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Qui, comme en l'âge d'or, font cent biens ici-bas.
Peu de grands sont nés tels en cet âge où nous sommes:
L'univers leur sait gré du mal qu'ils ne font pas.
Loin que vous suiviez ces exemples,

Mille actes généreux vous promettent des temples.
Apollon, citoyen de ces augustes lieux,
Prétend y célébrer votre nom sur sa lyre.

Je sais qu'on vous attend dans le palais des dieux :
Un siècle de séjour doit ici vous suffire.
Hymen veut séjourner tout un siècle chez vous.
Puissent ses plaisirs les plus doux
Vous composer des destinées
Par ce temps à peine bornées !

Et la princesse et vous n'en méritez pas moins.
J'en prends ses charmes pour témoins;

Pour témoins j'en prends les merveilles
Par qui le ciel, pour vous prodigue en ses présens,
De qualités qui n'ont qu'en vous seul leurs pareilles
Voulut orner vos jeunes ans.

Bourbon de son esprit ses grâces assaisonne :
Le ciel joignit en sa personne
Ce qui sait se faire estimer

A ce qui sait se faire aimer :
Il ne m'appartient pas d'étaler votre joie :
Je me tais donc, et vais rimer
Ce que fit un oiseau de proie.

Un milan, de son nid antique possesseur,
Étant pris vif par un chasseur,

D'en faire au prince un don cet homme se propose.
La rareté du fait donnoit prix à la chose.
L'oiseau, par le chasseur humblement présenté,
Si ce conte n'est apocryphe,

Va tout droit imprimer sa griffe

Sur le nez de sa majesté.

-Quoi! sur le nez du roi?-Du roi même en personne.
-Il n'avoit donc alors ni sceptre ni couronne?
-Quand il en auroit eu, ç'auroit été tout un :

Le nez royal fut pris comme un nez du commun.
Dire des courtisans les clameurs et la peine
Seroit se consumer en efforts impuissans.
Le roi n'éclata point : les cris sont indécens
A la majesté souveraine.

L'oiseau garda son poste: on ne put seulement
Hâter son départ d'un moment.

Son maître le rappelle, et crie, et se tourmente,
Lui présente le leurre, et le poing, mais en vain.
On crut que jusqu'au lendemain

Le maudit animal à la serre insolente
Nicheroit là malgré le bruit,

Et sur le nez sacré voudroit passer

la nuit.
Tâcher de l'en tirer irritoit son caprice.
Il quitte enfin le roi, qui dit : « Laissez aller
Ce milan, et celui qui m'a cru régaler.
Ils se sont acquittés tous deux de leur office,
L'un en milan, et l'autre en citoyen des bois :
Pour moi, qui sais comment doivent agir les rois,
Je les affranchis du supplice. »

Et la cour d'admirer. Les courtisans ravis
Élèvent de tels faits, par eux si mal suivis :
Bien peu, même des rois, prendroient un tel modèle,
Et le veneur l'échappa belle;
Coupables seulement, tant lui que l'animal,
D'ignorer le danger d'approcher trop du maitre
Ils n'avoient appris à connoître

Que les hôtes des bois : étoit-ce un si grand mal?

Pilpay fait près du Gange arriver l'aventure.
Là, nulle humaine créature

Ne touche aux animaux pour leur sang épancher:
Le roi même feroit scrupule d'y toucher.

་་

« Savons-nous, disent-ils, si cet oiseau de proie
N'étoit point au siége de Troie?

Peut-être y tint-il lieu d'un prince ou d'un héros
Des plus huppés et des plus hauts :

Ce qu'il fut autrefois il pourra l'être encore.

Nous croyons, après Pythagore,
Qu'avec les animaux de forme nous changeons;
Tantôt milans, tantôt pigeons,

Tantôt humains, puis volatilles
Ayan! dans les airs leurs familles. »

Comme l'on conte en deux façons L'accident du chasseur, voici l'autre manière :

Un certain fauconnier ayant pris, ce dit-on,
A la chasse un milan (ce qui n'arrive guère),
En voulut au roi faire un don,

Comme de chose singulière :

Ce cas n'arrive pas quelquefois en cent ans;
C'est le non plus ultra de la fauconnerie.
Ce chasseur perce donc un gros de courtisans,
Plein de zèle, échauffé, s'il le fut de sa vie.
Par ce parangon des présens
Il croyoit sa fortune faite :
Quand l'animal porte-sonnette,
Sauvage encore et tout grossier,
Avec ses ongles tout d'acier,

Prend le nez du chasseur, happe le pauvre sirc.
Lui de crier; chacun de rire,

Monarque et courtisans. Qui n'eût ri? Quant à moi,
Je n'en eusse quitté ma part pour un empire.
Qu'un pape rie, en bonne foi

Je ne l'ose assurer; mais je tiendrois un roi
Bien malheureux s'il n'osoit rire :

C'est le plaisir des dieux. Malgré son noir souci,
Jupiter et le peuple immortel rit aussi.

Il en fit des éclats, à ce que dit l'histoire,
Quand Vulcain, clopinant, lui vint donner à boire.
Que le peuple immortel se montrât sage, ou non,
J'ai changé mon sujet avec juste raison;

Car, puisqu'il s'agit de morale,

Que nous eût du chasseur l'aventure fatale

Enseigné de nouveau? L'on a vu de tout temps
Plus de sots fauconniers que de rois indulgens.

FABLE XIII. - Le Renard, les Mouches, et le Hérisson
Aux traces de son sang un vieux hôte des bois,
Renard fin, subtil, et matois,

Blessé par des chasseurs, et tombé dans la fange
Autrefois attira ce parasite ailé

Que nous avons mouche appelé.

Il accusoit les dieux, et trouvoit fort étrange
Que le sort à tel point le voulût affliger,
Et le fit aux mouches manger.

Quoi! se jeter sur moi, sur moi le plus habile
De tous les hôtes des forêts!

Depuis quand les renards sont-ils un si bon mets?
Et que me sert ma queue? est-ce un poids inutile?
Va, le ciel te confonde, animal importun!
Que ne vis-tu sur le commun! »

Un hérisson du voisinage,

Dans mes vers nouveau personnage,

Voulut le délivrer de l'importunité

Du peuple plein d'avidité :

pas:

Je les vais de mes dards enfiler par centaines,
Voisin renard, dit-il, et terminer tes peines.
Garde-t'en bien, dit l'autre; ami, ne le fais
Laisse-les, je te prie, achever leur repas.
Ces animaux sont soûls; une troupe nouvelle
Viendroit fondre sur moi, plus âpre et plus cruelle. ▾

Nous ne trouvons que trop de mangeurs ici-bas:
Ceux-ci sont courtisans, ceux-là sont magistrats.
Aristote appliquoit cet apologue aux hommes.
Les exemples en sont communs,

Surtout au pays où nous sommes.

Plus telles gens sont pleins, moins ils sont importuns.

FABLE XIV.

L'Amour et la Folie.

Tout est mystère dans l'Amour,

Ses flèches, son carquois, son flambeau, son enfanc:: Ce n'est pas l'ouvrage d'un jour

Que d'épuiser cette science.

Je ne prétends donc point tout expliquer ici :
Mon but est seulement de dire à ma manière,
Comment l'aveugle que voici

(C'est un dieu), comment, dis-je, il perdit la lumière, Quelle suite eut ce mal, qui peut-être est un bien : J'en fais juge un amant, et ne décide rien.

La Folie et l'Amour jouoient un jour ensemble:
Celui-ci n'étoit pas encor privé des yeux.
Une dispute vint: l'Amour veut qu'on assemble
Là-dessus le conseil des dieux;

L'autre n'eut pas la patience;

Elle lui donne un coup si furieux,
Qu'il en perd la clarté des cieux.
Vénus en demande vengeance.
Femme et mère, il suffit pour juger de ses cris:
Les dieux en furent étourdis,

Et Jupiter, et Némésis,

Et les juges d'enfer, enfin toute la bande.
Elle représenta l'énormité du cas;

Son fils, sans un bâton, ne pouvoit faire un pas :
Nulle peine n'étoit pour ce crime assez grande:
Le dommage devoit être aussi réparé.
Quand on eut bien considéré
L'intérêt du public, celui de la partie,
Le résultat enfin de la suprême cour
Fut de condamner la Folie

A servir de guide à l'Amour.

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