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toire des peuples, ne voit-on que de loin en loin s'élever, comme des monumens presque isolés, ces nobles et vénérables personnages dont la grandeur du génie n'est égalée que par la simplicité des meurs et la fermeté inébranlable d'une vertù incorruptible. Les noms d'Aristide, de Socrate, de Platon, d'Epaminondas, de Caton, de Fabius, de Titus, d'Antonin, de Marc-Aurèle, furent presque les seuls dont aucune tache ne parut ternir la renommée ; et dans notre patrie, si nous cherchons ceux à qui la vérité et la jusicte doivent un tribut d'admiration, quels noms ajouterons-nous à ceux de Suger, de SaintLouis, de Bayard, de L'Hospital, de Sully, de Fénélon, de d'Aguesseau et de Malesherbes ?

"Le chancelier d'Aguessean fut peut-être même celui de tous ces grands hommes qui réunit le plus de célébrité, de talens et de vertus. On le regarde avec raison comme le modèle des magistrats, des savants et des orateurs; et quand on interroge sa vie entière, qu'on suit l'homme privé dans ses malheurs et dans sa gloire, on le trouve encore digne de servir d'exemple aux vrais philosophes, aux vrais chrétiens, aux citoyens vertueux ....... Son père était conseiller-d'état et intendant de Languedoc: il l'éleva avec le plus grand soin, et lui donna à la fois les meilleurs exemples et les plus utiles leçons. Une éducation grave et sévère lui fit contracter de bonne heure cette habitude du travail qui le distingua dans la suite en même temps qu'elle le préservait de la contagion des vices d'une cour brillante et voluptueuse; la maison de son père fut comme un inviolable sanctuaire, fermé a toute la corruption du dehors, et s'il apprenait à vénérer chaque jour la vérité, la justice, l'amour de la patrie et les bonnes meurs, il se préparait aussi, dans une laborieuse retraite, à devenir l'honneur et l'ornement de sa patrie..

“ Formé à l'étude des lois par le savant magistrat à qui il devait le jour, et nourri de la lecture des chefs-d'ævre anciens et modernes, d'Aguesseau annonça, dès son début, tout ce qu'il devait être un jour. Ainsi, lorsqu'il fut, en 1691, nommé avocat-général, le célèbre Talon, après avoir entendu son premier plaidoyer, s'écria publique. ment: Tout mon désir serait de finir comme ce jeune homme a commencé" (M. Berryer).

En 1700, d'Aguessean fut nommé procureur-général, et chancelier au commencement de la régence. Dans le cours de sa longue ad. ministration, il n'aspira qu'à être utile, sans jamais songer à s'enrichir : il ne laissa en mourant d'autre fruit de ses épargnes que sa bibliothèque. On a dit de lui qu'il pensait en philosophe et parlait en orateur. Dans sa jeunesse, il recherchait de préférence la soeiété des gens de lettres, et surtout celle de Racine et de Boileau.

D'Aguesseau a laissé un nom qui sera éternellement respecté au barreau. Jamais les avocat n'oublieront ces paroles qu'il leur adressait : “Dans les occasions dangereuses, où la fortune veut “ éprouver ses forces contre votre vertu, montrez-lui que vous êtes

non seulement affranchis de son pouvoir, mais supérieurs á sa “ domination. Dans votre vieillesse, vous jouirez de la gloire d'un " orateur et de la tranquillité d'un philosophe. Vous reconnaîtrez " que l'indépendance de la fortune vous a élevés au-dessus des autres “ hommes, et que la dépendance de la vertu vous a élevés au-dessus “ de vous-mêmes.”

« Nous ne suivrons pas le chancelier dans son immense carrière oratoire, ministérielle et littéraire; l'analyse des ouvrages de cet homme célèbre serait à elle seule un travail aussi long que difficile; mercuriales éloquentes, plaidoyers où la vérité, la raison et la justice ont tant d'éclat, d'élégance et de force; savantes instructions qu'il adressait à ses fils pour les diriger dans leurs études législatives et littéraires, lettres familières où son génie, sans rien perdre de sa force, a voulu se parer d'une gracieuse négligence, poésies pleines de charmes et de sentiment, il a embrassé tous les genres et excellé dans tous” (M. BERRYER).

JEAN-BAPTISTE ROUSSEAU,

né à Paris en 1671, mort à Bruxelles en 1741.

ODE.

Les cieux instruisent la terre
A révérer leur auteur:
Tout ce que leur globe enserre
Célèbre un Dieu créateur.
Quel plus sublime cantique
Que ce concert magnifique
De tous les célestes corps ?
Quelle grandeur infinie !
Quelle divine harmonie
Résulte de leurs accords !

De sa puissance immortelle
Tout parle, tout nous instruit;
Le jour au jour la révèle,
La nuit l'annonce à la nuit.
Ce grand et superbe ouvrage
N'est point pour l'homme un langage
Obscur et mystérieux:
Son admirable structure
Est la voix de la nature,
Qui se fait entendre aux yeux.

Dans une éclatante voûte
Il a placé de ses mains
Ce soleil qui dans sa route
Eclaire tous les humains.
Environné de lumière,
Cet astre ouvre sa carrière
Comme un époux glorieux,
Qui dès l'aube matinale
De sa couche nuptiale
Sort brillant et radieux.

L'univers, à sa présence,
Semble sortir du néant.
Il prend sa course, il s'avance
Comme un superbe géant.
Bientôt sa marche féconde
Embrasse le tour du monde
Dans le cercle qu'il décrit;
Et, par sa chaleur puissante,
La nature languissante
Se ranime et se nourrit.

O que tes æuvres sont belles,
Grand Dieu! quels sont tes bienfaits !
Que ceux qui te sont fidèles
Sous ton joug trouvent d'attraits !
Ta crainte inspire la joie ;
Elle assure notre voie ;
Elle nous rend triomphants :
Elle éclaire la jeunesse,
Et fait briller la

sagesse
Dans les plus faibles enfants..

Soutiens ma foi chancelante,
Dieu puissant: inspire-moi
Cette crainte vigilante
Qui fait pratiquer ta loi.
Loi sainte, loi désirable,
Ta richesse est préférable
A la richesse de l'or;
Et ta douceur est pareille
Au miel dont la jeune abeille
Compose son cher trésor.

Mais, sans tes clartés sacrées,
Qui peut connaître, Seigneur,
Les faiblesses agarées
Dans les replis de son cæur?
Prête-moi tes feux propices ;
Viens m'aider à fuir les vices
Qui s'attachent à mes pas ;
Viens consumer par ta flamme

Ceux que je vois dans mon âme,
Et ceux que je n'y vois pas.

Si de leur triste esclavage
Tu viens dégager mes sens,
Si tu détruis leur ouvrage,
Mes jours seront innocents.
J'irai puiser sur ta trace
Dans les sources de ta grâce;
Et, de ses eaux abreuvé,
Ma gloire fera connaître
Que le Dieu qui m'a fait naître
Est le Dieu qui m'a sauvé.

Ode à la Fortune.

Fortune, dont la main couronne
Les forfaits les plus inouïs,
Du faux éclat qui t'environne
Serons-nous toujours éblouis ?
Jusques à quand, trompeuse idole,
D'un culte honteux et frivole
Honorerons-nous tes autels ?
Verra-t-on toujours tes caprices
Consacrés par les sacrifices
Et par l'hommage des mortels ?

Le peuple, dans ton moindre ouvrage
Adorant la prospérité,
'Te nomme grandeur de courage,
Valeur, prudence, fermeté :
Du titre de vertu suprême
Il dépouille la vertu même,
Pour le vice que tu chéris ;
Et toujours ses fausses maximes
Erigent en héros sublimes
Tes plus coupables favoris.

Mais, de quelque superbe titre
Que ces héros soient revêtus,
Prenons la raison pour arbitre,
Et cherchons en eux leurs vertus :

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