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Dans les citrouilles je la treuve.

Un villageois, considérant

Combien ce fruit est gros et sa tige menue :
« A quoi songeoit, dit-il, l'auteur de tout cela?
Il a bien mal placé cette citrouille-là !
Eh parbleu ! je l'aurois pendue

A l'un des chênes que voilà;
C'eût été justement l'affaire :

Tel fruit, tel arbre, pour bien faire.

C'est dommage, Garo, que tu n'es point entré
Au conseil de Celui que prêche ton curé;.
Tout en eût été mieux : car pourquoi, par exemple,
Le gland, qui n'est pas gros comme mon petit doigt,
Ne pend-il pas en cet endroit?

Dieu s'est mépris: plus je contemple

Ces fruits ainsi placés, plus il semble à Garo
Que l'on a fait un quiproquo. >>

Cette réflexion embarrassant notre homme :

« On ne dort point, dit-il, quand on a tant d'esprit; »
Sous un chêne aussitôt il va prendre son somme.
Un gland tombe : le nez du dormeur en pâtit.
Il s'éveille; et, portant la main sur son visage,
Il trouve encor le gland pris au poil du menton.
Son nez meurtri le force à changer de langage.
« Oh! oh! dit-il, je saigne! Et que seroit-ce donc
S'il fût tombé de l'arbre une masse plus lourde,
Et que ce gland eût été gourde?

Dieu ne

l'a pas voulu sans doute il eut raison; J'en vois bien à présent la cause. »

En louant Dieu de toute chose

Garo retourne à la maison.

FABLE V. - L'Écolier, le Pédant, et le Maître d'un jardin.

Certain enfant qui sentoit son collége,
Doublement sot et doublement fripon
Par le jeune âge et par le privilége

Qu'ont les pédans de gâter la raison,
Chez un voisin déroboit, ce dit-on,

Et fleurs et fruits. Ce voisin, en automne,
Des plus beaux dons que nous offre Pomone
Avoit la fleur, les autres le rebut.

Chaque saison apportoit son tribut;

Car au printemps il jouissoit encore

Des plus beaux dons que nous présente Flore.
Un jour dans son jardin il vit notre écolier,
Qui, grimpant sans égard, sur un arbre fruitier,
Gâtoit jusqu'aux boutons, douce et frêle espérance,
Avant-coureurs des biens que promet l'abondance:
Même il ébranchoit l'arbre; et fit tant à la fin
Que le possesseur du jardin

Envoya faire plainte au maître de la classe.
Celui-ci vint suivi d'un cortége d'enfans:
Voilà le verger plein de gens

Pires

que le premier. Le pédant, de sa grâce,
Accrut le mal en amenant

Cette jeunesse mal instruite :

Le tout, à ce qu'il dit, pour faire un châtiment
Qui pût servir d'exemple, et dont toute sa suite
Se souvînt à jamais comme d'une leçon.
Là-dessus il cita Virgile et Cicéron,

Avec force traits de science.

Son discours dura tant que la maudite engeance
Eut le temps de gâter en cent lieux le jardin.
Je hais les pièces d'éloquence

Hors de leur place, et qui n'ont point de fin;
Et ne sais bête au monde pire

Que l'écolier, si ce n'est le pédant.

Le meilleur de ces deux pour voisin, à vrai dire,
Ne me plairoit aucunement.

FABLE VI. Le Statuaire et la Statue de Jupiter.

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Un bloc de marbre étoit si beau

Qu'un statuaire en fit l'emplette. « Qu'en fera, dit-il, mon ciseau ? Sera-t-il dieu, table, ou cuvette?

Il sera dieu: même je veux
Qu'il ait en sa main un tonnerre.
Tremblez, humains! faites des vœux:
Voilà le maître de la terre. »

L'artisan exprima si bien

Le caractère de l'idole

Qu'on trouva qu'il ne manquoit rien A Jupiter que la parole :

Même l'on dit que l'ouvrier
Eut à peine achevé l'image,
Qu'on le vit frémir le premier,
Et redouter son propre ouvrage.

A la foiblesse du sculpteur
Le poëte autrefois n'en dut guère,
Des dieux dont il fut l'inventeur
Craignant la haine et la colère :

Il étoit enfant en ceci;

Les enfans n'ont l'âme occupée
Que du continuel souci

Qu'on ne fâche point leur poupée.

Le cœur suit aisément l'esprit :
De cette source est descendue
L'erreur païenne, qui se vit
Chez tant de peuples répanduc.

Ils embrassoient violemment
Les intérêts de leur chimère :
Pygmalion devint amant
De la Vénus dont il fut père

Chacun tourne en réalités,

Autant qu'il peut, ses propres songes:
L'homme est de glace aux vérités,
Il est de feu pour les mensonges.

FABLE VII. La Souris métamorphosée en Fille

Une souris tomba du bec d'un chat-huant :
Je ne l'eusse pas ramassée;

Mais un bramin le fit: je le crois aisément;
Chaque pays a sa pensée.

La souris étoit fort froissée.
De cette sorte de prochain

Nous nous soucions peu; mais le peuple bramin
Le traite en frère. Ils ont en tête

Que notre âme, au sortir d'un roi,

Entre dans un ciron, ou dans telle autre bête
Qu'il plaît au Sort: c'est là l'un des points de leur loi.
Pythagore chez eux a puisé ce mystère.

Sur un tel fondement, le bramin crut bien faire
De prier un sorcier qu'il logeât la souris

Dans un corps qu'elle eût eu pour hôte au temps jadis.
Le sorcier en fit une fille

De l'âge de quinze ans, et telle et si gentille
Que le fils de Priam pour elle auroit tenté
Plus encor qu'il ne fit pour la grecque beauté.
Le bramin fut surpris de chose si nouvelle.
Il dit à cet objet si doux :

« Vous n'avez qu'à choisir; car chacun est jaloux
De l'honneur d'être votre époux.
-En ce cas je donne, dit-elle,
Ma voix au plus puissant de tous.
Soleil, s'écria lors le bramin à
genoux,
C'est toi qui seras notre gendre.

Non, dit-il, ce nuage épais

Est plus puissant que moi, puisqu'il cache mes traits, Je vous conseille de le prendre.

Hé bien! dit le bramin au nuage volant,

Es-tu né pour ma fille?

Hélas! non, car le vent

Me chasse à son plaisir de contrée en contrée :
Je n'entreprendrai point sur les droits de Borée.
Le bramin fâché s'écria :

« O vent, donc, puisque vent y a,
Viens dans les bras de notre belle! »

Il accouroit; un mont en chemin l'arrêta.
L'éteuf passant à celui-là,

Il le renvoie, et dit : « J'aurois une querelle
Avec le rat; et l'offenser

Ce seroit être fou, lui qui peut me percer.
Au mot de rat, la demoiselle

Ouvrit l'oreille : il fut l'époux.
Un rat! un rat: c'est de ces coups
Qu'Amour fait; témoin telle et telle.
Mais ceci soit dit entre nous.

On tient toujours du lieu dont on vient. Cette fable
Prouve assez bien ce point: mais, à la voir de près
Quelque peu de sophisme entre parmi ses traits :
Car quel époux n'est point au Soleil préférable
En s'y prenant ainsi? Dirai-je qu'un géant
Est moins fort qu'une puce? elle le mord pourtant.
Le rat devoit aussi renvoyer, pour bien faire,
La belle au chat, le chat au chien,
Le chien au loup. Par le moyen
De cet argument circulaire,

Pilpay jusqu'au Soleil eût enfin remonté;
Le Soleil eût joui de la jeune beauté.
Revenons, s'il se peut, à la métempsycose:
Le sorcier du bramin fit sans doute une chose
Qui, loin de la prouver, fait voir sa fausseté.
Je prends droit là-dessus contre le bramin même;
Car il faut, selon son système,

Que l'homme, la souris, le ver, enfin chacun
Aille puiser son âme en un trésor commun :
Toutes sont donc de même trempe;

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