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Eut répandu l'alarme en tout le voisinage,
Et fait crier sur lui les enfans du village,
Un rossignol tomba dans ses mains par malheur.
Le héraut du printemps lui demande la vie.
« Aussi bien, que manger en qui n'a que le son?
Écoutez plutôt ma chanson :

Je vous raconterai Térée et son envie.

Qui, Térée? est-ce un mets propre pour les milans? Non pas; c'étoit un roi dont les feux violens

Me firent ressentir leur ardeur criminelle.

Je m'en vais vous en dire une chanson si belle
Qu'elle vous ravira: mon chant plaît à chacun. »
Le milan alors lui réplique :

«

Vraiment, nous voici bien! lorsque je suis à jeun,
Tu me viens parler de musique !

- J'en parle bien aux rois. - Quand un roi te prendra, Tu peux lui conter ces merveilles :

Pour un milan, il s'en rira. »

Ventre affamé n'a point d'oreilles.

FABLE XIX. Le Berger et son Troupeau.

« Quoi! toujours il me manquera
Quelqu'un de ce peuple imbécile!
Toujours le loup m'en gobera!

J'aurai beau les compter! ils étoient plus de mille,
Et m'ont laissé ravir notre pauvre Robin!
Robin mouton, qui par la ville

Me suivoit pour un peu de pain,

Et qui m'auroit suivi jusques au bout du monde!
Hélas! de ma musette il entendoit le son;
Il me sentoit venir de cent pas à la ronde.
Ah! le pauvre Robin mouton! »

Quand Guillot eut fini cette oraison funèbre,
Et rendu de Robin la mémoire célèbre,
Il harangua tout le troupeau,

Les chefs, la multitude, et jusqu'au moindre agneau,
Les conjurant de tenir ferme :
Cela seul suffiroit pour écarter les loups.
Foi de peuple d'honneur ils lui promirent tous
De ne bouger non plus qu'un terme.

« Nous voulons, dirent-ils, étouffer le glouton
Qui nous a pris Robin mouton. »
Chacun en répond sur sa tête.
Guillot les crut, et leur fit fête.
Cependant, devant qu'il fût nuit,
Il arriva nouvel encombre :

Un loup parut; tout le troupeau s'enfuit.
Ce n'étoit pas un loup, ce n'en étoit que l'ombre.

Haranguez de méchants soldats;

Ils promettront de faire rage :

Mais, au moindre danger, adieu tout leur courage;
Votre exemple et vos cris ne les retiendront pas.

FABLE I.

LIVRE DIXIÈME.

Les deux Rats, le Renard et l'OEuf.

DISCOURS A MADAME DE LA SABLIÈRE.

Iris, je vous louerois; il n'est que trop aisé:
Mais vous avez cent fois notre encens refusé;
En cela peu semblable au reste des mortelles,
Qui veulent tous les jours des louanges nouvelles.
Pas une ne s'endort à ce bruit si flatteur.

Je ne les blâme point; je souffre cette humeur :
Elle est commune aux dieux, aux monarques, aux belles
Ce breuvage vanté par le peuple rimeur,

Le nectar, que l'on sert au maître du tonnerre,
Et dont nous enivrons tous les dieux de la tere,
C'est la louange, Iris. Vous ne la goûtez point:

D'autre propos chez vous récompensent ce point.
Propos, agréables commerces,

Où le hasard fournit cent matières diverses;
Jusque-là qu'en votre entretien

La bagatelle a part: le monde n'en croit rien.
Laissons le monde et sa croyance.

La bagatelle, la science,

Les chimères, le rien, tout est bon je soutiens
Qu'il faut de tout aux entretiens;
C'est un parterre où Flore épand ses biens;
Sur différentes fleurs l'abeille s'y repose,
Et fait du miel de toute chose.

Ce fondement posé, ne trouvez pas mauvais
Qu'en ces fables aussi j'entremêle des traits
De certaine philosophie,
Subtile, engageante, et hardie.

On l'appelle nouvelle : en avez-vous ou non
Ouï parler? Ils disent donc

Que la bête est une machine;

Qu'en elle tout se fait sans choix et par ressorts:
Nul sentiment, point d'âme; en elle tout est corps.
Telle est la montre qui chemine

A pas toujours égaux, aveugle et sans dessein.
Ouvrez-la, lisez dans son sein:

Mainte roue y tient lieu de tout l'esprit du monde;
La première y meut la seconde;

Une troisième suit : elle sonne à la fin.
Au dire de ces gens, la bête est toute télle.
L'objet la frappe en un endroit;

Ce lieu frappé s'en va tout droit,
Selon nous, au voisin en porter la nouvelle.
Le sens de proche en proche aussitôt la reçoit.
L'impression se fait : mais comment se fait-elle?
Selon eux, par nécessité,

Sans passion, sans volonté :
L'animal se sent agité

De mouvemens que le vulgaire appelle
Tristesse, joie, amour, plaisir, douleur cruelle,

Ou quelque autre de ces états.

Mais ce n'est point cela ne vous y trompez pas.
Qu'est-ce donc? Une montre. Et nous? C'est autre chose
Voici de la façon que Descartes l'expose :
Descartes, ce mortel dont on eût fait un dieu
Chez les païens, et qui tient le milieu

Entre l'homme et l'esprit; comme entre l'huître et l'homme
Le tient tel de nos gens, franche bête de somme;
Voici, dis-je, comment raisonne cet auteur:
Sur tous les animaux, enfans du Créateur,
J'ai le don de penser; et je sais que je pense;
Or, vous savez, Iris, de certaine science,
Que, quand la bête penseroit,

La bête ne réfléchiroit

Sur l'objet ni sur sa pensée.
Descartes va plus loin, et soutient nettement
Qu'elle ne pense nullement.

Vous n'êtes point embarrassée
De le croire; ni moi. Cependant, quand au bois
Le bruit des cors, celui des voix,

N'a donné nul relâche à la fuyante proie,
Qu'en vain elle a mis ses efforts

A confondre et brouiller la voie,

L'animal chargé d'ans, vieux cerf, et de dix cors,
En suppose un plus jeune, et l'oblige, par force,
A présenter aux chiens une nouvelle amorce.
Que de raisonnemens pour conserver ses jours!
Le retour sur ses pas, les malices, les tours,
Et le change, et cent stratagèmes

Dignes des plus grands chefs, dignes d'un meilleur sort!
On le déchire après sa mort:

Ce sont tous ses honneurs suprêmes.

Quand la perdrix
Voit ses petits

En danger, et n'ayant qu'une plume nouvelle
Qui ne peut fuir encor par les airs le trépas,

Elle fait la blessée, et va traînant de l'aile,

Attirant le chasseur et le chien sur ses pas,
Détourne le danger, sauve ainsi sa famille;

Et puis, quand le chasseur croit que son chien la pille, Elle lui dit adieu, prend sa volée, et rit

De l'homme qui, confus, des yeux en vain la suit.

Non loin du nord il est un monde

Où l'on sait que les habitans

Vivent, ainsi qu'aux premiers temps,
Dans une ignorance profonde :

Je parle des humains; car, quant aux animaux,
Ils y construisent des travaux

Qui des torrens grossis arrêtent le ravage,
Et font communiquer l'un et l'autre rivage.
L'édifice résiste et dure en son entier :
Après un lit de bois est un lit de mortier.
Chaque castor agit: commune en est la tâche;
Le vieux y fait marcher le jeune sans relâche;
Maint maître d'œuvre y court, et tient haut le bâton.
La république de Platon

Ne seroit rien que l'apprentie

De cette famille amphibie.

Ils savent en hiver élever leurs maisons,
Passent les étangs sur des ponts,
Fruit de leur art, savant ouvrage;
Et nos pareils ont beau le voir,
Jusqu'à présent tout leur savoir
Est de passer l'onde à la nage.

Que ces castors ne soient qu'un corps vide d'esprit,
Jamais on ne pourra m'obliger à le croire :
Mais voici beaucoup plus; écoutez ce récit,

Que je tiens d'un roi plein de gloire.
Le défenseur du nord vous sera mon garant :
Je vais citer un prince aimé de la Victoire;
Son nom seul est un mur à l'empire ottoman :
C'est le roi polonois. Jamais un roi ne ment.

Il dit donc que, sur sa frontière,

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