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ne connait que confusément et obscurément. Le peu d'amour que les hommes ont pour la vérité, fait qu'ils ne se mettent pas en peine, la plupart du temps, de distinguer ce qui est vrai de ce qui est faux. Ils laissent entrer dans leur ame toutes sortes de discours et de maximes. Ils aiment mieux les supposer pour véritables, que de les examiner. S'ils ne les entendent pas, ils veulent croire que les autres les entendent bien. Et ainsi ils se remplissent la mémoire d'une infinité de choses fausses, obscures et non entendues ; et raisonnent ensuite sur ces principes, sans presque considérer ni ce qu'ils disent ni ce qu'ils pensent. La vanité et la présoniption contribuent beaucoup à ce défaut. On croit qu'il y a de la honte à douter et à ignorer ; et l'on aime mieux parler et décider au hasard, que de reconnaître qu'on n'est pas assez informé des choses pour en porter jugement. Nous sommes tous pleins d'ignorance et d'erreurs, et cependant on a toutes les peines du monde à tirer de la bouche des homines cette confession si juste et si conforme à leur condition naturelle: "je me trompe et je n'en sais rien."

Il s'en trouve d'autres au contraire, qui ayant assez de lumières pour connaître qu'il y a quantité de choses obscures et incertaines, et voulant, par une autre sorte de vanité, témoigner qu'ils ne se laissent pas aller à la crédulité populaire, mettent leur gloire à soutenir qu'il n'y a rien de certain. Ils se déchargent ainsi de la peine de les examiner ; et sur ce mauvais principe, ils mettent en doute les vérités les plus constantes et la religion même. C'est la source du pyrrhonisme, qui est une autre extravagance de l'esprit humain, qui parraissant contraire à la témérité de ceux qui croient et décident tout, vient néanmoins de la même source, qui est le défaut d'attention. Car comme les uns ne veulent pas se donner la peine de discerner les erreurs, les autres ne veulent pas prendre celle d'envisage la vérité avec le soin nécessaire pour en apercevoir l'évidence. La moindre lueur suffit aux uns pour les persuader de choses très-fausses, et elle suffit aux autres pour les faire douter des choses les plus certaines ; mais dans les uns et dans les autres, c'est le même défaut d'application qui produit des effets différens.

a

La vraie raison place toutes choses dans le rang qui leur convient. Elle fait douter de celles qui sont douteuses, rejeter celles qui sont fausses, et reconnaître de bonne foi celles qui sont évidentes.

A ces réflexions, tirées de l'art de penser, j'en ajouterai une de l'abbé Fleury.

Tout le monde, dit-il dans son Traité des Etudes, voit l'utilité de raisonner juste, je ne dis pas seulement dans les sciences, mais dans les affaires et dans toutes la conduite de la vie : mais peut-être plusieurs ne voient pas la nécessité de remonter jusqu'aux premiers principes, parce qu'en effet il y en a peu qui le fassent. La plupart des hommes ne raisonnent que dans une certaine étendue, depuis une maxime que l'autorité des autres, ou leur passion, a imprimée dans leur esprit, jusqu'aux moyens nécessaires ponr acquérir ce qu'ils désirent. Il faut s'enrichir: donc je prendrai un tel emploi, je ferai telle démarche, je souffrirai ceci et cela, et ainsi du reste. Mais, que serai-je de mon bien quand j'en aurai acquis ? Mais est-il avantageux d'être riche ? c'est ce qu'on ne cherche point .... Le véritable savant, le véritable philosophe va plus loin et remonte plus haut. Il ne s'arrête ni à l'autorité des autres, ni à ses préjugés. Il remonte toujours jusqu'à ce qu'il ait trouvé uu principe de lumière naturelle, et une vérité si claire qu'il ne la puisse révoquer en doute. Mais aussi, quand il l'a une fois trouvée, il en tire hardiment toutes les conséquences, et ne s'en écarte jamais. De là vient qu'il est ferme dans sa doctrine et dans sa conduite, et qu'il est inflexible dans ses résolutions, patient dans l'exécution, égal en son humeur et constant dans la vertu.

On sent assez combien il est important de prémunir de bonne heure, par de tels principes, l'esprit des jeunes gens contre les faux jugemens et les faux raisonnemens, si communs dans les discours et dans la conduite des hommes. Et c'est ce que fait la philosophie, dont le principal but est, comme je l'ai déjà dit, de perfectionner la raison.

Je sais bien que le raison est un don naturel, qui ne vient point de l'art, et qui ne peut être un pur effet du travail; mais l'art et le travail peuvent la cultiver, la perfectionner. On trouve maintenant dans les ouvrages d'esprit, dans les discours de la chaire et dans le barreau,

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dans les traités de science, un ordre, une exactitude, une justesse, une solidité qui n'était pas autrefois si commune. Plusieurs croient, et ce n'est point sans fondement, qu'on doit cette manière de penser et d'écrire au progrès extraordinaire qu'on a fait depuis un siècle dans l'étude de la philosophie. Que la Philosophie sert à orner l'Esprit d'une infinité de

connaissances.

a

Il est étonnant que l'homme, placé au milieu de la nature qui lui offre le plus grand spectacle qu'il soit possible d'imaginer, et environné de tous côtés d'une infinité de merveilles qui sont faites pour lui, ne songe presque jamais ni à considérer ces merveilles si dignes de son attention et de sa curiosité, ni à se considérer lui-même. Il vit au milieu du monde, dont il est le roi, comme un étranger pour qui tout ce qui se passe serait indifferent, et qui n'y prendrait aucun intérêt. L'univers, dans toutes ses parties, annonce et montre son auteur ; mais, pour le plus grand nombre, c'est à des sourds et à des aveugles, qui ont des oreilles sans entendre et des yeux sans voir.

Un des plus grands services que la philosophie puisse nous rendre, c'est de nous réveilier de cet assoupissement, et de nous tirer de cette léthargie qui déshonore l'humanité, et qui nous rabaisse en quelque sorte au-dessous des bêtes, dont la stupidité n'est que la suite de leur nature. et non 'effet de l'oubli ou de l'indifférence. Elle pique notre curiosité, elle excite notre attention, et nous conduite comme par la main dans toutes les parties de la nature, pour nous en faire étudier et approfondir les merveilles.

Elle présente à nos yeux l'univers, comme un grand tableau dont chaque partie a son usage, chaque trait sa grace et sa beauté, mais dont le tout ensemble est encore plus merveilleux. En nous montrant un si beau spectacle, elle nous fait observer avec quel ordre, quelle symétrie, quelle proportion tout y est placé; avec quelle égalité cet ordre général et particulier s'observe et se maintient: et par là, elle nous fait reconnaître l'intelligence et la main invisible qui règle tout.

La philosophie, en conduisant ainsi l'homme de mer

se

veilles, en merveilles et le promenant pour ainsi dire dans tout l'univers, ne souffre pas qu'il demeure étranger par rapport à lui-même, et qu'il ignore le fond de son propre être, où Dieu s'est peint lui-même d'une manière infiniment plus sensible et plus parfaite que dans le reste des créatures. . .

Lettre au Roi de Prusse. Sire,

Quand ma vive reconnaissance pour toutes vos bontés ne m'engagerait pas à témoigner à votre majesté la part que je prends, avec toute l'Europe, à son avénement à la couronne, je me croirais obligé de le faire pour l'intérêt, et comme au nom des belles-lettres et des sciences, que vous avez non seulement protégées jusqu'ici, mais cultivées d'une manière si éclatante. Il me semble qu'elles sont montées, en quelque sorte avec vous sur le trône, et je ne doute point que votre majesté ne propose de les faire régner avec elles dans ses états, en les y mettant en honneur et en crédit. Mais, Sire, 'un autre objet bien plus important, m'occupe dans ce grand événement: c'est la joie que je sais qu'aura votre majesté de faire le bonheur des peuples que la providence vient de confier à ses soins: 'Permettez-moi de le dire, les lettres dont m'a honoré votre majesté, m'ont fait connaître le fond de son ceur, entièrement éloigné de tout faste, plein de nobles sentimens, qui sait en quoi consiste la vraie grandeur d'un prince, et qui a appris par sa propre expérience å compatir au malheur des autres. C'est un grand avantage pour votre majesté d'être bien convaincue qu'elle n'est placée sur le trône, que pour veiller, de là, sur toutes les parties de son royaume, pour y établir l'ordre et y procurer l'abondance ; surtout pour employer son autorité à y faire respecter celui de qui seul elle la tient. Qu'il plaise au Seigneur, Sire, de vous combler, vous et votre royaume, de ses plus précieuses bénédictions; et pour les renfermer toutes en un mot, qu'il lui plaise de vous rendre un roi selon son cæur! C'est ce que je ne cesserai de lui demander pour vous, persuadé que je ne puis mieux vous témoigner avec quel profond respect et quel parfait dévouement, je suis, etc.

Paris 17 juin 1740.

Réponse du Roi de Prusse.

"Monsieur Rollin,

J'ai trouvé dans votre lettre les conseils d'un sage, la tendresse d'une nourrisse, et l'empressement d'un ami. Je vous assure, mon. cher, mon vénérable Rollin, que je vous en ai une sincère obligation, et que les marques

d'amitié que vous me témoignez, me sont plus agréables que tous les complimens, très-souvent faux ou insipides, que je ne dois qu'à mon rang. Je ne cesserai de faire des veux pour votre conservation. Je vous prie de m'aimer toujours, et de vous persuader que je serai, tant que je vivrai, plein de considération pour vous, et d'estime pour votre mémoire. Vale.

FRÉDÉRIC. De Konisberg, 17 juillet 1740."

FRÉDÉRIC II., né en 1710 et mort en 1796, a été non seulement un grand roi, mais un grand écrivain. Passione de bonne heure pour la langue française, il lui donna la préférence sur toutes celles de l'Eu. rope, même sur la sienne, et, après l'avoir étudiée, il s'en servit pour réunir sur sa tête les lauriers d'Apollon et ceux de Mars. Il nous reste de lui des poésies où l'on trouve l'empreinte d'un génie vigoureux, mais aussi des inégalités sensibles. Ses ouvrages en prose sont plus esti. més, et renferment des choses précieuses, où peuvent puiser avec utilité les bistoriens, les guerriers, les publicistes et même les littérateurs. Frédéric aimait, accueillait et protégeait les gens de lettres : il recher. chait leur société, et, dans les soupers qu'il leur donnait, il voulait qu'on ne vit en lui que le littérateur éclairé et aimable, et non le roi. Tout le monde connait ses liaisons avec Voltaire, Maupertuis, et beau. coup

d'autres savans.

Importance de la bonne Education. L'éducation de la jeunesse a toujours été regardée par les grands philosophes et par les plus fameux législateurs, comme la source la plus certaine du repos et du bonheur, non seulement des familles, mais des états même et des empires. En effet, qu'est-ce qu'une république ou un royaume, si non un vaste corps dont la vigueur et la santé dépendent de celles des familles particulières, qui en sont comme les membres et les parties, et dont aucune ne peut inanquer à ses fonctions, que le corps entier ne s'en ressente ? Or n'est-ce pas la bonne éducation qui met tous les citoyens. . . . en état de remplir dignement leurs différentes fonctions ? n'est-il pas évident que la jeunesse est comme la pépinière de l'état, que c'est par elle qu'il

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