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Et de peupler pour Rome un pays qu'elle opprime.
Quant à nos enfans déjà nés,

Nous souhaitons de voir leurs jours bientôt bornés :
Vos préteurs au malheur nous font joindre le crime.
Retirez-les: ils ne nous apprendront
Que la mollesse et que le vice;

Les Germains comme eux deviendront
Gens de rapine et d'avarice.

C'est tout ce que j'ai vu dans Rome à mon abord.
N'a-t-on point de présent à faire,

Point de pourpre à donner? c'est en vain qu'on espère
Quelque refuge aux lois : encor leur ministère
A-t-il mille longueurs. Ce discours un peu fort
Doit commencer à vous déplaire.

Je finis. Punissez de mort

Une plainte un peu trop sincère. »
A ces mots, il se couche; et chacun étonné
Admire le grand cœur, le bon sens, l'éloquence,
Du sauvage ainsi prosterné.

On le créa patrice; et ce fut la vengeance
Qu'on crut qu'un tel discours méritoit. On choisit
D'autres préteurs; et par écrit

Le sénat demanda ce qu'avoit dit cet homme,
Pour servir de modèle aux parleurs à venir.
On ne sut pas longtemps à Rome
Cette éloquence entretenir.

FABLE VIII.- Le Vieillard et les trois jeunes Hommes.

Un octogénaire plantoit.

<< Passe encor de bâtir; mais planter à cet âge! > Disoient trois jouvenceaux, enfans du voisinage: Assurément il radotoit.

«

Car, au nom des dieux, je vous prie, Quel fruit de ce labeur pouvez-vous recueillir? Autant qu'un patriarche il vous faudroit vieillir.

A quoi bon charger votre vie

Des soins d'un avenir qui n'est pas fait pour vous?
Ne songez désormais qu'à vos erreurs passées :
Quittez le long espoir et les vastes pensées;
Tout cela ne convient qu'à nous.

- Il ne convient pas à vous-mêmes, Repartit le vieillard. Tout établissement

Vient tard, et dure peu. La main des Parques blêmes
De vos jours et des miens se joue également.
Nos termes sont pareils par leur courte durée.
Qui de nous des clartés de la voûte azurée
Doit jouir le dernier? Est-il aucun moment
Qui vous puisse assurer d'un second seulement?
Mes arrière-neveux me devront cet ombrage:
Eh bien! défendez-vous au sage

De se donner des soins pour le plaisir d'autrui?
Cela même est un fruit que je goûte aujourd'hui :
J'en puis jouir demain, et quelques jours encore;
Je puis enfin compter l'aurore

Plus d'une fois sur vos tombeaux. »

Le vieillard eut raison: l'un des trois jouvenceaux
Se noya dès le port, allant à l'Amérique;
L'autre, afin de monter aux grandes dignités,
Dans les emplois de Mars servant la république,
Par un coup imprévu vit ses jours emportés;
Le troisième tomba d'un arbre
Que lui-même il voulut enter;

Et, pleurés du vieillard, il grava sur leur marbre
Ce que je viens de raconter.

FABLE IX.

Les Souris et le Chat-Huant.

Il ne faut jamais dire aux gens: « Écoutez un bon mot, oyez une merveille.»

Savez-vous si les écoutans

En feront une estime à la vôtre pareille?

Voici pourtant un cas qui peut être excepté :
Je le maintiens prodige, et tel que d'une fable
Il a l'air et les traits, encor que véritable.

On abattit un pin pour son antiquité,

Vieux palais d'un hibou, triste et sombre retraite
De l'oiseau qu'Atropos prend pour son interprète.
Dans son tronc caverneux, et miné par le temps,
Logeoient, entre autres habitans,

Force souris sans pieds, toutes rondes de graisse.
L'oiseau les nourrissoit parmi des tas de blé,
Et de son bec avoit leur troupeau mutilé.
Cet oiseau raisonnoit : il faut qu'on le confesse.
En son temps, aux souris le compagnon chassa:
Les premières qu'il prit du logis échappées,
Pour y remédier, le drôle estropia

Tout ce qu'il prit ensuite; et leurs jambes coupées
Firent qu'il les mangeoit à sa commodité,
Aujourd'hui l'une, et demain l'autre.

Tout manger à la fois, l'impossibilité
S'y trouvoit, joint aussi le soin de sa santé.
Sa prévoyance alloit aussi loin que la nôtre :
Elle alloit jusqu'à leur porter

Vivres et grains pour subsister.
Puis, qu'un cartésien s'obstine

A traiter ce hibou de montre et de machine!
Quel ressort lui pouvoit donner

Le conseil de tronquer un peuple mis en mue!
Si ce n'est pas là raisonner,

La raison m'est chose inconnue.
Voyez que d'argumens il fit

« Quand ce peuple est pris, il s'enfuit;
Donc il faut le croquer aussitôt qu'on le happe.
Tout! il est impossible. Et puis pour le besoin
N'en dois-je point garder? Donc il faut avoir soin
De le nourrir sans qu'il échappe.

Mais comment? Otons-lui les pieds. » Or, trouvez-moi Chose par les humains à sa fin mieux conduite!

Quel autre art de penser Aristote et sa suite
Enseignent-ils, par votre foi?

Ceci n'est point une fable; et la chose, quoique merveilleuse et presque incroyable, est véritablement arrivée. J'ai peut-être porté trop loin la prévoyance de ce hibou; car je ne prétends pas établir dans les bêtes un progrès de raisonnement tel que celui-ci mais ces exagérations sont permises à la poésie, surtout dans la manière d'écrire dont je

me sers.

ÉPILOGUE.

C'est ainsi que ma muse, aux bords d'une onde pure, Traduisoit en langue des dieux

Tout ce que disent sous les cieux

Tant d'êtres empruntant la voix de la nature.
Truchement de peuples divers,

Je les faisois servir d'acteurs en mon ouvrage :
Car tout parle dans l'univers;

Il n'est rien qui n'ait son langage.

Plus éloquens chez eux qu'ils ne sont dans mes vers,
Si ceux que j'introduis me trouvent peu fidèle,
Si mon œuvre n'est pas un assez bon modèle,
J'ai du moins ouvert le chemin :

D'autres pourront y mettre une dernière main.
Favoris des neuf sœurs, achevez l'entreprise :
Donnez mainte leçon que j'ai sans doute omise;
Sous ces inventions il faut l'envelopper.

Mais vous n'avez que trop de quoi vous occuper :
Pendant le doux emploi de ma muse innocente,
Louis dompte l'Europe; et, d'une main puissante
Il conduit à leur fin les plus nobles projets

Qu'ait jamais formés un monarque.
Favoris des neuf sœurs, ce sont là des sujets
Vainqueurs du Temps et de la Parque.

FABLE I. Les Compagnons d'Ulysse.

A MONSEIGNEUR LE DUC DE BOURGOGNE.

Prince, l'unique objet du soin des immortels,
Souffrez que mon encens parfume vos autels.
Je vous offre un peu tard ces présents de ma muse:
Les ans et les travaux me serviront d'excuse.
Mon esprit diminue; au lieu qu'à chaque instant
On aperçoit le vôtre aller en augmentant :
Il ne va pas, il court; il semble avoir des ailes.
Le héros dont il tient des qualités si belles
Dans le métier de Mars brûle d'en faire autant:
Il ne tient pas à lui que, forçant la victoire,
Il ne marche à pas de géant

Dans la carrière de la gloire.

Quelque dieu le retient : c'est notre souverain,
Lui qu'un mois a rendu maître et vainqueur du Rhin.
Cette rapidité fut alors nécessaire;

Peut-être elle seroit aujourd'hui téméraire.

Je m'en tais: aussi bien les Ris et les Amours
Ne sont pas soupçonnés d'aimer les longs discours.
De ces sortes de dieux votre cour se compose :
Ils ne vous quittent point. Ce n'est pas qu'après tout
D'autres divinités n'y tiennent le haut bout:
Le sens et la raison y règlent toute chose.
Consultez ces derniers sur un fait où les Grecs,
Imprudens et peu circonspects,
S'abandonnèrent à des charmes

Qui métamorphosoient en bêtes les humains.

Les compagnons d'Ulysse, après dix ans d'alarmes,
Erroient au gré du vent, de leur sort incertains.
Ils abordèrent un rivage

Où la fille du dieu du jour,

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