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n'aurait jamais dansé, possèderait inutilement les règles de la danse ; il en est sans doute de même des métiers d'esprit.

Je dirai bien plus ; rarement l'étude est utile lorsqu'elle n'est pas accompagnée du commerce du monde. Il ne faut pas séparer ces deux choses : l'une nous apprend à penser, l'autre, à agir; l'une à parler, l'autre à écrire; l'une à disposer nos actions, l'autre à les rendre faciles.

L'usage du monde nous donne encore de penser naturellement, et l'habitude des sciences, de penser profondément.

Par une suite nécessaire de ces vérités, ceux qui sont privés de l'un et de l'autre avantage par leur condition, fournissent une preuve incontestable de l'indigence naturelle de l'esprit humain. Un vigneron et un couvreur, resserrés dans un petit cercle d'idées très-communes, connaissent à peine les plus grossiers usages de la raison, et n'exercent leur jugement, supposé qu'ils en aient reçu de la nature, que sur des objets très-palpables. Je sais bien que l'éducation ne peut suppléer le génie. Je n'ignore pas que les dons de la nature valent mieux que les dons de l'art. Cependant l'art est nécessaire pour faire fleurir les talens.' Un beau naturel négligé ne porte jamais de fruits mûrs. Peut-on regarder comme un bien un génie à

peu près stérile ? Que servent à un grand seigneur les domaines qu'il laisse en friche ? est-il riche de ces champs incultes ?

Vauvenargues entra de bonne heure dans le service militaire, et par conséquent ne fit que des études légères ; mais avec secours des bons livres et un esprit porté à la réflexion, il acquit de grandes con. naissances, un jugement sain, un tact sur et la vraie éloquence. Son Introduction à la connaisance de l'espril humain, suivie de réflexions et de maximes, est distinguée par l'énergie, la solidité et la profondeur des pensées. Ses Jugemens sur les auteurs du siècle de Louis XIV. sont faits de main de maitre. Il est le premier qui ait assigné à Racine sa véritable place. Si la mort n'eut pas enlevé Vauvenargues dans le moment où son esprit dans sa force était capable de porter la lumière dans les objets relatifs à la métaphysique et à la morale, la France edt eu un autre la Bruyère.

Son style est vif et correct; en un mot, c'est un de nos meilleurs, écrivains.

CHARLES LE BEAU,

né à Paris en 1701, mort dans la même ville en 1778.

Justinien.

C'était un prince faible et sans caractère, que la séduction de la puissance n'eut pas de peine à corrompre. Comme il n'était grand que par effort, dès qu'il crut n'avoir plus besoin de se contraindre, il tomba dans la bassesse ; il s'abandonna aux plus infâmes plaisirs ; fanfaron et timide, aussi prompt à s'effrayer qu'à s'irriter, sans ressource comme sans prévoyance, il devint avare et ravisseur; méprisant les pauvres, dépouillant les riches, vendant jusqu'aux dignités de l'église dont il fesait publiquement un trafic sacrilége. Après l'avoir admiré dans les premiers jours de son règne, ses sujets se trouvèrent heureux de le voir tomber en démence ; ils regardèrent comme une

: ressource pour eux la nécessité où il fut réduit de remettre en d'autres mains les rênes de l'empire.

Le Beau professa d'abord la rhétorique au collège des Grassins, d'où il passa au collége royal. Son mérite le fit recevoir à l'Académie des inscriptions, dont il fut secrétaire perpétuel et pensionnaire. On a de lui des Dissertations et des Eloyes historiques, insérés dans les mémoires de l'Académie, qui font hunneur à ses talens et à ses lumières ; mais son principal ouvrage est son Histoire du Bas Em. pire, en 22 volumes in-12. Dans cet ouvrage, il a concilié des écrivains qui se contredisent, rempli beaucoup de lacunes, et fait un corps régulier d'un amas de débris informes. Le critique en est judicieuse, la narration bien faite, quoique peut-être trop pleine de détails, et le style élégant; on lui reproche d’être trop éloquent.

Ce professeur fut adoré de ses disciples, et mérita d'avoir des amis par la douceur de ses meurs et la sureté de son commerce. Il vécut et mourut dans de grands sentimens de religion.

LOUIS DE JAUCOURT,

né à Paris en 1704, mort à Compiègne en 1779.

Manière de se former le style.

Enfin, si quelqu'un me demandait la manière de se former le style, je lui répondrais en deux mots, avec l'auteur des Principes de Littérature, qu'il faut premièrement lire beaucoup et les meilleurs écrivains ; secondement écrire soi-même, et prendre un censeur judicieux : toisièmement imiter d'excellens modèles, et tâcher de leur ressembler.

Je voudrais encore que l'imitateur étudiat les hommes, qu'il prit, d'après nature, des expressions qui soient, nonseulement vraies, mais vivantes et animées comme le modèle même du portrait. Les Grecs avaient l'un et l'autre en partage, le génie pour les choses, et le talent de l'expression. Il n'y a jamais eu de peuple qui ait travaillé avec plus de goût et de style ; ils burinaient plutôt qu'ils ne peignaient, dit Denis d'Halycarnasse. On sait les efforts prodigieux que fit Demosthène, pour forger ces foudres que Philippe redoutait plus que toutes les flottes de la république d'Athènes. Platon, à quatre-vingts ans, polissait encore ses dialogues; on trouva, après sa mort, des corrections qu'il avait faites à cet âge sur ses tablettes.

Le chevalier de Jaucourt s'adonna aux sciences dès sa jeunesse, et s'y distingua. Il embrassa tout ce qui regarde la médecine, les antiquités, les meurs des peuples, la morala et la littérature. Il a fourni sur ces différens objets des articles à l'Encyclopédie dont quelques-uns sont très bien faits, quoiqu'ils n'aient rien de saillant ni de neuf. Il trace assez bien les progrès des arts et le caractère des artistes, mais il n'y a jamais une opinion à lui ; c'est toujours celle de l'auteur qu'il copie. Aussi y trouve-t-on beaucoup d'inégalité dans le style. Jaucourt avait étudié la médecine sous le célèbre Boerhave, et avait pris le degré de docteur dans la seule vue de pouvoir secourir les pauvres malheureux. Il avait compilé un Lexicon medicum universale en six volumes in.folio, mais cet ouvrage périt avec le vaisseau qui le portait à Amsterdam, où il devait etre imprimé.

Véritablement philosophe dans sa conduite, cet écrivain préféra la retraite, l'étude et le travail à tous les avantages et aux agrémens que pouvait lui procurer sa naissance à cette époque.

CHARLES-DINEAU DUCLOS,

né à Dinan (Côtes-du-Nord) en 1705, mort à Paris en 1772.

Caractère des Français.

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De tous les peuples le Français est celui dont le caractère a dans tous les temps éprouvé moins d'altération. On retrouve les Français d'aujourd'hui dans ceux des croisades, et en remontant jusqu'aux Gaulois, on y remarque encore beaucoup de ressemblance. Cette nation a toujours été vive, gaie, brave, généreuse, sincère, présomptueuse, inconstante, avantageuse, inconsidérée. Ses vertus partent du cæur, ses vices ne tiennent qu'à l'esprit, et ses bonnes qualités corrigeant ou balançant les mauvaises, toutes concourent peut-être également à rendre le Français de tous les peuples le plus sociable.

Le grand défaut du Français est d'être toujours jeune, et presque jamais homme ; par là il est souvent plus aimable, et rarement sûr; il n'a presque point d'âge mûr, et passe de la jeunesse à la caduciié. Nos talens s'annoncent de bonne heure; on les néglige long-temps par dissipation, et à peine commence-t-on à vouloir en faire usage, que leur temps est passé ; il y a peu d'hommes parmi nous qui puissent s'appuyer de l'expérience.

Il est le seul peuple dont les mæurs peuvent se dépraver, sans que le cæur se corrompe et que le courage s'altère ; qui allie les qualités héroïques avec le plaisir, le luxe et la mollesse ; ses vertus ont peu de consistance, ses vices n'ont point de racine. Le caractère d’Alcibiade n'est pas rare en France. Le déréglement des mœurs et de l'imagination ne donne point atteinte à la franchise et à la bonté naturelle du Français. L'amour-propre contribue à le rendre aimable : plus il croit plaire, plus il a de penchant à aimer. La frivolité qui nuit au développement de ses talens et de ses vertus, le préserve en même temps des crimes noirs et réfléchis : la perfidie lui est étrangère, et il est emprunté dans l'intrigue. Si l'on a quelquefois vu chez lui des crimes odieux, ils ont disparu plutôt par le caractère national, que par la sévérité des lois.

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Duclos reçut à Paris une excellente éducation dont il profita: son godt pour les lettres, bien loin de s'affaiblir avec l'âge, ne fit que s'accroître, et ne tarda pas à lui ouvrir les portes des plus célèbres académies de toute la France et des pays étrangers. Il fut nommé secrétaire perpétuel de l'Académie française, et la cour lui accorda le titre d'historiographe de France. Introduit dans le grand monde, il en fit les délices par sa conversation aussi agréable qu'instructive et gaie. On dit que les vérités neuves et intéressentes lui échappaient comme des saillies : mais naturellement franc, vif et impétueux, il offensa souvent par un ton dur, et par des vérités trop crues. L'age et l'usage du monde lui apprirent l'art des ménagemens, mais ne le corrigerent pas tout à fait. Ses principaux ouvrages sont ses Confessions du comte de ***, la Barone de Luz, les Mémoires sur les meurs du XVIII siècle, romans piquans et ingénieux, surtout le premier qui est bien supérieur aux deux autres; l'Histoire de Louis XI, dont la narration est vive et rapide, mais un peu sèche; les Considerations sur les mæurs, ouvrage plein de maximes vraies, de pensées neuves, et de caractères bien saisis; enfin ses Réflexions sur la grammaire générale de Port-Royal, ouvrage qui a plus contribué à fixer la langue française que toutes les grammaires qui avaient paru avant la sienne. Duclos eut plus de part que personne à l'édition de 1762 du Dictionnaire de l'Académie française.

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