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se renouvelle et se perpétue? que c'est d'elle que viennent tous les pères de famille, tous les magistrats tous les ministres, en un mot toutes les personnes constituées en adtorité et en dignité ? et ne peut-on pas assurer que ce qu'il y a de bon ou de défecteux dans l'éducation de ceux qui rempliront un jour ces places, influe dans tout le corps de l'état, et devient comme l'esprit et le caractère général de la nation entière ?

Les lois à la vérité sont le fondement des empires, et en y conservant la règle et le bon ordre, elles y maintiennent la paix et la tranquillité. Mais d'où les lois elles-mêmes tirent-elles leur force et leur vigueur, si non de la bonne éducation, qui y accoutume et y assujettit les esprits ? sans quoi elles sont une faible barrière contre les passions des hommes.

Plutarque fait à ce sujet une réflexion bien sensée, et qui mérite d'être pesée avec attention : c'est en parlant de Lycurgue. - Ce législateur," dit-il, “ ne juge pas à propos de coucher ses lois par écrit, persuadé que ce qu'il y a de plus fort et de plus efficace pour rendre les villes heureuses et les peuples vertueux, c'est ce qui est empreint dans les meurs des citoyens, et ce que la pratique et l'habitude leur ont rendu comme familier et naturel. Oar les principes que l'éducation a gravé dans leurs esprits, demeurent fermes et inébranlables, comme étant fondés sur la conviction intérieure et sur la volonté même, qui est un lien toujours plus durable que celui de la contrainte ; de sorte que cette éducation devient la règle des jeunes gens, et leur tient lieu de législateur.” Em

Voilà ce me semble l'idée la plus juste qu'on puisse donner de la différence qu'il y a entre les lois et l'éducation.

La loi, quand elle est seule, est une maîtresse dure et impérieuse, qui gêne l'homme dans ce qu'il a de plus cher, et dont il est le plus jaloux, je veux dire sa liberté ; qui l'attriste, qui le contrarie en tout, qui est sourde à ses remontrances et à ses désirs, qui ne sait jamais se relâcher, qui ne lui parle que d'un ton menaçant, et ne lui montre que des châtimens. Ainsi il n'est pas étonnant que l'homme secoue ce joug dès qu'il le peut impunément, et que, n'écoutant plus des leçons importunes, il se livre à ses penchans naturels, que la loi avait seulement réprimés, sans les changer ni les détruire.

Il n'en est pas ainsi de l'éducation : c'est une maîtresse douce et insinuante, ennemie de la violence et de la crainte, qui aime à n'agir que par voie de persuasion, qui s'applique à faire goûter ses instructions en parlant toujours raison et vérité, et qui ne tend qu'à rendre la vertu plus facile, en la rendant plus aimable.

Ses leçons, qui commencent presque avec la naissance de l'enfant, croissent et se fortifient avec lui, jettent avec le temps de profondes racines, passent bientôt de la mémoire et de l'esprit dans le ceur, s'impriment de jour en jour dans ses mæurs par la pratique et l'habitude, deviennent en lui une seconde nature qui ne peut presque plus changer, et font auprès de lui, dans toute la suite de sa vie, la fonction d'un législateur toujours présent, qui dans chaque occasion lui montre son devoir et le lui fait pratiquer.

Il ne faut pas après cela s'étonner que les anciens aient recommandé, avec tant de soin, la bonne éducation de la jeunesse, et l'aient regardée comme le moyen le plus sûr de rendre un empire stable et florissant. Leur maxime capitale était que les enfans appartiennent plus à la république qu'à leurs parens ; et qu'ainsi ce n'est point au caprice de ceux-ci qu'il faut abandonner, leur éducation, mais que la république doit se charger de ce soin ; que par cette raison les enfans doivent être élvés, non en particulier et dans la maison paternelle, mais en public, par des maîtres communs, et sous une même discipline, afin qu'on leur inspire de bonne heure l'amour de la patrie, le respect pour les lois du pays, le goût des principes et des maximes de l'état dans lequel ils ont à vivre. Car chaque espèce de gouvernement a son génie particulier. Autre est l'esprit ou le caractère d'un état républicain, autre celui d'un état monarchique. Or c'est par l'éducation qu'on prend cet esprit et ce caractère. Plutarque observe

que

la

religion du serment que Lycurgue exigea des Lacédémoniens, aurait été d'une faible ressource après sa mort, si par l'éducation il n'eût imprimé les lois dans leurs mæurs, et ne leur eût fait sucer avec le lait l'amour de sa police, en la leur rendant comme familière et naturelle. Aussi vit-on que ses principales ordonnances se conservèrent plus de cinq cents ans, comme une bonne et forte teinture qui avait pénétré jusqu'au fond de l'ame." C

Tous ces grands hommes de l'antiquité étaient donc bien persuadés, comme Plutarque le dit en particulier de Lycurgue, que le devoir le plus essentiel d'un législateur, est d'établir de bonnes règles pour l'éducation de la jeunesse, et de les faire exactement pratiquer. Il est étonnant jusqu'où ils portaient sur ce point l'attention et la prévoyance. C'est dès la naissance même des enfans qu'ils recommandaient qu’on prît de sages précautions par rapport à toutes les personnes qui devaient en prendre soin, et l'on voit bien que Quintilien a puisé dans Platon et dans Aristote ce qu'il dit à ce sujet, surtout pour ce qui regarde les nourrices. Il voulait, comme ces sages philosophes, que dans le choix qu’on en ferait, non seulement on prit garde qu'elles n'eussent point un langage vicieux, mais que surtout on eût égard aux meurs et au caractère d'esprit. Et la raison qu'il en apporte est admirable : “ c'est,” dit-il,

que ce qu'on apprend à cet âge, s'imprime facilement dans l'esprit, et y laisse de profondes traces qui ne s'effacent pas aisément. Il en est comme d'un vase neuf, qui conserve long-temps l'odeur de la première liqueur qu'on y a versée; et comme des laines, qui ne recouvrent jamais leur première blancheur, quand elles ont été une fois à la teinture. Et le malheur est que les mauvaises habitudes durent encore plus que les bonnes.”

C'est par la même raison que ces philosophers regardent comme un des plus essentiels devoirs de ceux qui sont chargés de l'éducation des enfans, d'écarter d'auprès d'eux, autant que possible, les esclaves et les domestiques, dont les discours, et encore plus les examples, pourraient leur être nuisibles.

Rollin fit ses humanités et sa philosophie au collége du Plessis, et trois années de théologie en Sorbonne. Après avoir professé la se. conde et la rhétorique au collége-royal, il fut nommé recteur de l'Université, place qu'on lui laissa pendant deux ans pour honorer son mérite. L'Université prit une nouvelle face : Rollin y ranima l'étude du Grec. Il s'était retiré pour travailler à ses ouvrages, lorsque l'Uni. versité le choisit une seconde fois pour recteur: il se fit autant estia

mer dans cette place que la première fois. En effet il eût été difficile de trouver un homme plus estimable par la douceur du caractère, par la modération, par la candeur et la simplicité de l'ame. Non seule. ment il était aimé et estimé en France, mais il jouissait encore d'une grande considération dans tous les pays de l'Europe. Le roi de Prusse dans une de ses lettres lui disait; " des hommes tels que vous marchent à côté des souverains.” Quant à ses ouvrages, ils ne sont pas sans défauts; cependant on lit toujours son Cours de belles-lettres et son Histoire ancienne avec autant d'utilité que de plaisir, parce que, bien qu'il y ait des défauts, ces ouvrages annoncent un écrivain sage, un esprit éclairé et une belle ame. Ce grand homme ne dut son élévation qu'à son application et à sa bonne conduite ; son père était un honnête artisan. Il y a peu d'hommes qui aient plus honoré l'instruction publique en France, et laissé une mémoire plus universellement respectée. On l'appela, même de son vivant, le sage et le bienfaiteur de tous les ages et de tous les pays, parce qu'il enseigna et sut faire aimer la vertu. Les œuvres de l'abbé Rollin forment trente volumes in octava.

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JEAN-BAPTISTE MASSILLON,

né à Hyères (Var) en 1662, mort à Clermont en 1742.

Extrait d'un Sermon à la Cour.

Sire, ..... les lois doivent avoir plus d'autorité que vous-même: vous ne commandez pas à des eclaves ; vous

à commandez à une nation libre et belliqueuse, aussi jalouse de sa liberté que de sa fidélité, et dont la soumission est d'autant plus sûre qu'elle est fondée sur l'amour qu' elle a pour ses chefs. Ses rois peuveut tout sur elle parce que sa tendresse et sa fidélité ne mettent point de bornes à son obéissance ; mais il faut que ses rois en mettent eux-mêmes à leur autorité, et que plus son amour ne connait point d'autre loi que sa soumission aveugle, plus ses rois n'exigent de sa soumission que ce que les lois leur permettent d'en exiger: autrement ils ne sont plus les pères et les protecteurs de leurs peuples, ils en sont les ennemis et les oppresseurs ; ils ne règnent pas sur leurs sujets, ils les subjuguent.

Ce n'est donc pas le souverain, c'est la loi, sire, qui doit régner sur les peuples : vous n'en êtes que

le ministre et le premier dépositaire. C'est elle qni doit régler l'usage de l'autorité ; et c'est par elle que l'autorité n'est plus un joug pour les sujets, mais une règle qui les conduit; un secours qui les protége ; une vigilance paternelle, qui ne s'assure leur soumission que parce qu'elle s'assure leur tendresse.

Les hommes croient être libres, quand ils ne sont gouvernés que par les lois : leur soumission fait alors tout leur bonheur, parce qu'elle fait toute leur confiance. Les passions, les volontés injustes, les désirs excessifs et ambitieux que les princes inêlent à l'usage de leur autorité, Join de l'étendre, l'affaiblissent: ils deviennent moins puissans, dès qu'ils veulent l'être plus que les lois : ils perdent en croyant gagner. Tout ce qui rend l'autorité injuste et odieuse, l'énerve et la diminue. La source de leur puissance est dans le cæur de leurs sujets, et quelque ab

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