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Ménageant ma voix et ma lyre

Qui bientôt vont manquer de force et de loisir.
Je louerai seulement un cœur plein de tendresse,
Ces nobles sentiments, ces grâces, cet esprit:
Vous n'auriez en cela ni maître ni maîtresse,
Sans celle dont sur vous l'éloge rejaillit.
Gardez d'environner ces roses

De trop d'épines, si jamais

L'amour vous dit les mêmes choses:
Il les dit mieux que ne fais;

Aussi sait-il punir ceux qui ferment l'oreille
A ses conseils. Vous l'allez voir.

Jadis une jeune merveille Méprisoit de ce dieu le souverain pouvoir; On l'appeloit Alcimadure:

Fier et farouche objet, toujours courant aux bois, Toujours sautant aux prés, dansant sur la verdure, Et ne connoissant autres lois

Que son caprice; au reste, égalant les plus belles,
Et surpassant les plus cruelles;

N'ayant trait qui ne plût, pas même en ses rigueurs:
Quelle l'eût-on trouvée au fort de ses faveurs!
Le jeune et beau Daphnis, berger de noble race,
L'aima pour son malheur : jamais la moindre grâce,
Ni le moindre regard, le moindre mot enfin,
Ne lui fut accordé par ce cœur inhumain.
Las de continuer une poursuite vaine,
Il ne songea plus qu'à mourir.

Le désespoir le fit courir

A la porte de l'inhumaine.

Hélas! ce fut aux vents qu'il raconta sa peine,
On ne daigna lui faire ouvrir

Cette maison fatale, où, parmi ses compagnes,
L'ingrate, pour le jour de sa nativité,

Joignoit aux fleurs de sa beauté

Les trésors des jardins et des vertes campagnes.
J'espérois, cria-t-il, expirer à vos yeux;

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Mais je vous suis trop odieux,

Et ne m'étonne pas qu'ainsi que tout le reste
Vous me refusiez même un plaisir si funeste.
Mon père, après ma mort, et je l'en ai chargé,
Doit mettre à vos pieds l'héritage

Que votre cœur a négligé.

Je veux que l'on y joigne aussi le pâturage,
Tous mes troupeaux, avec mon chien;
Et que du reste de mon bien

Mes compagnons fondent un temple
Où votre image se contemple,
Renouvelant de fleurs l'autel à tout moment.
J'aurai près de ce temple un simple monument:
On gravera sur la bordure:

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« Daphnis mourut d'amour. Passant, arrête-toi;
Pleure, et dis: Celui-ci succomba sous la loi
« De la cruelle Alcimadure. »

«

A ces mots, par la Parque il se sentit atteint :
Il auroit poursuivi; la douleur le prévint.
Son ingrate sortit triomphante et parée.

On voulut, mais en vain, l'arrêter un moment
Pour donner quelques pleurs au sort de son amant:
Elle insulta toujours au fils de Cythérée,
Menant dès ce soir même, au mépris de ses lois,
Ses compagnes danser autour de sa statue.
Le dieu tomba sur elle, et l'accabla du poids :
Une voix sortit de la nue,

Écho redit ces mots dans les airs épandus :

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Que tout aime à présent : l'insensible n'est plus. Cependant de Daphnis l'ombre au Styx descendue Frémit et s'étonna la voyant accourir.

Tout l'Érèbe entendit cette belle homicide
S'excuser au berger qui ne daigna l'ouïr,

Non plus qu'Ajax Ulysse, et Didon son perfide.

FABLE XXVII. Le Juge arbitre, l'Hospitalier,
et le Solitaire.

Trois saints, également jaloux de leur salut,
Portés d'un même esprit, tendoient à même but.
Ils s'y prirent tous trois par des routes diverses:
Tous chemins vont à Rome; ainsi nos concurrens
Crurent pouvoir choisir des sentiers différens.
L'un, touché des soucis, des longueurs, des traverses,
Qu'en apanage on voit aux procès attachés,
S'offrit de les juger sans récompense aucune,
Peu soigneux d'établir ici-bas sa fortune.
Depuis qu'il est des lois, l'homme, pour ses péchés,
Se condamne à plaider la moitié de sa vie :
La moitié, les trois quarts, et bien souvent le tout.
Le conciliateur crut qu'il viendroit à bout
De guérir cette folle et détestable envie.
Le second de nos saints choisit les hôpitaux.
Je le loue; et le soin de soulager les maux
Est une charité que je préfère aux autres.
Les malades d'alors, étant tels que les nôtres,
Donnoient de l'exercice au pauvre hospitalier;
Chagrins, impatiens, et se plaignant sans cesse :
<< Il a pour tels et tels un soin particulier,

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Ce sont ses amis; il nous laisse.
Ces plaintes n'étoient rien au prix de l'embarras
Où se trouva réduit l'appointeur de débats :
Aucun n'étoit content; la sentence arbitrale
A nul des deux ne convenoit :

Jamais le juge ne tenoit

A leur gré la balance égale.

De semblables discours rebutoient l'appointeur.
Il court aux hôpitaux, va voir leur directeur.
Tous deux ne recueillant que plainte et que murmure,
Affligés, et contraints de quitter ces emplois,

Vont confier leur peine au silence des bois.

Là, sous d'âpres rochers, près d'une source pure,
Lieu respecté des vents, ignorés du soleil,

Ils trouvent l'autre saint, lui demandent conseil.
« Il faut, dit leur ami, le prendre de soi-même.
Qui, mieux que vous, sait vos besoins?
Apprendre à se connoître est le premier des soins.
Qu'impose à tout mortel la majesté suprême.
Vous êtes-vous connus dans le monde habité?
L'on ne le peut qu'aux lieux pleins de tranquillité :
Chercher ailleurs ce bien est une erreur extrême.
Troublez l'eau : vous y voyez-vous?

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Agitez celle-ci. Comment nous verrions-nous?
La vase est un épais nuage

Qu'aux effets du cristal nous venons d'opposer.
-Mes frères, dit le saint, laissez-la reposer,
Vous verrez alors votre image.

Pour vous mieux contempler, demeurez au désert. »
Ainsi parla le solitaire.

Il fut cru; l'on suivit ce conseil salutaire.

Ce n'est pas qu'un emploi ne doive être souffert.
Puisqu'on plaide et qu'on meurt, et qu'on devient malade,
Il faut des médecins, il faut des avocats;

Ces secours,
grâce à Dieu, ne nous manqueront pas :
Les honneurs et le gain, tout me le persuade.
Cependant on s'oublie en ces communs besoins.
O vous, dont le public emporte tous les soins,
Magistrats, princes et ministres,

Vous que doivent troubler mille accidens sinistres,
Que le malheur abat, que le bonheur corrompt,
Vous ne vous voyez point, vous ne voyez personne.
Si quelque bon moment à ces pensers vous donne,
Quelque flatteur vous interrompt.

Cette leçon sera la fin de ces ouvrages:
Puisse-t-elle être utile aux siècles à venir !
Je la présente aux rois, je la propose aux sages:
Par où saurois-je mieux finir?

FIN DES FABLES.

SUJET TIRÉ DES MÉTAMORPHOSES D'OVIDE.

A MONSEIGNEUR LE DUC DE VENDOME'.

Ni l'or ni la grandeur ne nous rendent heureux.
Ces deux divinités n'accordent à nos vœux

Que des biens peu certains, qu'un plaisir peu tranquilie:
Des soucis dévorans c'est l'éternel asile;

Véritables vautours, que le fils de Japet
Représente, enchaîné sur son triste sommet".
L'humble toit est exempt d'un tribut si funeste.
Le sage y vit en paix, et méprise le reste :
Content de ses douceurs, errant parmi les bois,
Il regarde à ses pieds les favoris des rois;
Il lit au front de ceux qu'un vain luxe environne
Que la Fortune vend ce qu'on croit qu'elle donne.
Approche-t-il du but, quitte-t-il ce séjour;

Rien ne trouble sa fin: c'est le soir d'un beau jour.

Philémon et Baucis nous en offrent l'exemple:
Tous deux virent changer leur cabane en un temple.
Hyménée et l'Amour, par des désirs constans,
Avoient uni leurs cœurs dès leur plus doux printemps:
Ni le temps ni l'hymen n'éteignirent leur flamme.
Clothon prenoit plaisir à filer cette trame.

Ils surent cultiver, sans se voir assistés,

Leur enclos et leur champ par deux fois vingt étés.
Eux seuls ils composoient toute leur république :
Heureux de ne devoir à pas un domestique
Le plaisir ou le gré des soins qu'ils se rendoient!
Tout vieillit sur leur front les rides s'étendoient;
L'amitié modéra leurs feux sans les détruire,

1. Le duc de Vendôme, arrière-petit-fils de Henri IV et de Gabrielle d'Estrées, et général celèbre.

2. Prométhée enchaîné sur le Caucase.

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