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vous.

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Le titre d'honnête homme est bien au-dessus des titres de la fortune. Le plaisir le plus délicat est de faire le plaisir d'autrui ; mais pour cela, il ne faut pas tant faire de cas des biens de la fortune. Les richesses n'ont jamais donné la vertu ; mais la vertu a souvent donné les richesses. ..

L'honnête homme aime mieux manquer à sa fortune qu'à la justice. L'amour des richesses est le commencement de tous les vices, comme le désintéressement et le principe de toutes les vertus.

Le plaisir le plus touchant pour les honnêtes gens, c'est de faire du bien, et de soulager les misérables. Quelle différence d'avoir un peu plus d'argent, ou de le savoir perdre pour faire plaisir, et de le changer contre la réputa tion de bonté et de générosité! Ayez des pensées et des sentimens qui soient dignes de

La vertu rehausse l'état de l'homme, et le vice le dégrade.

Extrait des Avis d'une Mère à sa Fille. Il ne suffit pas, ma fille, pour être estimable, de s'assujettir extérieurement aux bienséances ; ce sont les sentimens qui forment le caractère, qui conduisent l'esprit, qui gouvernent la volonté, qui répondent de la réalité et de la durée de toutes nos vertus. Quel sera le principe de ces sentimens ? la religion ; quand elle sera gravée dans notre cæur, alors toutes les vertus couleront de cette source ; tous les devoirs se rangeront chacun dans leur ordre. Ce n'est pas assez pour la conduite des jeunes personnes, que de les obliger à faire leur devoir; il faut le leur faire aimer : l'autorité est le tyran de l'extérieur, qui n'assujettit point le dedans. Quand on prescrit une conduite, il faut en montrer les raisons et les motifs, et donner du goût pour ce que l'on conseille.

Nous avons tant d'intérêt à pratiquer la vertu, que nous ne devons jamais la regarder comme notre ennemie, mais comme la source du bonheur, de la gloire et de la paix. Vous arrivez dans le monde ; venez-y, ma fille, avec des principes; vous ne sauriez trop vous fortifier contre ce qui vous attend ; apportez-y toute votre religion : nour

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rissez-la dans votre creur par des sentimens; soutenez-la dans votre esprit par des réflexions et par des lectures convenables.

Les femmes qui n'ont nourri leur esprit que des maximes du siècle, tombent dans un grand vide en avançant dans l'âge : le monde les quitter, et la raison leur ordonne aussi de le quitter: à quoi se prendre ? le passé nous fournit des regrets, le présent des chagrins, et l'avenir des craintes. La religion seule calme tout, et console de tout; en vous unissant à Dieu, elle vous récor.cilie avec le monde et avec vous-même. ...

Les plaisirs du monde sont trompeurs ; ils prommettent plus qu'ils ne donnent; ils nous inquiètent dans leur recherche, ne nous satisfont point dans leur possession, et nous désespèrent dans leur perte. . . . Ne nous croyons heureuses, ma fille, que lorsque nous sentirons nos plaisirs naître du fond de notre ame. Il y a de grandes vertus, qui, portées à un certain degré, font pardonner bien des défauts : la suprême valeur dans les hommes, et l'extrême pudeur dans les femmes. On pardonnait tout à Agrippine, femme de Germanicus, en faveur de sa chasteté : cette princesse était ambitieuse et hautaine ; mais, dit Tacite, “ toutes ses passions étaient consacrées par sa chasteté''

Que votre première parure soit donc la modestie : elle a de grands avantages, elle augmente la beauté et sert de voile à la laideur; la modestie est le supplément de la beauté. . . . Il ne faut pas négliger les talens ni les agrémens, puisque les femmes sont destinées a plaire ; mais il faut bien plus penser à se donner un mérite solide, qu'à s'occuper de choses frivoles. Rien n'est plus court que le règne de la beautè; rien n'est plus triste que la suite de la vie des femmes qui n'ont su qu'être belles. .. Une honnête femme a les vertus des hommes, l'amitié, la probité, la fidélité à ses devoirs.

Les femmes apprennent volontiers l'Italien qui me parait dangereux : c'est la langue de l'amour, les auteurs italiens sont peu chatiés; il règne dans leurs ouvrage un jeux de mots, une imagination sans règle, qui s'oppose à la justesse de l'esprit.

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La poésie peut avoir des inconvéniens; j'aurais pourtant de la peine à interdire la lecture des belles tragédies de Corneille : mais souvent les meilleures vous donnent des leçons de vrtu, et vous laissent l'impression du vice.

La lecture des romans est plus dangereuse : je ne voudrais pas que l'on en fit un grand usage, ils mettent du faux dans l'esprit. Le roman n'étant jamais pris sur le vrai, allume l'imagination, affaiblit la pudeur, met le désordre dans le cour, et, pour peu qu'une jeune personne ait de la disposition à la tendresse, hâte et précipite son penchant. Il ne faut point augmenter le charme et l'illusion de l'amour: plus il est adoucit plus il est modeste et plus il est dangereux Je ne voudrais point les défendre ; toutes défenses blessent la liberté, et augmentent le désir; mais il faut, autant qu'on peut, s'accoutumer à des lectures solides, qui ornent l'esprit et fortifient le cæur: on ne peut trop éviter celles qui laissent des impressions dangereuses et difficiles à effacer.

Lettre à Fénélon.

Je n'aurais jamais consenti, monseigneur, que M. de Sacy vous eût montré les occupations de mon loisir, si ce n'était vous mettre sous les yeux vos principes et les sentimens que j'ai pris dans vos ouvrages : personne ne s'en est plus occupé, et n'a pris plus de soin de se les rendre propres.

Pardonnez-moi ce larcin, monseigneur: voilà l'usage que j'en ai su faire.

Vous m'avez appris que mes premiers devoirs étaient de travailler à former l'esprit et le caur de mes enfans : j'ai trouvé dans Télémaque les préceptes que j'ai donnés à mon fils; et dans l Education des filles, les conseils que j'ai donnés à la mienne. Je n'ai de mérite que celui d'avoir choisi mon maître et mes modèles. J'ai la hardiesse de croire que je penserais comme vous sur l'ambition; mais les meurs des jeunes gens d'à présent, nous mettent dans la nécessité de leur conseiller, non pas ce qui est le meilleur, mais ce qui a le moins d'inconvéniens, ils nous forcent à croire qu'il vaut mieux occuper leur cæur et leur courage d'ambition et d'honneur, que de hasarder

que

la débauche s'en empare. Quel danger, monseigneur, pour l'amour-propre, que les

louages qui viennent de vous ! Je les tournerai en préceptes. Elles m'apprennent ce que je dois être, pour mériter l'estime qui ferais la récompense des plus grandes vertus. Nous sommes ici dans une société très-unie sur la sorte d'admiration que nous avons pour vous. Combien de fois, dans nos projets de plaisir, nous sommes-nous promis d'aller vous porter nos respects ! Pour moi, je n'aurais pas de plus grande joie que de pouvoir vous assurer moimême combien je vous honore, et à quel point je suis.

Réponse de Fénélon.

“Je devais déjà beaucoup, madame, à M. de Sacy, puisqu'il m'avait procuré la lecture d'un excellent écrit, mais la dette est bien augmen. tée, depuis qu'il m'a attiré la très-obligeante lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire. Ne pourrais-je point enfin, madame, vous devoir à vous-même la lecture du second ouvrage ? Outre que le premier le fait désirer fortement, je serais ravi de recevoir cette marque des bontés que vous voulez bien me promettre. Je neoserais me flatter d'aucune espérance d'avoir l'honneur de vous voir en ce pays, dans un temps où il est le théâtre de la guerre; mais dans un temps plus heureux, une belle saison pourrait vous tenter de curiosité pour cette frontière. Vous trouveriez ici l'homme le plus touché de cette occasion, et le plus empressé à en profiter. C'est avec le respect le pius sincère que je suis parfaitement et pour toujours, madame,

Votre très-humble et très-obéissant serviteur,

François, Archevêque duc de Cambrai.

Autre Lettre à Fénélon.

M. de Sacy, monseigneur, m'a traitée en personne faible. Il a cru que, pour me soutenir, j'avais besoin de louanges, et qu'en me montrant celles que vous me prodiguez, c'était un engagement à me les faire mériter. "Le reproche que Pline fait à son siècle, et qu'on pourrait avec assez de justice faire au nôtre, ne tombera pas sur moi: il dit que, depuis qu'on méprise la vertu, on néglige la louange. Je suis très-sensible, monseigneur, à celle qui vient de vous. En est-il de plus délicate et de plus flatteuse, et même de plus dangereuse ? Mais comme ce qui part de vous ne peut être un piége, loin de me gâter, elle m'a fait un effet tout contraire : elle m'a trèssincèrement humiliée, et je sais que vous louez en moi,

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non ce qui y est, mais ce qui devrait y être. Rien de si aisé que de donner des préceptes ; mais s'ils ne sont soutenus par l'exemple, ils tournent contre la personne qui les donne. Si j'avais quelque chose de bon, quelque tour dans l'esprit, quelque sentiment dans le ceur, c'est à vous, monseigneur, que je le devrais; c'est vous qui m'avez montré la vertu aimable, et qui m'avez apris à l'aimer. Pénétrée de vos bontés, et d'admiration pour vos vertus.

Portrait de Fénélon.

Fénélon était d'une assez haute taille, bien fait, maigre et pâle; il avait la nez grand et bien tiré. Le feu et l'esprit sortaient de ses yeux comme un torrent. Sa physionomie était telle qu'on n'en voyait point qui lui ressemblât; aussi ne pouvait-on l'oublier dès qu'une fois on l'avait vu : elle rassemblait tout, et les contraires ne s'y combattaient point; elle avait de la gravité et de la douceur, du sérieux et de la gaieté. Ce qui surnageait sur toute sa personne, c'était la finesse, la décence, les grâces, et surtout la noblesse : il fallait faire effort sur soimême pour cesser de le regarder. Tous ses portraits sont parlans, sans que néanmoins on ait jamais pu attraper la justesse et l'harmonie qui frappaient dans l'original, et la délicatesse que chaque caractère de ce visage réunissait. Ses manières y répondaient dans la même proportion : c'était une aisance qui en donnait aux autres, un air de bon goût dont il était redevable à l'usage du grand monde et de la meilleure compagnie, et qni se répandait, comme de soi-même, dans toutes ses conversations, et cela avec une éloquence naturelle, douce, fleurie ; une politesse insinuante, mais noble et proportionnée; une élocution facile, nette, agréable; un ton de clarté et de précision pour se faire entendre, même en traitant les matières les plus abstraites et les plus embarrassées. Avec cela il ne voulait jamais avoir plus d'esprit que ceux à qui il parlait ; il se înettait à la portée de chacun sans le faire sentir, il mettait à l'aise, et semblait enchanter de façon qu'on ne pouvait le quitter, ni s'en défendre, ni ne pas soupirer après le moment de le retrouver. C'est ce talent si rare et qu'il avait au suprême degré, qui lui tint ses amis si

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