Celui qu'à meilleur droit tout l'univers abhorre, C'est la fourbe, à mon avis.
FABLE VII. L'Ivrogne et sa Femme.
Chacun a son défaut, où toujours il revient : Honte ni peur n'y remédie.
Sur ce propos, d'un conte il me souvient : Je ne dis rien que je n'appuie
De quelque exemple. Un suppôt de Bacchus Altéroit sa santé, son esprit, et sa bourse : fait la moitié de leur course Qu'ils sont au bout de leurs écus. Un jour que celui-ci, plein du jus de la treille, Avoit laissé ses sens au fond d'une bouteille, Sa femme l'enferma dans un certain tombeau. Là, les vapeurs du vin nouveau
Cuvèrent à loisir. A son réveil il treuve L'attirail de la mort à l'entour de son corps, Un luminaire, un drap des morts.
« Oh! dit-il, qu'est-ce ci? Ma femme est-elle veuve? » Là-dessus, son épouse, en habit d'Alecton, Masquée, et de sa voix contrefaisant le ton, Vient au prétendu mort, approche de sa bière, Lui présente un chaudeau propre pour Lucifer. L'époux alors ne doute en aucune manière
Qu'il ne soit citoyen d'enfer.
Quelle personne es-tu? dit-il à ce fantôme. La cellerière du
De Satan, reprit-elle; et je porte à manger A ceux qu'enclôt la tombe noire. » Le mari repart, sans songer: « Tu ne leur portes point à boire ?>
FABLE VIII. La Goutte et l'Araignée.
Quand l'enfer eut produit la goutte et l'araignée, « Mes filles, leur dit-il, vous pouvez vous vanter D'être pour l'humaine lignée Également à redouter.
Or, avisons aux lieux qu'il vous faut habiter. Voyez-vous ces cases étrètes,
Et ces palais si grands, si beaux, si bien dorés? Je me suis proposé d'en faire vos retraites. Tenez donc, voici deux bûchettes; Accommodez-vous, ou tirez.
Il n'est rien, dit l'aragne, aux cases qui me plaise. » L'autre, tout au rebours, voyant les palais pleins De ces gens nommés médecins,
Ne crut pas y pouvoir demeurer à son aise. Elle prend l'autre lot, y plante le piquet,
S'étend à son plaisir sur l'orteil d'un pauvre homme, Disant « Je ne crois pas qu'en ce poste je chôme, Ni que d'en déloger et faire mon paquet
Jamais Hippocrate me somme. »
L'aragne cependant se campe en un lambris, Comme si de ces lieux elle eût fait bail à vie, Travaille à demeurer: voilà sa toile ourdie, Voilà des moucherons de pris.
Une servante vient balayer tout l'ouvrage. Autre toile tissue, autre coup de balai. Le pauvre bestion tous les jours déménage. Enfin, après un vain essai,
Il va trouver la goutte. Elle étoit en campagne, Plus malheureuse mille fois
Que la plus malheureuse aragne.
Son hôte la menoit tantôt fendre du bois, Tantôt fouir, houer : goutte bien tracassée Est, dit-on, à demi pansée.
Oh! je ne saurois plus, dit-elle, y résister. Changeons, ma sœur l'aragne. » Et l'autre d'écouter: Elle la prend au mot, se glisse en la cabane:
Point de coup de balai qui l'oblige à changer. La goutte, d'autre part, va tout droit se loger Chez un prélat, qu'elle condamne
A jamais du lit ne bouger..
Cataplasmes, Dieu sait ! Les gens n'ont point de honte De faire aller le mal toujours de pis en pis. L'une et l'autre trouva de la sorte son compte, Et fit très-sagement de changer de logis.
FABLE IX. - Le Loup et la Cigogne. Les loups mangent gloutonnement. Un loup donc étant de frairie Se pressa, dit-on, tellement
Qu'il en pensa perdre la vie :
Un os lui demeura bien avant au gosier. De bonheur pour ce loup, qui ne pouvoit crier, Près de là passe une cigogne.
Il lui fait signe; elle accourt.
Voilà l'opératrice aussitôt en besogne. Elle retira l'os; puis, pour un si bon tour, Elle demanda son salaire.
« Votre salaire! dit le loup: Vous riez, ma bonne commère ! Quoi! ce n'est pas encor beaucoup D'avoir de mon gosier retiré votre cou! Allez, vous êtes une ingrate :
Ne tombez jamais sous ma patte. »
FABLE X. - Le Lion abattu par
On exposoit une peinture Où l'artisan avoit tracé Un lion d'immense stature Par un seul homme terrassé.
Les regardans en tiroient gloire
Un lion en passant rabattit leur caquet. . Je vois bien, dit-il, qu'en effet On vous donne ici la victoire : Mais l'ouvrier vons a déçus; Il avoit liberté de feindre.
Avec plus de raison nous aurions le dessus, Si mes confrères savoient peindre. »
FABLE XI. Le Renard et les Raisins.
Certain renard gascon, d'autres disent normand, Mourant presque de faim, vit au haut d'une tre lle Des raisins, mûrs apparemment, Et couverts d'une peau vermeille. Le galant en eût fait volontiers un repas; Mais comme il n'y pouvoit atteindre : Ils sont trop verts, dit-il, et bons pour des goujats.
Dans une ménagerie
De volatiles remplie
Vivoient le cygne et l'oison :
Celui-là destiné pour les regards du maître; Celui-ci, pour son goût : l'un qui se piquoit d'être Commensal du jardin; l'autre, de la maison. Des fossés du château faisant leurs galeries, Tantôt on les eût vus côte à côte nager, Tantôt courir sur l'onde, et tantôt se plonger, Sans pouvoir satisfaire à leurs vaines envies. Un jour le cuisinier, ayant trop bu d'un coup, oison le cygne; et, le tenant au cou, Il alloit l'égorger, puis le mettre en potage. L'oiseau, prêt à mourir, se plaint en son ramage.
Le cuisinier fut fort surpris,
Et vit bien qu'il s'étoit mépris.
Quoi! je mettrois, dit-il, un tel chanteur en soupe! Non, non, ne plaise aux dieux que jamais ma main coupe La gorge à qui s'en sert si bien ! »
Ainsi dans les dangers qui nous suivent en croupe Le doux parler ne nuit de rien.
Après mille ans et plus de guerre déclarée, Les loups firent la paix avecque les brebis. C'étoit apparemment le bien des deux partis : Car, si les loups mangeoient mainte bête égarée, Les bergers de leur peau se faisoient maints habits. Jamais de liberté, ni pour les pâturages,
Ni d'autre part pour les carnages:
Ils ne pouvoient jouir qu'en tremblant de leurs biens. La paix se conclut donc : on donne des otages; Les loups, leurs louveteaux; et les brebis, leurs chiens. L'échange en étant fait aux formes ordinaires,
Et réglé par des commissaires,
Au bout de quelque temps que messieurs les louvats Se virent loups parfaits et friands de tuerie, Ils vous prennent le temps que dans la bergerie Messieurs les bergers n'étoient pas,
Étranglent la moitié des agneaux les plus gras, Les emportent aux dents, dans les bois se retirent. Ils avoient averti leurs gens secrètement.
Les chiens, qui, sur leur foi, reposoient sûrement, Furent étranglés en dormant:
Cela fut sitôt fait qu'à peine ils le sentirent. Tout fut mis en morceaux; un seul n'en échappa.
Nous pouvons conclure de là
Qu'il faut faire aux méchans guerre continuelle.
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