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Avoit voué cent boeufs au vainqueur des Titans.
Il n'en avoit pas un : vouer cent éléphans
N'auroit pas coûté davantage.

Il brûla quelques os quand il fut au rivage:
Au nez de Jupiter la fumée en monta.

« Sire Jupin, dit-il, prends mon vœu; le voilà :
C'est un parfum de bœuf que ta grandeur respire
La fumée est ta part : je ne te dois plus rien. »
Jupiter fit semblant de rire;

Mais, après quelques jours, le dieu l'attrapa bien,
Envoyant un songe lui dire

Qu'un tel trésor étoit en tel lieu. L'homme au vœu
Courut au trésor comme au feu.

Il trouva des voleurs; et, n'ayant dans sa bourse
Qu'un écu pour toute ressource,

Il leur promit cent talens d'or,
Bien comptés, et d'un tel trésor :

On l'avoit enterré dedans telle bourgade.
L'endroit parut suspect aux voleurs; de façon
Qu'à notre prometteur l'un dit : « Mon camarade,
Tu te moques de nous; meurs, et va chez Pluton

Porter tes cent talens en don. »

FABLE XIV.

Le Chat et le Renard.

Le chat et le renard, comme beaux petits saints,
S'en alloient en pèlerinage.

C'étoient deux vrais tartufs, deux archipatelins,
Deux francs patte-pelus, qui, des frais du voyage,
Croquant mainte volaille, escroquant maint fromage,
S'indemnisoient à qui mieux mieux.

1.9 chemin étant long, et partant ennuyeux,
Pour l'accourcir ils disputèrent.

La dispute est d'un grand secours :
Sans elle on dormiroit toujours.

Nos pèlerins s'égosillèrent.

Ayant bien disputé, l'on parla du prochain.

Le renard au chat dit enfin :

« Tu prétends être fort habile;

En sais-tu tant que moi? J'ai cent ruses au sac.

-Non, dit l'autre je n'ai qu'un tour dans mon bissac; Mais je soutiens qu'il en vaut mille. »

Eux de recommencer la dispute à l'envi.

Sur le que si, que non, tous deux étant ainsi,
Une meute apaisa la noise.

Le chat dit au renard : « Fouille en ton sac,
Cherche en ta cervelle matoise

ami;

Un stratagème sûr : pour moi, voici le mien.»
A ces mots, sur un arbre il grimpa bel et bien.
L'autre fit cent tours inutiles,

Entra dans cent terriers, mit cent fois en défaut
Tous les confrères de Brifaut.
Partout il tenta des asiles;

Et ce fut partout sans succès :
La fumée y pourvut, ainsi que les bassets.
Au sortir d'un terrier deux chiens aux pieds agiles
L'étranglèrent du premier bond.

Le trop d'expédiens peut gâter une affaire:
On perd du temps au choix, on tente, on veut tout faire.
N'en ayons qu'un; mais qu'il soit bon.

FABLE XV. Le Mari, la Femme et le Voleur

Un mari fort amoureux,

Fort amoureux de sa femme,

Bien qu'il fût jouissant, se croyoit malheureux.
Jamais œillade de la dame,

Propos flatteur et gracieux,

Mot d'amitié, ni doux sourire,

Déifiant le pauvre sire,

N'avoient fait soupçonner qu'il fût vraiment chéri.

Je le crois c'étoit un mari.

Il ne tint point à l'hyménée

Que, content de sa destinée,
Il n'en remerciât les dieux.
Mais quoi, si l'amour n'assaisonne
Les plaisirs que l'hymen nous donne,
Je ne vois pas qu'on en soit mieux.
Notre épouse étant donc de la sorte bâtie,
Et n'ayant caressé son mari de sa vie,
Il en faisoit sa plainte une nuit. Un voleur
Interrompit la doléance.

La pauvre femme eut si grand'peur
Qu'elle chercha quelque assurance
Entre les bras de son époux.

« Ami voleur, dit-il, sans toi ce bien si doux
Me seroit inconnu! Prends donc en récompense
Tout ce qui peut chez nous être à ta bienséance;
Prends le logis aussi. » Les voleurs ne sont pas
Gens honteux, ni fort délicats:

Celui-ci fit sa main.

J'infère de ce conte

Que la plus forte passion

C'est la peur; elle fait vaincre l'aversion,
Et l'amour quelquefois : quelquefois il la dompte;
J'en ai pour preuve cet amant
Qui brûla sa maison pour embrasser sa dame,
L'emportant à travers la flamme.
J'aime assez cet emportement;

Le conte m'en a plu toujours infiniment:
Il est bien d'une âme espagnole,
Et plus grande encore que folle.

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Un homme n'ayant plus ni crédit ni ressource,
Et logeant le diable en sa bourse,
C'est-à-dire n'y logeant rien,
S'imagina qu'il feroit bien

De se pendre, et finir lui-même sa misère,
Puisque aussi bien sans iui la faim le viendroit faire :
Genre de mort qui ne duit pas

A gens peu curieux de goûter le trépas.
Dans cette intention, une vieille masure
Fut la scène où devoit se passer l'aventure :
Il y porte une corde, et veut avec un clou
Au haut d'un certain mur attacher le licou.
La muraille, vieille et peu forte,

S'ébranle aux premiers coups, tombe avec un trésor.
Notre désespéré le ramasse, et l'emporte;
Laisse là le licou, s'en retourne avec l'or,
Sans compter: ronde ou non, la somme plut au sire.
Tandis que le galant à grands pas se retire,
L'homme au trésor arrive, et trouve son argent
Absent.

« Quoi! dit-il, sans mourir je perdrai cette somme!
Je ne me pendrai pas! Et vraiment si ferai,
Ou de corde je manquerai. »

Le lacs étoit tout prêt; il n'y manquoit qu'un homme : Celui-ci se l'attache, et se pend bien et beau.

Ce qui le consola, peut-être,

Fut qu'un autre eût, pour lui, fait les frais du cordeau. Aussi bien que l'argent le licou trouva maître.

L'avare rarement finit ses jours sans pleurs;
Il a le moins de part au trésor qu'il enserre,
Thésaurisant pour les voleurs,

Pour ses parens, ou pour

la terre.

Mais que dire du troc que la Fortune fit?
Ce sont là de ses traits; elle s'en divertit :
Plus le tour est bizarre, et plus elle est contente.
Cette déesse inconstante

Se mit alors en l'esprit

De voir un homme se pendre;

Et celui qui se pendit

S'y devoit le moins attendre.

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Bertrand avec Raton, l'un singe et l'autre chat,
Commensaux d'un logis, avoient un commun maître.
D'animaux malfaisans c'étoit un très-bon plat :
Ils n'y craignoient tous deux aucun, quel qu'il pût être.
Trouvoit-on quelque chose au logis de gâté,
L'on ne s'en prenoit point aux gens du voisinage :
Bertrand déroboit tout; Raton, de son côté,
Étoit moins attentif aux souris qu'au fromage.
Un jour, au coin du feu, nos deux maîtres fripons
Regardoient rôtir des marrons.

Les escroquer étoit une très-bonne affaire :
Nos galans y voyoient double profit à faire;
Leur bien premièrement, et puis le mal d'autrui.
Bertrand dit à Raton : « Frère, il faut aujourd'hui
Que tu fasses un coup de maître;

Tire-moi ces marrons. Si Dieu m'avoit fait naître
Propre à tirer marrons du feu,

Certes, marrons verroient beau jeu.

Aussitôt fait que dit: Raton, avec sa patte,
D'une manière délicate,

Écarte un peu la cendre, et retire les doigts;
Puis les reporte à plusieurs fois,

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Tire un marron, puis deux, et puis trois en escroque;
Et cependant Bertrand les croque.

Une servante vient: adieu mes gens. Raton
N'étoit pas content, ce dit-on.

Aussi ne le sont pas la plupart de ces princes
Qui, flattés d'un pareil emploi,

Vont s'échauder en des provinces
Pour le profit de quelque roi.

FABLE XVIII. - Le Milan et le Rossignol

Après que le milan, manifeste voleur,

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