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Sur ce pont:

D'ailleurs, l'onde rapide et le ruisseau profond
Devoient faire trembler de peur ces amazones.
Malgré tant de dangers, l'une de ces personnes
Pose un pied sur la planche, et l'autre en fait autant.
Je m'imagine voir, avec Louis le Grand
Philippe Quatre qui s'avance
Dans l'île de la Conférence :
Ainsi s'avançoient pas à pas,
Nez à nez, nos aventurières,
Qui, toutes deux étant fort fières,
Vers le milieu du pont ne se voulurent pas
L'une à l'autre céder. Elles avoient la gloire
De compter dans leur race, à ce que dit l'histoire,
L'une, certaine chèvre, au mérite sans pair,
Dont Polyphème fit présent à Galatée;
Et l'autre, la chèvre Amalthée,

Par qui fut nourri Jupiter.

Faute de reculer, leur chute fut commune :
Toutes deux tombèrent dans l'eau.

Cet accident n'est pas nouveau
Dans le chemin de la fortune.

A MONSEIGNEUR LE DUC DE BOURGOGNE,
QUI AVOIT DEMANDÉ A M. DE LA FONTAINE UNE FABLE
QUI FUT NOMMÉE le Chat et la Souris

Pour plaire au jeune prince à qui la Renommée
Destine un temple en mes écrits,

Comment composerai-je une fable nommée
Le chat et la souris?

Dois-je représenter dans ces vers une belle,

Qui, douce en apparence, et toutefois cruelle,
Va se jouant des cœurs que ses charmes ont pris
Comme le chat de la souris?

:

Prendrai-je pour sujet les jeux de la Fortune?
Rien ne lui convient mieux et c'est chose commune
Que de lui voir traiter ceux qu'on croit ses amis
Comme le chat fait la souris.

Introduirai-je un roi qu'entre ses favoris
Elle respecte seul, roi qui fixe sa roue,

Qui n'est point empêché d'un monde d'ennemis,
Et qui des plus puissans, quand il lui plaît, se joue
Comme le chat de la souris?

Mais insensiblement, dans le tour que j'ai pris,
Mon dessein se rencontre; et si je ne m'abuse,
Je pourrois tout gâter par de plus longs récits:
Le jeune prince alors se joueroit de ma muse
Comme le chat de la souris.

FABLE V. Le vieux Chat et la jeune Souris.

Une jeune souris, de peu d'expérience,
Crut fléchir un vieux chat, implorant sa clémence,
Et payant de raisons le Raminagrobis.

<< Laissez-moi vivre une souris
De ma taille et de ma dépense
Est-elle à charge en ce logis?
Affamerois-je, à votre avis,
L'hôte, l'hôtesse, et tout leur monde?
D'un grain de blé je me nourris :
Une noix me rend toute ronde.

A présent je suis maigre; attendez quelque temps:
Réservez ce repas à messieurs vos enfans.
Ainsi parloit au chat la souris attrapée.

L'autre lui dit : « Tu t'es trompée;

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Est-ce à moi que l'on tient de semblables discours?
Tu gagnerois autant de parler à des sourds.
Chat, et vieux, pardonner! cela n'arrive guères.
Selon ces lois, descends là-bas,

Meurs, et va-t'en, tout de ce pas,
Haranguer les sœurs filandières :

Mes enfans trouveront assez d'autres repas. »
Il tint parole. Et pour ma fable

Voici le sens moral qui peut y convenir :

La jeunesse se flatte, et croit tout obtenir :
La vieillesse est impitoyable.

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En pays plein de cerfs un cerf tomba malade.
Incontinent maint camarade

Accourt à son grabat le voir, le secourir,
Le consoler du moins: multitude importune.
« Eh! messieurs, laissez-moi mourir :
Permettez qu'en forme commune
La parque m'expédie, et finissez vos pleurs.
Point du tout; les consolateurs

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De ce triste devoir tout au long s'acquittèrent,
Quand il plut à Dieu s'en allèrent :
Ce ne fut pas sans boire un coup,
C'est-à-dire sans prendre un droit de pâturage.
Tout se mit à brouter les bois du voisinage.
La pitance du cerf en déchut de beaucoup.
Il ne trouva plus rien à frire :

D'un mal il tomba dans un pire,
Et se vit réduit à la fin
A jeûner et mourir de faim.

Il en coûte à qui vous réclame,
Médecins du corps et de l'âme!

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FABLE VII. La Chauve-Souris, le Buisson,
et le Canard.

Le buisson, le canard, et la chauve-souris,
Voyant tous trois qu'en leur pays

Ils faisoient petite fortune,

Vont trafiquer au loin, et font bourse commune.
Ils avoient des comptoirs, des facteurs, des agens
Non moins soigneux qu'intelligens,
Des registres exacts de mise et de recette.
Tout alloit bien; quand leur emplette,
En passant par certains endroits
Remplis d'écueils et fort étroits,
Et de trajet très-difficile,

Alla tout emballée au fond des magasins
Qui du Tartare sont voisins.

Notre trio poussa maint regret inutile;
Ou plutôt il n'en poussa point:

Le plus petit marchand est savant sur ce point :
Pour sauver son crédit, il faut cacher sa perte.
Celle que, par malheur, nos gens avoient soufferte
Ne put se réparer le cas fut découvert.

Les voilà sans crédit, sans argent, sans ressource, Prêts à porter le bonnet vert.

Aucun ne leur ouvrit sa bourse.

Et le sort principal, et les gros intérêts,
Et les sergens, et les procès,

Et le créancier à la porte
Dès devant la pointe du jour,
N'occupoient le trio qu'à chercher maint détour
Pour contenter cette cohorte.

Le buisson accrochoit les passans à tous coups.
Messieurs, leur disoit-il, de grâce, apprenez-nous
En quel lieu sont les marchandises

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Que certains gouffres nous ont prises. »

Le plongeon sous les eaux s'en alloit les chercher.
L'oiseau chauve-souris n'osoit plus approcher
Pendant le jour nulle demeure:

Suivi de sergens à toute heure,

En des trous il s'alloit cacher.

Je connois maint detteur, qui n'est ni souris-chauve,
Ni buisson, ni canard, ni dans tel cas tombé,
Mais simple grand seigneur, qui tous les jours se sauve
Par un escalier dérobé.

FABLE VIII.

La Querelle des Chiens et des Chats, et celle des Chats et des Souris.

La Discorde a toujours régné dans l'univers;
Notre monde en fournit mille exemples divers :
Chez nous cette déesse a plus d'un tributaire.
Commençons par les élémens :

Vous serez étonnés de voir qu'à tous momens
Ils seront appointés contraire.
Outre ces quatre potentats,

Combien d'êtres de tous états
Se font une guerre éternelle !
Autrefois un logis plein de chiens et de chats,
Par cent arrêts rendus en forme solennelle,
Vit terminer tous leurs débats.

Le maître ayant réglé leurs emplois, leurs repas,
Et menacé du fouet quiconque auroit querelle,
Ces animaux vivoient entre eux comme cousins.
Cette union si douce, et presque fraternelle,
Édifioit tous les voisins.

Enfin elle cessa. Quelque plat de potage,
Quelque os, par préférence, à quelqu'un d'eux donné,
Fit que l'autre parti s'en vint tout forcené

Représenter un tel outrage.

J'ai vu des chroniqueurs attribuer le cas

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