Le berger, qui par ses chansons Eût attiré des inhumaines,
Crut, et crut mal, attirer des poissons. Il leur chanta ceci : « Citoyens de cette onde, Laissez votre naïade en sa grotte profonde; Venez voir un objet mille fois plus charmant. Ne craignez point d'entrer aux prisons de la belle Ce n'est qu'à nous qu'elle est cruelle. Vous serez traités doucement;
On n'en veut point à votre vie :
Un vivier vous attend, plus clair que fin cristal; Et quand à quelques-uns l'appât seroit fatal, Mourir des mains d'Annette est un sort que j'envie. Ce discours éloquent ne fit pas grand effet; L'auditoire étoit sourd aussi bien que muet: Tircis eut beau prêcher. Ses paroles miellées S'en étant aux vents envolées,
Il tendit un long rets. Voilà les poissons pris; Voilà les poissons mis aux pieds de la bergère.
O vous, pasteurs d'humains et non pas de brebis, Rois, qui croyez gagner par raison les esprits D'une multitude étrangère,
Ce n'est jamais par là que l'on en vient à bout ! Il y faut une autre manière :
Servez-vous de vos rets; la puissance fait tout.
FABLE XII. Les deux Perroquets, le Roi, et son Fils.
Deux perroquets, l'un père et l'autre fils, Du rôt d'un roi faisoient leur ordinaire; Deux demi-dieux, l'un fils et l'autre père, De ces oiseaux faisoient leurs favoris. L'âge lioit une amitié sincère
Entre ces gens: les deux pères s'aimoient; Les deux enfans, malgré leur cœur frivole,
L'un avec l'autre aussi s'accoutumoient, Nourris ensemble, et compagnons d'école. C'étoit beaucoup d'honneur au jeune perroquet : Car l'enfant étoit prince, et son père monarque. Par le tempérament que lui donna la Parque Il aimoit les oiseaux. Un moineau fort coquet, Et le plus amoureux de toute la province, Faisoit aussi sa part des délices du prince. Ces deux rivaux un jour ensemble se jouans, Comme il arrive aux jeunes gens, Le jeu devint une querelle. Le passereau, peu circonspec, S'attira de tels coups de bec Que, demi-mort et traînant l'aile, On crut qu'il n'en pourroit guérir. Le prince indigné fit mourir
Son perroquet. Le bruit en vint au père. L'infortuné vieillard crie et se désespère,
Le tout en vain, ses cris sont superflus; L'oiseau parleur est déjà dans la barque: Pour dire mieux, l'oiseau ne parlant plus Fait qu'en fureur sur le fils du monarque Son père s'en va fondre, et lui crève les yeux. Il se sauve aussitôt, et choisit pour asile
Le haut d'un pin: là, dans le sein des dieux, Il goûte sa vengeance en lieu sûr et tranquille. Le roi lui-même y court; et dit pour l'attirer: Ami, reviens chez moi; que nous sert de pleurer? Haine, vengeance, et deuil, laissons tout à la porte. Je suis contraint de déclarer,
Encor que ma douleur soit forte,
Que le tort vient de nous; mon fils fut l'agresseur : Mon fils! non; c'est le Sort qui du coup est l'auteur. La Parque avoit écrit de tout temps en son livre Que l'un de nos enfans devoit cesser de vivre, L'autre de voir, par ce malheur.
Consolons-nous tous deux, et reviens dans ta cage. » Le perroquet dit : « Sire roi,
Crois-tu qu'après un tel outrage
Je me doive fier à toi?
Tu m'allègues le Sort: prétends-tu, par ta foi, Me leurrer de l'appât d'un profane langage? Mais que la Providence, ou bien que le Destin Règle les affaires du monde,
Il est écrit là-haut qu'au faîte de ce pin, Ou dans quelque forêt profonde, J'achèverai mes jours loin du fatal objet Qui doit t'être un juste sujet
De haine et de fureur. Je sais que la vengeance Est un morceau de roi; car vous vivez en dieux. Tu veux oublier cette offense;
Je le crois cependant il me faut, pour le mieux, Éviter ta main et tes yeux.
Sire roi, mon ami, va-t'en; tu perds ta peine : Ne me parle point de retour;
L'absence est aussi bien un remède à la haine Qu'un appareil contre l'amour. »
Mère lionne avoit perdu son faon : Un chasseur l'avoit pris. La pauvre infortunée Poussoit un tel rugissement
Que toute la forêt étoit importunée. La nuit ni son obscurité,
Son silence, et ses autres charmes,
De la reine des bois n'arrêtoient les vacarmes : Nul animal n'étoit du sommeil visité.
L'ourse enfin lui dit : « Ma commère, Un mot sans plus; tous les enfans Qui sont passés entre vos dents N'avoient-ils ni père ni mère?
Ils en avoient. S'il est ainsi,
n'aucun de leur mort n'ait nos têtes rompues, Si tant de mères se sont tues,
Que ne vous taisez-vous aussi?
Moi, me taire ! moi malheureuse! Ah! j'ai perdu mon fils! il me faudra traîner Une vieillesse douloureuse!
- Dites-moi, qui vous force à vous y condamner! Hélas! c'est le Destin qui me hait. >> Ces paroles Ont été de tout temps de la bouche de tous.
Misérables humains, ceci s'adresse à vous! Je n'entends résonner que des plaintes frivoles. Quiconque, en pareil cas, se croit haï des cieux, Qu'il considère Hécube, il rendra grâce aux dieux.
FABLE XIV. Les deux Aventuriers et le Talisman.
Aucun chemin de fleurs ne conduit à la gloire. Je n'en veux pour témoin qu'Hercule et ses travaux : Ce dieu n'a guère de rivaux;
J'en vois peu dans la fable, encor moins dans l'histoire. En voici pourtant un, que de vieux talismans Firent chercher fortune au pays des romans. Il voyageoit de compagnie.
Son camarade et lui trouvèrent un poteau Ayant au haut cet écriteau :
Seigneur aventurier, s'il te prend quelque envie « De voir ce que n'a vu nul chevalier errant,
« Tu n'as qu'à passer ce torrent;
<< Puis, prenant dans tes bras un éléphant de pierre «Que tu verras couché par terre,
« Le porter, d'une haleine, au sommet de ce mont <<< Qui menace les cieux de son superbe front. » L'un des deux chevaliers saigna du nez. « Si l'onde Est rapide autant que profonde,
Dit-il..., et supposé qu'on la puisse passer, Pourquoi de l'éléphant s'aller embarrasser? Quelle ridicule entreprise!
sage l'aura fait par tel art et de guise
Qu'on le pourra porter peut-être quatre pas:
Mais jusqu'au haut du mont! d'une haleine! il n'est pas Au pouvoir d'un mortel : à moins que la figure Ne soit d'un éléphant nain, pygmée, avorton, Propre à mettre au bout d'un bâton : Auquel cas, où l'honneur d'une telle aventure? On nous veut attraper dedans cette écriture; Ce sera quelque énigme à tromper un enfant : C'est pourquoi je vous laisse avec votre éléphant. Le raisonneur parti, l'aventureux se lance, Les yeux clos, à travers cette eau. Ni profondeur ni violence
Ne purent l'arrêter; et, selon l'écriteau, Il vit son éléphant couché sur l'autre rive.
Il le prend, il l'emporte, au haut du mont arrive, Rencontre une esplanade, et puis une cité. Un cri par l'éléphant est aussitôt jeté :
Le peuple aussitôt sort en armes.
Tout autre aventurier, au bruit de ces alarmes, Auroit fui celui-ci, loin de tourner le dos, Veut vendre au moins sa vie, et mourir en héros. Il fut tout étonné d'ouïr cette cohorte
Le proclamer monarque au lieu de son roi mort. Il ne se fit prier que de la bonne sorte;
Encor que le fardeau fût, dit-il, un peu fort. » Sixte en disoit autant quand on le fit saint-père : Seroit-ce bien une misère
Que d'être pape ou d'être roi?
On reconnut bientôt son peu de bonne foi.
Fortune aveugle suit aveugle hardiesse. Le sage quelquefois fait bien d'exécuter Avant que de donner le temps à la sagesse D'envisager le fait, et sans la consulter.
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