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Est-on sot, étourdi, prend-on mal ses mesures;
On pense en être quitte en accusant son sort:
Bref, la Fortune a toujours tort.

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Le médecin Tant-pis alloit voir un malade
Que visitoit aussi son confrère Tant-mieux.
Ce dernier espéroit, quoique son camarade
Soutînt que le gisant iroit voir ses aïeux.
Tous deux s'étant trouvés différens pour la cure,
Leur malade paya le tribut à nature,

Après qu'en ses conseils Tant-pis eut été cru.
Ils triomphoient encor sur cette maladie.

L'un disoit: Il est mort; je l'avois bien prévu.

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S'il m'eût cru, disoit l'autre, il seroit plein de vie.

FABLE XIII.

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La Poule aux œufs d'or.

L'avarice perd tout en voulant tout gagner.
Je ne veux, pour le témoigner,

Que celui dont la poule, à ce que dit la fable,
Pondoit tous les jours un œuf d'or.

Il crut que dans son corps

elle avoit un trésor; Il la tua, l'ouvrit, et la trouva semblable

A celles dont les œufs ne lui rapportoient rien,
S'étant lui-même ôté le plus beau de son bien.

Belle leçon pour les gens chiches! Pendant ces derniers temps, combien en a-t-on vus Qui du soir au matin sont pauvres devenus Pour vouloir trop tôt être riches!

FABLE XIV.

L'Ane portant des Reliques.

Un baudet chargé de reliques

S'imagina qu'on l'adoroit:
Dans ce penser il se carroit,

Recevant comme siens l'encens et les cantiques.
Quelqu'un vit l'erreur, et lui dit :
Maître baudet, ôtez-vous de l'esprit
Une vanité si folle.

Ce n'est pas vous, c'est l'idole
A qui cet honneur se rend,
Et que la gloire en est due.

D'un magistrat ignorant
C'est la robe qu'on salue.

FABLE XV. Le Cerf et la Vigne.

Un cerf, à la faveur d'une vigne fort haute,
Et telle qu'on en voit en de certains climats,
S'étant mis à couvert et sauvé du trépas,

Les veneurs, pour ce coup, croyoient leurs chiens en faute
Ils les rappellent donc. Le cerf, hors de danger,
Broute sa bienfaitrice ingratitude extrême !

:

On l'entend; on retourne, on le fait déloger :
Il vient mourir en ce lieu même.

« J'ai mérité, dit-il, ce juste châtiment :
Profitez-en, ingrats. » Il tombe en ce moment.
La meute en fait curée : il lui fut inutile
De pleurer aux veneurs à sa mort arrivés.

Vraie image de ceux qui profanent l'asile
Qui les a conservés.

FABLE XVI. Le Serpent et la Lime.
On conte qu'un serpent, voisin d'un horloger
(C'étoit pour l'horloger un mauvais voisinage),
Entra dans sa boutique, et, cherchant à manger,

N'j rencontra pour tout potage
Qu'une lime d'acier qu'il se mit à ronger.
Cette lime lui dit, sans se mettre en colère :
◄ Pauvre ignorant, eh! que prétends-tu faire?
Tu te prends à plus dur que toi,
Petit serpent à tête folle :
Plutôt que d'emporter de moi
Seulement le quart d'une obole,
Tu te romprois toutes les dents.
Je ne crains que celles du temps. >

Ceci s'adresse à vous, esprits du dernier ordre,
Qui, n'étant bons à rien, cherchez sur tout à mordre.
Vous vous tourmentez vainement.
Croyez-vous que vos dents impriment leurs outrages
Sur tant de beaux ouvrages?
Ils sont pour vous d'airain, d'acier, de diamant.

FABLE XVII. Le Lièvre et la Perdrix.

Il ne se faut jamais moquer des misérables,
Car qui peut s'assurer d'être toujours heureux?
Le sage Ésope dans ses fables

Nous en donne un exemple ou deux.
Celui qu'en ces vers je propose,
Et les siens, ce sont même chose.

Le lièvre et la perdrix, concitoyens d'un champ,
Vivoient dans un état, ce semble, assez tranquille,
Quand une meute s'approchant
Oblige le premier à chercher un asile :

Il s'enfuit dans son fort, met les chiens en défaut,
Sans même en excepter Brifaut.

Enfin il se trahit lui-même

Par les esprits sortant de son corps échauffé.
Miraut, sur leur odeur ayant philosophé,
Conclut

que c'est son lièvre, et d'une ardeur extrême

Il le pousse; et Rustaut, qui n'a jamais menti,
Dit que le lièvre est reparti.

Le pauvre malheureux vient mourir à son gîte.
La perdrix le raille et lui dit :

Tu te vantois d'être si vite!

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Qu'as-tu fait de tes pieds? Au moment qu'elle rit,
Son tour vient; on la trouve. Elle croit que ses ailes
La sauront garantir à toute extrémité;

Mais la pauvrette avoit compté

Sans l'autour aux serres cruelles.

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L'aigle et le chat-huant leurs querelles cessèrent,
Et firent tant qu'ils s'embrassèrent.

L'un jura foi de roi, l'autre foi de hibou,
Qu'ils ne se goberoient leurs petits peu ni prou.

• Connoissez-vous les miens? dit l'oiseau de Minerve.
- Non, dit l'aigle. — Tant pis, reprit le triste oiseau :
Je crains en ce cas pour leur peau;

C'est hasard si je les conserve.

Comme vous êtes roi, vous ne considérez

Qui ni quoi rois et dieux mettent, quoi qu'on leur die, Tout en même catégorie.

Adieu mes nourrissons, si vous les rencontrez.
-Peignez-les-moi, dit l'aigle, ou bien me les montrez;
Je n'y toucherai de ma vie. »

Le hibou repartit : « Mes petits sont mignons,
Beaux, bien faits, et jolis sur tous leurs compagnons :
Vous les reconnoîtrez sans peine à cette marquc.
N'allez pas l'oublier; retenez-la si bien
Que chez moi la maudite Parque
N'entre point par votre moyen.»
Il avint qu'au hibou Dieu donna géniture;
De façon qu'un beau soir qu'il étoit en pâture,
Notre aigle aperçut, d'aventure,

Dans les coins d'une roche dure,

Ou dans les trous d'une masure
(Je ne sais pas lequel des deux),
De petits monstres fort hideux,
Rechignés, un air triste, une voix de Mégère.
« Ces enfans ne sont pas, dit l'aigle, à notre ami :
Croquons-les. Le galant n'en fit pas à demi :
Ses repas ne sont point repas à la légère.
Le hibou, de retour, ne trouve que les pieds
De ses chers nourrissons, hélas! pour toute chose.
Il se plaint; et les dieux sont par lui suppliés
De punir le brigand qui de son deuil est cause.
Quelqu'un lui dit alors : « N'en accuse que toi,
Ou plutôt la commune loi

Qui veut qu'on trouve son semblable
Beau, bien fait, et sur tous aimable.
Tu fis de tes enfans à l'aigle ce portrait :
En avoient-ils le moindre trait? »

FABLE XIX. Le Lion s'en allant en guerre.

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Le lion dans sa tête avoit une entreprise :
Il tint conseil de guerre, envoya ses prévôts,
Fit avertir les animaux.

Tous furent du dessein, chacun selon sa guise:
L'éléphant devoit sur son dos
Porter l'attirail nécessaire,

Et combattre à son ordinaire;
L'ours, s'apprêter pour les assauts;

Le renard ménager de secrètes pratiques;

Et le singe, amuser l'ennemi par ses tours.

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Renvoyez, dit quelqu'un, les ânes, qui sont lourds,

Et les lièvres, sujets à des terreurs paniques.

-Point du tout, dit le roi, je les veux employer: Notre troupe sans eux ne seroit pas complète. L'âne effraiera les gens, nous servant de trompette; Et le lièvre pourra nous servir de courrier. »

230600B

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