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réelles: selon Thomas, ce recueil est un des plus beaux monumens qui aient été élevés en l'honneur des sciences : on le lit avec autant de plaisir que d'instruction. Peu d'auleurs ont joui d'un bonheur aussi constant et d'une réputation aussi brillante que Fontenelle. Il devait

bonheur à la douceur de son caractère, à la décence de ses meurs, à la sagesse de sa conduite, et aux agrémens de son esprit facile et conciliant. Il s'était dit de bonne heure, les hommes sont sots et . chans, mais tels qu'il soni, j'ai à vivre avec eux. On lui demandait un jour par quel art il s'était fait tant d'amis et pas un ennemi: par ces deux axiomes répondit-il : tout est possible, et tout le monde a raison. Justice et JUSTESSE, telle était sa devise. Il a été de l'académie française.

La vie de ce philosophe aimable a été assez longue et assez heu. seuse pour faire désirer de le connaître plus particulièrement; ainsi on a cru faire plaisir au lecteur en plaçant ici le portrait suivant, par une illustre contemporaine de ce grand homme.

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Portrait de Fontenelle.

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Je n'entreprendrai po de peindre M. de Fontenelle; je connais ma partée et l'entendue de mes lumières; je vous dirai seulement comme il s'est montré à moi; Vous connaissez sa figure, il l'a aimble. Personne ne donne une si haute idée de son caractère ; esprit profond et lumineux, il voit où les autres ne voient plus; esprit original, il s'est fait une route nouvelle, ayant secoué le joug de l'autorité; enfin un de ces hommes destinés à donner le ton à leur siècle. A tant de qualités solides il joint les agréables; esprit maniéré, si j'ose hasarder ce lerme, qui pense fineinent, qui sent avec délicatesse, qui a un gout jusie et sur, une imagination vive et légère, remplie d'idées riantes ; elle pare son esprit et lui donne un tour; it en a les agrémens sans en avoir les illusions; il l'a sage et chatiée ; il met les choses à leur juste valeur ; l'opinion ni l'erreur ne prennent point sur lui; c'est un esprit sain, rien ne l'étonne ni ne l'altère ; dépouillé d'ambition, plein de modération, un favori de la raison, un philosophe fait des mains de la nature; car il est né ce que les autres deviennent. Je lui crois le cæur aussi sain que l'esprit; jamais il n'est agité de sentimens vio. lens, de fièvre ardente ; ses meurs sont pures, ses jours sont égaux et coulent dans l'innocence; il est plein de probité et de droiture ; il est sûr et secret; on jouit avec lui du plaisir de la confiance, et la confiance est la mère de l'estime; il a les agréinens du cæur sans en avoir les besoins; nul sentiment ne lui est nécessaire. Les amis tendres et sensibles sentent ces besoins du cæur plus qu'on ne sent les autres nécessités de la vie. Pour lui, il est libre et dégagé; alissi ne s'unit-on qu'à son esprit, et l'on échappe à son ceur. Il peut avoir pour les femmes un sentiment machinal, la beauté fesant sur lui une assez grande impression : mais il est incapable de sentimens vifs et profonds. Il a un comique dans l'esprit qui passe jusqu'à son cour, qui fait sentir que l'amour nest

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pour lui ni sérieux, ni respecté. Il ne demande aux femmes que le mérite de la figure; dès que vous plaisez à ses yeux, cela lui suffit, et tout autre mérite est perdu. Il sait faire un bon usage de son loisir et de ses talens. Comme il a de tous les esprits, il écrit sur tous les sujets ; mais la plus grande partie de ce qu'il fait doit être l'objet de nos admirations et non pas de nos connaissances. Il fait des vers en homme d'esprit et non pas en poète. Il y a pourtant des morceaux de lui qui pourrait être avoués des meilleurs maîtres. Des grands sujets, il passe aux bagatelles avec un badinage noble et léger. I semble que les graces vives, riantes, l'attendent à la porte de son ca. binet pour le conduire dans le monde et le montrer sous une autre forme; sa conversation est amusante et aimable. Il a une manière de s'énoncer simple et noble; des termes propres sans être recherchés; il a le talent de la parole et les lèvres de la persuasion. Il montre aussi de la retenue; mais de la retenue, on en fait aisément du dédain; il donne l'expression d'un esprit dégoûté par délicatesse. Peu blessé des injures qu'on peut lui faire, la connaissance de lui-même le rassure, et sa propre estime lui suffit. Je suis de ses amis depuis long-temps; je n'ai jamais connu personne d'un caractère si aisé. Comme l'ima. gination ne le gouverne point, il n'a pas la chaleur des amitiés naissantes, aussi n'en a-t-il pas le danger. Il connait parfaitement les caractères ; il vous donne le degré d'estime que vous méritez; il ne vous élève pas plus haut qu'il le faut; il vous met à votre place, mais aussi il ne vous en fait pas descendre.

Mme. LAMBERT. Voyez l'article de cette dame, page 135. Voyez aussi l'article de d'Alembert, dans la 4me. partie.

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ISAAC DE BEAUSOBRE,

né à Niort (Deux-Sèvres) en 1659, mort à Berlin en 1736.

Portrait d'un Prince Chrétien.

C'est un homme que la providence met audessus des autres, mais qui doit s'y mettre lui-même par son mérite.

... qui doit avoir ces qualités éminentes qui sont nécessaires. . pour trouver dans sa propre vertu une loi sévère et impérieuse qui règle ses désir est ses actions.

C'est un homme libéral dans l'abondance, magnanime dans les dangers, modeste dans les honneurs, tempérant au milieu du luxe et des plaisirs, grave sans être trop sévère, prudent sans artifice, humain sans faiblesse, d'une élévation tempérée par la douceur et l'honnêteté, juste, sage, vaillant, laborieux, actif, ennemi de l'impiété, protecteur de la religion, jaloux du maintien des mæurs ; et pour tout dire en un mot, un homme qui, étant le premier ministre de Dieu, doit plus approcher que tous les autres hommes de ses perfections infinies.

Ministre de la religion réformée, Beausobre fut forcé de quitter la France pour avoir brisé les sceaux du gouvernement, opposés à la porte d'un temple, après la défense de professer publiquement la religion calviniste ; il se refugia en Hollande, d'où bientôt après il se rendit à Berlin. Il y fut fait chapelain du roi de Prusse et conseiller du consistoire royal. Il y a publié différens ouvrages estimés. Celui qui lui a fait le plus d'honneur est son' Histoire critique de Monichée et du Manichéisme. On y trouve une grande connaissance de l'histoire ecclésiastique, puisée dans les sources, une critique judicieuse, mais quelquefois un peu hardie; des digressions curieuses, et une nariation soutenue; mais le style, quoique assez agréable, en est incorrect, comme celui de la plupart des réfugiés. Beausobre pensait avec chaleur et écrivait de même. Ses Serinons, publiés à Genève, ont de l'onction, mais peu de profondeur. Son cæur tait généreux, humain et éloigné de tout espèce de vengeance. Il aima la religion, et en pratiqua les devoirs.

CHARLES ROLLIN,

né à Paris en 1661, mort dans la même ville en 1741.

Que la Philosophie peut beaucoup servir à perfectionner

la Raison.

De tous les dons que l'homme a reçus de Dieu, la raison est le plus excellent, celui qui le distingue le plus du reste des animaux, et qui fait briller en lui les traits les plus lumineux de sa ressemblance avec Dieu. Par elle, il a l'idée du beau, du grand, du juste, du vrai : il prononce et juge sur les qualités et les propriétés de chaque chose ; il compare ensemble plusieurs objets, tire les conséquences des principes, se sert d'une vérité pour passer et s'élever à une autre; enfin par elle il met dans ses connaissances et dans ses raisonnemens un ordre et une suite, qui y répandent la lumière et la grace, qui les rendent tout autrement intelligibles, et qui en font bien mieux sentir toute la force et toute la vérité. U est aisé de comprendre combien est importante une science qui aide et qui conduit l'esprit dans toutes ses opérations.

En effet, il n'y a rien de plus estiniable que le bon sens et la justesse de l'esprit dans le discernement du vrai et du faux. Toutes les autres qualités de l'esprit ont des usages bornés; mais l'exactitude de la raison est généralement utile dans toutes les parties et dans tous les emplois de la vie. Ce n'est pas seulement dans les sciences qu'il est difficile de distinguer la vérité de l'erreur, mais aussi dans la plupart des sujets dont les hommes parlent, et des affaires qu'ils traitent. Il y a presque partout des routes différentes, les unes vraies, les autres fausses, et c'est à la raison d'en faire le choix. Ceux qui choisissent bien, sont ceux qui ont l'esprit juste ; ceux qui prennent le mauvais parti sont ceux qui ont l'esprit faux ; et c'est la première et la plus impartante différence qu'on peut mettre entre les qualités de l'esprit des hommes.

Ainsi la principale application qu'on devrait avoir, serait de former son jugement, et de le rendre aussi exact qu'il peut l'être; et c'est à quoi devrait tendre la plus grande partie de nos études. On se sert de la raison comme d'un instrument pour acquérir les sciences ; et l'on devrait, au contraire, se servir des sciences comme d'un instrument pour perfectionner la raison; la justesse de l'esprit étant infiniment plus considérable que toutes les connaissances spéculatives auxquelles on peut arriver per le moyen des sciences les plus véritables et les plus solides .. Les hommes ne sont pas nés pour employer leur temps à mesurer des lignes, à examiner le rapport des angles, à considérer les divers mouvemens de la matière. Leur esprit est trop grand, leur vie trop courte, leur temps trop précieux, pour s'occuper à de si petits objets. Mais ils sont obligés d'être justes, équitables, judicieux dans tous leurs discours, dans toutes leurs actions, et dans toutes les affaires qu'ils manient; et c'est à quoi ils doivent particulièrement s'exercer et se former.

Ce soin, cette étude est d'autant plus nécessaire, qu'il est étrange combien c'est une qualité rare que cette exactitude de jugement. On ne rencontre partout que des esprits faux, qui n'ont presque aucun discernement de la vérité, qui prennent toutes choses d'un mauvais biais, qui se paient des plus mauvaises raisons et veulent en payer les autres, qui se laissent emporter par les moindres apparences, qui sont toujours dans l'excès et dans les extrémités, qui décident hardiment de ce qu'ils ignorent et n'entendent point, et qui s'arrêtent à leurs sens avec tant d'opiniâtreté, qu'ils n'écoutent rien de ce qui pourrait les détromper.

Cette fausseté d'esprit n'est pas seulement cause des erreurs que l'on mêle dans les sciences, mais aussi de la plupart des fautes que l'on comme dans la vie civile, des querelles injustes, des procès mal fondés, des avis témér. aires, des entreprises mal concertées. Il y en a peu' qui n'aient leur source dans quelque erreur et quelque faute de jugement ; de sorte qu'il n'y a point de défaut dont on ait plus d'intérêt à se corriger

Une grande partie des faux jugemens des hommes est causée par la précipitation de l'esprit, et par le défaut d'attention, qui fait que l'on juge témérairement de ce que l'on

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