Page images
PDF
EPUB

Vos amis, de leur nom il faut que je les nomme,

Ne sont que de francs ignorans ;
Et si vous le voulez, demain je les y prends.
D’un semblable tableau je laisserai la tête,

Vous mettrez la vôtre en son lieu :
Qu'ils reviennent demain, l'affaire sera prête.
J'y consens, dit notre homme ; à demain donc ; adien.

:
La troupe des experts le lendemain s'assemble ;
Le peintre leur montrant le portrait d'un peu loin,
Cela vous plait-il mieux ? dites, que vous ensemble ?
Du moins j'ai retouché la téte avec grand soin.
Pourquoi nous rappeler ? disent-ils. Quel besoin

De nous montrer encore cette ébauche ?

S'il faut parler de bonne foi,
Ce n'est point du tout lui, vous l'avez pris à gauche,

છે
Vous vous trompez, messieurs, dit la tête ; c'est moi.

L'aventure racontée dans cette fable est arrivée à J. Rane de Montpellier, premier peintre du roi d'Espagne, mort en 1735.,

La Mothe se fit un nom de bonne heure dans la république des lettres. Né avec beaucoup d'esprit, et un goût vif pour la déclama. tion et pour les spectacles, il écrivit d'abord pour le théâtre, et en embrassa tous les genres. Sa tragédie d’Inès de Castro eut beaucoup de succès, par une scène heureuse et attachante. Sa comédie du Magnitique, où il y a de l'esprit, de la vérité et des grâces, eut aussi un grand succès, et ce succès s'est soutenu. Ses Opéras sont ce qu'il a de mieux : son Issé est plein de beautés. Ses Odes sont plus philosophiques que poétiques : elles ont des pensées dignes de Socrate, mais elles n'ont rien de ce beau feu qui enlève dans Pindare, Horace et Rousseau. Parmi ses Odes anacréontiques, il y en a de très-jolies. Ses Eglogues n'ont point le caractère du genre: on y trouve des de. scriptions de meurs champêtres bien faites, mais ses bergers sont trop ingénieux. Ses Fables n'ont d'autre mérite qu'un fonds et des desseins bien présentés. En général la poésie de La Mothe est dure et sans harmonie. Sa traduction d'Homère le couvrit de ridicule: d'un corps plein d'embonpoint et de vie, il ne fit qu'un squelette aride et désagréable.

Sa prose qu'on préfère à ses vers, est précieuse, épigrammatique et quelquefois forcée: mais on y reconnait toujours le philosophe et l'homme d'esprit. Dans aucun genre La Mothe n'est au premier rang; dans tous il occupe une place distinguée parmi les écrivains, soit en vers soit en prose. Ami intime de Fontenelle, il a contribué avec lui à la corruption du goût. La Mothe était fils d'un chapelier, et il ne rougit jamais de sa naissance. Il a été de l'Académie française. Voyez l'article de d'Alembert.

NICOLAS-HUBERT DE MONGAULT,

né à Paris en 1674, et mort en 1746.

Lettre de Cicéron à Atticus.

Ma femme me marque dans toutes ses lettres, qu'elle vous a mille obligations ; je vous en remercie fort. L'accablement et la tristesse dans laquelle je suis plongé, me permettent à peine d'écrire, et je ne vois pas ce que je pourrais vous mander; car si vous êtes encore à Rome, la diligence que vous feriez pour me joindre serait inutile; et si vous êtes en chemin, nous pourrons bientôt raisonner ensemble surtout ce qui me regarde. Je vous conjure seulement de me conserver cette amitié qui ne s'est jamais démentie : de mon côté je suis toujours le même. Mes ennemis, en changeant ma fortune, n'ont pu changer mon cæur. Ayez soin de votre santé.

Mongault entra d'abord dans la congrégation de l'oratoire : la delicatesse de sa santé l'obligea d'en sortir, et après avoir été quelque temps dans le monde, il fut nommé précepter du duc de Chartres, fils du duc d'Orléans. Mongault sut se concilier, dans cette importante place, l'estime et l'amitié de son élève. On récompensa ses soins par des abbeyes et des places qui lui assuraient une fortune considérable : mais son ambition n'étant pas satisfaite, il tomba dans une humeur sombre qui fit le malheur du reste de sa vie.

Il reste de lui l'histoire d'Hérodien, traduction faite avec soin et élé. gamment écrire; et la traduction des lettres de Ciceron à Atticus, aussi estimée que la précédente : on la lira toujours avec utilité, non seulement à cause de son exactitude, mais encore à cause des notes qui l'accompagnent.

Mongault était de l'Académie française,

PROSPER JOLYOT DE CRÉBILLON,

né à Dijon en 1674, mort à Paris en 1762.

Description d'une Tempête, dans Idoménée.

Une effroyable nuit, sur les eaux répandue,
Déroba tout à coup ces objets à ma vue;
La mort seule y parut. ... Le vaste sein des mers
Nous entr'ouvrit cent fois la route des enfers;
Par des vents opposés les vagues ramassées,
De l'abîme profond jusques au ciel poussées,
Dans les airs embrasés, agitaient mes vaisseaux,
Aussi près d'y périr qu'à fondre sous les eaux.
D’un déluge de feux l'onde comme allumée
Semblait rouler sur nous une mer enflammée;
Et Neptune en courroux, à tant de malheureux
N'offrait, pour tout salut, que des rochers affreux.

Autre description, prise dans Electre. Mais signalant bientôt toute son inconstance, La mer en un moment se mutine et s'élance ; L’air mugit, le jour fuit, une épaisse vapeur Couvre d'un voile affreux les vagues en fureur: La foudre éclairant seule une nuit si profonde, A sillons redoublés ouvre le ciel et l'onde ; Et comme un tourbillon, embrassant nos vaisseaux, Semble en sources de feu bouillonner sur les eaux. Leurs vagues quelquefois nous portent sur leurs cimes, Nous font rouler après dans de vastes abîmes, Où les éclairs pressés pénétrant avec nous, Dans des gouffres de feu semblaient nous plonger tous. Le pilote effrayé que la flamme environne, Aux rochers qu'il fuyait lui même s'abandonne. A travers les écueils notre vaisseau poussé, Se brise et nage encor sur les eaux dispersé.

Crébillon est un de nos meilleurs poètes tragiques après Corneille, Racine, et Voltaire. De son vivant, le désir de rabaisser Voltaire l'avait fait placer avant lui, mais la postérité n'a pas confirmé ce jugement dicté par l'esprit de parti. Quoiqu'il en soit, on se plait a reconnaître que Crébillon avait du génie, et du vrai génie tragique ; il l'a prouvé dans Atrée et Thyeste, dans Electre, et encore plus dans Rhadamiste et Zénobie qui est son chef-d'oeuvre. Il a étè de l'Académie française.

JACQUES SAURIN,

né à Nîmes en 1677, mort à la Haie en 1730.

Extrait d'un Sermon sur la Révélation.

a

L'apôtre dit, “que parce que le monde n'a pas connu Dieu

par
la sagesse,

le bon plaisir du Père a été de Sauver les croyans par la folie de la prédication." C'est-à-dire que, puisque par l'évément les systèmes de la raison ont été insuffisans pour sauver les hommes, et qu'il n'était pas possible qu'ils tirassent de leurs spéculations la véritable connaissance de Dieu, Dieu a pris une autre voie pour

les instruire ; ç'a été de suppléer par la prédication de l'évangile à la faiblesse des lumières naturelles, en sorte que tout ce qui manquait aux systèmes des anciens philosophes, nous le trouvons dans le système de Jésus-Christ et de ses apôtres.

Mais ce n'est point par rapport aux anciens philosophes seulement, que nous voulons considérer cette proposition de notre texte.

Nous l'examinerons aussi par rapport aux philosophes de nos jours. Nos philosophes en savent plus que tous ceux de la Grèce.

Mais leur science, qui est d'un grand usage, quand elle se contient dans de justes bornes, est une source d'égaremens, lorsqu'elle est portée au-delà de ses véritables limites. Je vois aujourd'hui la raison hu. maine se loger dans de nouveaux retranchemens, quand on veut la soumettre au joug de la foi. Je la vois même paraître avec de nouvelles armes, pour attaquer, après avoir inventé de nouveaux moyens pour se défendre. Sous prétexte qu'on a fait de plus grands progrès dans la science naturelle, on méprise la révélation. Sous prétexte qu'on a des idées plus pures du Dieu créateur, que n'en avaient les païens, on veuts'affranchir du Dieu rédempteur. Nous allons employer le reste de ce discours à justifier la proposition de St. Paul, dans le sens que nous lui avons donné; nous allons travailler à relever les avantages de la révéla

« PreviousContinue »