocher.

Quel est l'homme sensé qui, connaissant l'art d'apprécier les degrés de probabilité, pourra lire les histoires anciennes avec confiance ? Celle d'Alexandre par QuinteCurce ne m'a jamais paru qu’un tissu de fables et d'absurdités, dans lesquelles ni la vraisemblance, ni même la géographie ne sont respectées. Hérodote mêle des contes dignes de la bibliothèque bleue au récit des plus grands événemens; on trouve plutôt dans Hérodote le poète exagérateur de la petite république grecque, qu'on n'y reconnaît l'historien.

Le comte de Tressan fut placé à la cour auprès de Louis XV., et profita de l'éducation qu'on donna à ce jeune monarque.

Colonel à l'age de 17 ans, il suivit la carrière militaire, et parvint au grade de lieutenant-général. Un Mémoire sur l'électricité lui ouvrit l'entrée à l'Académie des sciences. Grand maréchal des logis auprès du roi Stanislas, il fit le principal ornement de la cour de ce prince, et y fut généralement aimé. Doué d'un caractère doux, affable, poli, préve. nant, il était jaloux de plaire même à un enfant. Il engagea le roi Stanislas à fonder l'Académie de Nancy. Les Discours qu'il y prononça sont écrits avec élégance, comme tous ses autres ouvrages, dont les principaux sont des Réflexions sommaires sur l'esprit, composées pour l'éducation de ses enfans, ouvrage plein de gout et d'instruction, digne d'un père sage et d'un homme éclairé ; des Romans de chevalerie, extraits des anciers, mais embellis par beaucoup de goût, d'élégance et de grace; une Traduction de l'Arioste dont l'abbé Delille a dit: “vous avez traduit un poème, et M. Mirabeau a traduit un roman:” cette traduction n'est pourtant pas toujours fidéle. On a encore de cet auteur quelques pièces de poésie où l'on trouve de la grâce et de l'esprit. Il peint lui même le caractere de son style en disant dans la préface de son Amadis : "les grâces pourront sourire en me lisant, mais j'espère ne les jamais faire rougir.” Il a été de l'Académie française.

Vers pour mettre au bas du portrait du comte de Tressan.

Savant illustre, intrépide guerrier,

Poèle aimable et galant romancier,
Le compas de Newton occupa sa jeunesse,
Les chants des Troubadours bercèrent sa vieillesse,
De nos preux chevaliers il conta les tournois,
Imita leur vaillance et chanta leurs exploits.

(L'abbé Delille.)

GEORGE-LOUIS LE CLERC, COMTE DE

BUFFON,

né à Montbard (Côte-d'Or) en 1707, mort à Paris en 1788.

Le Rossignol.

Il n'est point d'homme bien organisé, à qui ce nom ne

à rappelle quelqu'une de ces belles nuits de printemps où le ciel étant serein, l'air calme, toute la nature en silence, et, pour ainsi dire, attentive, il a écouté avec ravissement le ramage de ce chantre des forêts. On pourrait citer quelques autres oiseaux chanteurs, dont la voix le dispute à certains égards à celle du rossignol ; les alouettes, le serin, le pinson, les fauvettes, la linotte, le chardonneret, le merle commun, le merle solitaire, le moqueur d'Amérique, se font écouter avec plaisir, lorsque le rossignol se tait : les uns ont d'aussi beaux sons, les autres ont le timbre aussi pur et aussi doux, d'autres ont des tours de gosier aussi flatteurs ; mais il n'en est pas un seul que le rossignol n'efface par la réunion complète de tous ces talens divers, et par la prodigieuse variété de son ramage ; en sorte que la chanson de chacun de ces oiseaux prise dans toute son étendue, n'est qu'un couplet de celle du rossignol. Le rossignol charme toujours, et ne se répète jamais, du moins jamais servilement; s'il redit quelque passage, ce passage est animé d'un accent nouveau, embelli par de nouveaux agrémens ; il réussit dans tous les genres, il rend toutes les expressions ; il saisit tous les caractères, et de plus il sait en augmenter l'effet par les contrastes. Ce coryphée du printemps se prépare-t-il à chanter l'hymne de la nature, il commence par un prélude timide, par des tons faibles, presque indécis, comme s'il voulait essayer son instrument et intéresser ceux qui l'écoutent; mais ensuite prenant de l'assurance, il s'anime par degrés, il s'échauffe, et bientôt il déploie dans leur plénitude toutes les ressources de son incomparable organe: coups de gosier éclatans, batteries vives et légères, fusées de chant, où la netteté est égale à la volubilité ; murmure intérieur et sourd qui n'est point

appréciable à l'oreille, mais très-propre à augmenter l'éclat des tons appréciables : roulades précipitées, brillantes et rapides, articulées avec force et même avec une dureté de bon goût; accens plaintifs cadencés avec mollesse, sons filés sans art, mais enflés avec âme, sons'enchanteurs et pénétrans, vrais soupirs d'amour et de volupté qui semblent sortir du ceur et font palpiter tous les ceurs, qui causent à tout ce qui est sensible une émotion si douce, une langueur si touchante : c'est dans ces tons passionnés que l'on reconnait le langage du sentiment qu'un époux heureux adresse à une compagne chérie, et qu'elle seule peut lui inspirer, tandis que dans d'autres phrases plus étonnantes peut-être, on reconnait le simple projet de l'amuser et de lui plaire, ou bien de disputer devant elle le prix du chant à des rivaux jaloux de sa gloire et de son bonheur.

Ces différentes phrases sont entremêlées de silences, de ces silences qui, dans tout genre de mélodies, concourent si puissamment aux grands effets ; on jouit des beaux sons que l'on vient d'entendre, et qui retentissent encore dans l'oreille ; on en jouit mieux parce que la jouissance est plus intime, plus recueillie, et n'est point troublée par des sensations nouvelles; bientôt on attend, on désire une au-' tre reprise; on espère que ce sera celle qui plaît; si l'on est trompé, la beauté du morceau que l'on entend ne permet pas de regretter celui qui n'est que différé, et l'on conserve l'intérêt de l'espérance pour les reprises qui suivront.

Les rossignols commencent d'ordinaire à chanter au mois d'avril, et ne finissent tout à fait qu'au mois de juin, vers le solstice: mais la véritable époque où leur chant diminue beaucoup, c'est celle où leurs petits viennent à éclore, parce qu'ils s'occupent alors du soin de les nourrir, et que, dans l'ordre des instincts, la nature a donné la prépondérance à ceux qui tendent à la conservation des espèces. Les rossignols captifs continuent de chanter pendant neuf ou dix mois, et leur chant est non-seulement plus longtemps soutenu, mais encore plus parfait et mieux formé.

Le chant des autres oiseaux, le son des instrumens, les accens d'une voix douce et sonore, les excitent beaucoup à chanter ; ils accourent, ils s'approchent, attirés par les beaux sons, mais les duos semblent les attirer encore plus

a

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