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Extrait d'une pièce intitulée ConSOLATION A M. DU

PERRIER, sur la mort de sa fille.

Ta douleur, Du Perrier, sera donc éternelle ?

Et les tristes discours
Que te met en l'esprit l'amitié paternelle

L'augmenteront toujours?

Le malheur de ta fille au tombeau descendue

Par un commun trépas,
Est-ce quelque dédale où ta raison perdue

Ne se retrouve pas ?

Je sais de quels appas son enfance était pleine ;

Et n'ai pas entrepris, Injurieux ami, de soulager ta peine

Avecque son mépris.

Mais elle était du monde, où les plus belles choses

Ont le pire destin ;
Et, rose, elle a vécu ce que vivent les roses,

L'espace d'un matin.

a

Puis, quand ainsi serait que, selon ta prière,

Elle aurait obtenu
D'avoir en cheveux blancs terminé sa carrière,

Qu'en fut-il avenu ?

Penses-tu que, plus vieille, en la maison céleste

Elle eût eu plus d'accueil,
Ou qu'elle eût moins senti la poussière funeste

Et les vers du cercueil ?

C'est bien, je le confesse, une juste coutume

Que le cæur affligé,
Par le canal des yeux vidant son amertume,

Cherche d'être allégé.

Mais d'être inconsolable, et dedans sa mémoire

Enfermer son ennui,
N'est-ce pas se haïr, pour acquérir la gloire

De bien aimer autrui ?

a

La mort a des rigueurs à nulle autre pareilles :

On a beau la prier ;
La cruelle qu'elle est se bouche les oreilles,

Et nous laisse crier.

Le pauvre en sa cabane, où le chaume le couvre,

Est sujet à ses lois ;
Et la garde qui veille aux barrières du Louvre

N'en défend pas nos rois.

De murmurer contre elle, et perdre patience,
Il est mal á

propos;
Vouloir ce que Dieu veut est la seule science

Qui nous met en repos.

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La Harpe regarde cette pièce comme un chef-d'æuvre de poésie ; remarquez, dit-il, le choix du rhythme, et comme ce petit vers qui tombe régulièrement après le premier, peint l'abattement de la dou. leur,

" Malherbe fut vraiment un homme supérieur: c'est son nom qui marque la seconde époque de notre langue. Marót n'avait réussi que dans la poésie galante et légère: Malherbe fut le premier modèle du style noble, et le créateur de la poésie lyrique. Ses ouvrages pourtant ne sont pas encore d'une pureté comparable aux écrivains des beaux jours de Louis XIV: il ne serait pas juste de l'exiger.” (la Harpe). Enfin un génie élevé, noble et porté au sublime, une oreille juste, délicate et sensible, et un goût pur bien au-dessus de son siècle, voilà les dons que Malherbe avait reçus de la nature, et dont il tira le plus grand avantage. Il fit des vers français, continue la Harpe, et l'on n'avait rien vu jusqu'à lui qui put en approcher.

Avec tout son beau génie et ses grands talens, Malherbe était d'une humeur brusque et violente: sans complaisance et sans 'égards, il se brouillait pour rien avec ses meilleurs amis. Il sacrifiait tout à un bon mot." Il plaida toute sa vie contre ses parens, et porta l'avarice au point de n'avoir qu'une demi-douzaine de chaises dans son apparte, ment; et comme il recevait beaucoup de visites, lorsque toutes les chaises étaient occupées, il fernait sa porte en dedans, et si quelqu. 'un frappait, il lui criait de venir une autre fois, attendu que toutes les chaises étaient prises. Il parlait peu et était naturellement satir. ique dans sa conversation. Il fut estimé de Henri IV et de Louis XIII. Son ami le plus intime fut Racan, (1) à qui il enseigna l'art de la poésie. Malherbe écrivait aussi bien en prose qu'en vers.

(1) Honorat du Bueil, marquis de Racan, naquil à la Roche-Rac. an en Touraine, l'an 1589, et mourut au même lieu en 1670. Page du roi, à l'âge de 16 ans, il fit connaissance avec Malherbe, étudia et se forma sous lui. On a de lui un poème pastoral, appelé Bergeries ; des Stances, des Odes, des Sonnets, des Epigrammes, des Chansons, et qnelques ouvrages en prose, tels que mémoires sur la vie de Mal. herbe, etc. Racan n'a pas aussi bien conservé sa réputation que son maître. Néanmoins on trouve dans ses bergeries quelques ers qui ont l'harmonie qu'on admire dans Racine ; mais en général sor, style est faible et manque de correction.

TROISIEME PARTIE.

DIX-SEPTIEME SIECLE.

Il sera difficile désormais qu'il s'élève des génies nouveaux, à moins que d'autres mæurs, une autre sorte de gouvernement ne donnent un tour nouveau aux esprits. Il sera impossible qu'il se forme des savans universels parce que chaque science est devenue immense. Il faudra nécessairement que chacun se réduise à cultiver une partie du vaste champ que le siècle de Louis XIV. a défriche.

VOLTAIRE, Siécle de Louis XIV.

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