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Est-il plus fort que nous? dit le loup en riant:
Fais-moi son portrait, je te prie.

Si j'étois quelque peintre ou quelque étudiant,
Repartit le renard, j'avancerois la joie

Que vous aurez en le voyant.

Mais venez. Que sait-on? peut-être est-ce une proie
Que la fortune nous envoie. »

Ils vont; et le cheval, qu'à l'herbe on avoit mis,
Assez peu curieux de semblables amis,
Fut presque sur le point d'enfiler la venelle.

« Seigneur, dit le renard, vos humbles serviteurs
Apprendroient volontiers comment on vous appelle.
Le cheval, qui n'étoit dépourvu de cervelle,

D

Leur dit : « Lisez mon nom, vous le pouvez, messieurs;
Mon cordonnier l'a mis autour de ma semelle. »
Le renard s'excusa sur son peu de savoir.

"Mes parens, reprit-il, ne m'ont point fait instruire
Ils sont pauvres, et n'ont qu'un trou pour tout avoir :
Ceux du loup, gros messieurs, l'ont fait apprendre à lire.»
Le loup, par ce discours flatté,
S'approcha. Mais sa vanité

Lui coûta quatre dents : le cheval lui desserre
Un coup; et haut le pied. Voilà mon loup par terrc,
Mal en point, sanglant, et gâté.

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Frère, dit le renard, ceci nous justifie

Ce que m'ont dit des gens d'esprit : Cet animal vous a sur la mâchoire écrit Que de tout inconnu le sage se méfie. »

FABLE XVIII. Le Renard et les Poulets d'Inde.

Contre les assauts d'un renard

Un arbre à des dindons servoit de citadelle.
Le perfide ayant fait tout le tour du rempart,
Et vu chacun en sentinelle,

S'écria: « Quoi! ces gens se moqueront de moi!

Eux seuls seront exempts de la commune loi !

Non, par tous les dieux ! non. » Il accomplit son dire.
La lune, alors luisant, sembloit, contre le sire,
Vouloir favoriser la dindonnière gent.

Lui, qui n'étoit novice au métier d'assiégeant,
Eut recours à son sac de ruses scélérates,
Feignit vouloir gravir, se guinda sur ses pattes,
Puis contrefit le mort, puis le ressuscité.
Arlequin n'eût exécuté

Tant de différens personnages.

Il élevoit sa queue, il la faisoit briller,
Et cent mille autres badinages,

Pendant quoi nul dindon n'eût osé sommeiller.
L'ennemi les lassoit en leur tenant la vue
Sur même objet toujours tendue.

Les pauvres gens étant à la longue éblouis,
Toujours il en tomboit quelqu'un autant de pris,
Autant de mis à part: près de moitié succombe..
Le compagnon les porte en son garde-manger.

Le trop d'attention qu'on a pour le danger
Fait le plus souvent qu'on y tombe.

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Il est un singe dans Paris

A qui l'on avoit donné femme :
Singe en effet d'aucuns maris,
Il la battoit. La pauvre dame

En a tant soupiré, qu'enfin elle n'est plus.
Leur fils se plaint d'étrange sorte,
Il éclate en cris superflus.

Le père en rit sa femme est morte,
Il a déjà d'autres amours,

Que l'on croit qu'il battra toujours;
Il hante la taverne, et souvent il s'enivre.

N'attendez rien de bon du peuple imitateur,

Qu'il soit singe ou qu'il fasse un livre :
La pire espèce, c'est l'auteur.

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Un philosophe austère, et né dans la Scythie,
Se proposant de suivre une plus douce vie,
Voyagea chez les Grecs, et vit en certains lieux
Un sage assez semblable au vieillard de Virgile,
Homme égalant les rois, homme approchant des dieux,
Et comme ces derniers, satisfait et tranquille.
Son bonheur consistoit aux beautés d'un jardin.
Le Scythe l'y trouva qui, la serpe à la main,
De ses arbres à fruit retranchoit l'inutile,
Ébranchoit, émondoit, ôtoit ceci, cela,
Corrigeant partout la nature,

Excessive à payer ses soins avec usure.
Le Scythe alors lui demanda
Pourquoi cette ruine : étoit-il d'homme sage
De mutiler ainsi ces pauvres habitants?

« Quittez-moi votre serpe, instrument de dommage;
Laissez agir la faux du temps:

Ils iront assez tôt border le noir rivage.

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J'ôte le superflu, dit l'autre ; et l'abattant,
Le reste en profite d'autant. »

Le Scythe, retourné dans sa triste demeure,

Prend la serpe à son tour, coupe et taille à toute heure;
Conseille à ses voisins, prescrit à ses amis
Un universel abatis.

Il ôte de chez lui les branches les plus belles,
Il tronque son verger contre toute raison,
Sans observer temps ni saison,

Lunes ni vieilles ni nouvelles.

Tout languit et tout meurt.

Ce Scythe exprime bien

Un indiscret stoïcien:

Celui-ci retranche de l'âme

Désirs et passions, le bon et le mauvais,
Jusqu'aux plus innocens souhaits.

Contre de telles gens, quant à moi, je réclame.
Ils ôtent à nos cœurs le principal ressort;
Ils font cesser de vivre avant que l'on soit mort.

FABLE XXI. L'Éléphant et le Singe de Jupiter. Autrefois l'éléphant et le rhinocéros,

En dispute du pas et des droits de l'empire,
Voulurent terminer la querelle en champ clos.
Le jour en étoit pris, quand quelqu'un vint leur dire
Que le singe de Jupiter,

Portant un caducée, avoit paru dans l'air.
Ce singe avoit nom Gille, à ce que dit l'histoire.
Aussitôt l'éléphant de croire

Qu'en qualité d'ambassadeur
Il venoit trouver sa grandeur.
Tout fier de ce sujet de gloire,

Il attend maître Gille, et le trouve un peu lent
A lui présenter sa créance.

Maître Gille enfin, en passant,

Va saluer son excellence.

L'autre étoit préparé sur la légation :
Mais pas un mot. L'attention

Qu'il croyoit que les dieux eussent à sa querclle
N'agitoit pas encor chez eux cette nouvelle.
Qu'importe à ceux du firmament

Qu'on soit mouche ou bien éléphant?
Il se vit donc réduit à commencer lui-même.
Mon cousin Jupiter, dit-il, verra dans peu
Un assez beau combat, de son trône suprême;
Toute sa cour verra beau jeu.

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Quel combat?» dit le singe, avec un front sévère. L'éléphant repartit: « Quoi! vous ne savez pas Que le rhinocéros me dispute le pas;

Qu'Éléphantide a guerre avecque Rhinocère?
Vous connoissez ces lieux, ils ont quelque renom.
Vraiment je suis ravi d'en apprendre le nom,
Repartit maître Gille: on ne s'entretient guère
De semblables sujets dans nos vastes lambris. »
L'éléphant, honteux et surpris

Lui dit : « Eh! parmi nous que venez-vous donc faire?
- Partager un brin d'herbe entre quelques fourmis :
Nous avons soin de tout. Et quant à votre affaire,
On n'en dit rien encor dans le conseil des dieux.
Les petits et les grands sont égaux à leurs yeux. »

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Certain fou poursuivoit à coups de pierre un sage.
Le sage se retourne, et lui dit : « Mon ami,
C'est fort bien fait à toi, reçois cet écu-ci.
Tu fatigues assez pour gagner davantage;
Toute peine, dit-on, est digne de loyer:
Vois cet homme qui passe, il a de quoi payer;
Adresse-lui tes dons, ils auront leur salaire. »
Amorcé par le gain, notre fou s'en va faire
Même insulte à l'autre bourgeois.

On ne le paya pas en argent cette fois.
Maint estafier accourt: on vous happe notre homme,
On vous l'échine, on vous l'assomme.

Auprès des rois il est de pareils fous:
A vos dépens ils font rire le maître.
Pour réprimer leur babil, irez-vous
Les maltraiter? vous n'êtes pas peut-être
Assez puissant. Il faut les engager
A s'adresser à qui peut se venger.

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