Les trompes et les cors font un tel tintamarre Que le bonhomme est étonné.
Le pis fut que l'on mit en piteux équipage Le pauvre potager: adieu, planches, carreaux; Adieu chicorée et poireaux;
Adieu de quoi mettre au potage.
Le lièvre étoit gîté dessous un maître chou. On le quête; on le lance : il s'enfuit par un trou, Non pas trou, mais trouée, horrible et large plaie Que l'on fit à la pauvre haie
Par ordre du seigneur; car il eût été mal Qu'on n'eût pu du jardin sortir tout à cheval. Le bonhomme disoit : « Ce sont là jeux de prince. » Mais on le laissoit dire : et les chiens et les gens Firent plus de dégât en une heure de temps Que n'en auroient fait en cent ans Tous les lièvres de la province.
Petits princes, videz vos débats entre vous: De recourir aux rois vous seriez de grands fous. Il ne les faut jamais engager dans vos guerres, Ni les faire entrer sur vos terres.
Ne forçons point notre talent; Nous ne ferions rien avec grâce: Jamais un lourdaud, quoi qu'il fasse, Ne sauroit passer pour galant.
Peu de gens, que le ciel chérit et gratifie, Ont le don d'agréer infus avec la vie.
C'est un point qu'il leur faut laisser, Et ne pas ressembler à l'âne de la fable, Qui, pour se rendre plus aimable Et plus cher à son maître, alla le caresser. « Comment! disoit-il en son âme, Ce chien, parce qu'il est mignon Vivra de pair à compagnon
Avec monsieur, avec madame; Et j'aurai des coups de bâton! Que fait-il? il donne la patte; Puis aussitôt il est baisé :
S'il en faut faire autant afin que l'on me flatte, Cela n'est pas bien malaisé. »
Dans cette admirable pensée,
Voyant son maître en joie, il s'en vient lourdement, Lève une corne tout usée,
La lui porte au menton fort amoureusement, Non sans accompagner, pour plus grand ornement, De son chant gracieux cette action hardie.
• Oh! oh! quelle caresse! et quelle mélodie! Dit le maître aussitôt. Holà, Martin-bâton! » Martin-bâton accourt: l'âne change de ton. Ainsi finit la comédie.
Le combat des Rats et des Belettes.
La nation des belettes,
Non plus que celle des chats,
Ne veut aucun bien aux rats, Et sans les portes étrètes De leurs habitations, L'animal à longue échine En feroit, je m'imagine, De grandes destructions. Or, une certaine année Qu'il en étoit à foison, Leur roi, nommé Ratapon, Mit en campagne une armée. Les belettes, de leur part, Déployèrent l'étendard. Si l'on croit la renommée La victoire balança:
Plus d'un guéret s'engraissa Du sang de plus d'une bande. Mais la perte la plus grande
Tomba presque en tous endroits Sur le peuple souriquois.
Sa déroute fut entière,
Quoi que pût faire Artapax, Psicarpax, Méridarpax,
Qui, tout couverts de poussière, Soutinrent assez longtemps. Les efforts des combattans. Leur résistance fut vaine; Il fallut céder au sort: Chacun s'enfuit au plus fort, Tant soldat que capitaine. Les princes périrent tous. La racaille, dans des trous Trouvant sa retraite prête Se sauva sans grand travail; Mais les seigneurs sur leur tête Ayant chacun un plumail, Des cornes ou des aigrettes, Soit comme marques d'honneur, Soit afin que les belettes En conçussent plus de peur, Cela causa leur malheur. Trou, ni fente, ni crevasse, Ne fut large assez pour eux; Au lieu que la populace
Entroit dans les moindres creux.
La principale jonchée
Fut donc des principaux rats.
Une tête empanachée N'est pas petit embarras. Le trop superbe équipage
Peut souvent en un passage Causer du retardement. Les petits, en toute affaire, Esquivent fort aisément :
Les grands ne le peuvent faire.
FABLE VII. Le Singe et le Dauphin
C'étoit chez les Grecs un usage Que sur la mer tous voyageurs Menoient avec eux en voyage Singes et chiens de bateleurs. Un navire en cet équipage Non loin d'Athènes fit naufrage. Sans les dauphins tout eût péri. Cet animal est fort ami
De notre espèce : en son histoire Pline le dit; il le faut croire. Il sauva donc tout ce qu'il put. Même un singe en cette occurrence Profitant de la ressemblance, Lui pensa devoir son salut:
Un dauphin le prit pour un homme, Et sur son dos le fit asseoir Si gravement qu'on eût cru voir Ce chanteur que tant on renomme. Le dauphin l'alloit mettre à bord Quand, par hasard, il lui demande : Êtes-vous d'Athènes la grande?
- Oui, dit l'autre; on m'y connoît fort: S'il vous y survient quelque affaire, Employez-moi; car mes parens
Y tiennent tous les premiers rangs : Un mien cousin est juge-maire. » Le dauphin dit : « Bien grand merci. Et le Pirée a part aussi
A l'honneur de votre présence? Vous le voyez souvent, je pense?
Tous les jours il est mon ami;
C'est une vieille connoissance. » Notre magot prit, pour ce coup, Le nom d'un port pour un nom d'homme.
De telles gens il est beaucoup
Qui prendroient Vaugirard pour Rome, Et qui, caquetant au plus dru, Parlent de tout, et n'ont rien vu.
Le dauphin rit, tourne la tête, Et le magot considéré, Il s'aperçoit qu'il n'a tiré
Du fond des eaux rien qu'une bête : Il l'y replonge, et va trouver Quelque homme afin de le sauver.
L'Homme et l'Idole de bois.
Certain païen chez lui gardoit un dieu de bois,
De ces dieux qui sont sourds, bien qu'ayant des oreilles : Le païen cependant s'en promettoit merveilles. Il lui coûtoit autant que trois;
Ce n'étoit que vœux et qu'offrandes, Sacrifices de bœufs couronnés de guirlandes. Jamais idole, quel qu'il fût,
N'avoit eu cuisine si grasse;
Sans que, pour tout ce culte, à son hôte il échût Succession, trésor, gain au jeu, nulle grâce.
Bien plus, si pour un sou d'orage en quelque endroit S'amassoit d'une ou d'autre sorte,
L'homme en avoit sa part; et sa bourse en souffroit: La pitance du dieu n'en étoit pas moins forte.
A la fin, se fâchant de n'en obtenir rien,
Il vous prend un levier, met en pièces l'idole, Le trouve rempli d'or. Quand je t'ai fait du bien, M'as-tu valu, dit-il, seulement une obole? Va, sors de mon logis, cherche d'autres autels. Tu ressembles aux naturels
Malheureux, grossiers, et stupides :
On n'en peut rien tirer qu'avecque le bâton. Plus je te remplissois, plus mes mains étoient vides: J'ai bien fait de changer de ton. »
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