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Et ce dernier en sa route

Nous vient du seul Jupiter.

FABLE XXI. Le Faucon et le Chapon.

Une traîtresse voix bien souvent vous appelle;
Ne vous pressez donc nullement:

Ce n'étoit pas un sot, non, non, et croyez-m'en,
Que le chien de Jean de Nivelle1.

Un citoyen du Mans, chapon de son métier,
Étoit sommé de comparoître.

Par-devant les lares du maître,

Au pied d'un tribunal que nous nommons foyer.
Tous les gens lui crioient, pour déguiser la chose :
<< Petit, petit, petit!» mais, loin de s'y fier,
Le Normand et demi laissoit les gens crier.
« Serviteur, disoit-il; votre appât est grossier :
On ne m'y tient pas; et pour cause. »
Cependant un faucon sur sa perche voyoit
Notre Manseau qui s'enfuyoit..

Les chapons ont en nous fort peu de confiance,
Soit instinct, soit expérience.

Celui-ci, qui ne fut qu'avec peine attrapé,
Devoit, le lendemain, être d'un grand soupé,
Fort à l'aise en un plat : honneur dont la volaille
Se seroit passée aisément.

L'oiseau chasseur lui dit : « Ton

peu

d'entendement Me rend tout étonné. Vous n'êtes que racaille, Gens grossiers, sans esprit, à qui l'on n'apprend rien. Pour moi, je sais chasser, et revenir au maître.

1. « Qui s'en va quand on l'appelle. La Fontaine prend le proverbe dans le sens qu'on lui donne ordinairement; mais en voici l'origine : Dans la guerre entre Louis XI et le duc de Bourgogne, le duc de Montmorency somma son fils Jean de Nivelle, qui était alors en Flandre, de venir se battre pour le roi Louis; et ce chien de Jean de Nivelle ne vint pas.

Le vois-tu pas à la fenêtre?

Il t'attend: es-tu sourd?-Je n'entends que trop bien,
Repartit le chapon: mais que me veut-il dire?
Et ce beau cuisinier armé d'un grand couteau?
Reviendrois-tu pour cet appeau?
Laisse-moi fuir; cesse de rire

De l'indccilité qui me fait envoler

Lorsque d'un ton si doux on s'en vient m'appeler.
Si tu voyois mettre à la broche

Tous les jours autant de faucons
Que j'y vois mettre de chapons,
Tu ne me ferois pas un semblable reproche.

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Quatre animaux divers, le chat grippe-fromage,
Triste oiseau le hibou, ronge-maille le rat,
Dame belette au long corsage,
Toutes gens d'esprit scélérat,

Hantoient le tronc pourri d'un pin vieux et sauvage.
Tant y furent qu'un soir à l'entour de ce pin
L'homme tendit ses rets. Le chat, de grand matin,
Sort pour aller chercher sa proie.

Les derniers traits de l'ombre empêchent qu'il ne voie
Le filet: il y tombe, en danger de mourir;

Et mon chat de crier; et le rat d'accourir :
L'un plein de désespoir, et l'autre plein de joie;
Il voyoit dans les lacs son mortel ennemi.
Le pauvre chat dit : « Cher ami,
Les marques de ta bienveillance
Sont communes en mon endroit;
Viens m'aider à sortir du piége où l'ignorance
M'a fait tomber. C'est à bon droit

Que seul entre les tiens, par amour singulière,
Je t'ai toujours choyé, t'aimant comme mes yeux.
Je n'en ai point regret, et j'en rends grâce aux dieux.
J'allois leur faire ma prière,

Comme tout dévot chat en use les matins.

Ce réseau me retient ma vie est en tes mains, Viens dissoudre ces nœuds.Et quelle récompense En aurai-je? reprit le rat.

Je jure éternelle alliance

Avec toi, repartit le chat.

Dispose de ma griffe, et sois en assurance :
Envers et contre tous je te protégerai;
Et la belette mangerai

Avec l'époux de la chouette:

Ils t'en veulent tous deux. » Le rat dit : « Idiot!
Moi ton libérateur! je ne suis pas si sot. »
Puis il s'en va vers sa retraite :

La belette étoit près du trou.

Le rat grimpe plus haut; il y voit le hibou.
Dangers de toutes parts: le plus pressant l'emporte.
Ronge-maille retourne au chat, et fait en sorte
Qu'il détache un chaînon, puis un autre, et puis tant
Qu'il dégage enfin l'hypocrite.
L'homme paroît en cet instant;

Les nouveaux alliés prennent tous deux la fuite.
A quelque temps de là, notre chat vit de loin
Son rat qui se tenoit alerte et sur ses gardes :
« Ah! mon frère, dit-il, viens m'embrasser; ton soin
Me fait injure; tu regardes

Comme ennemi ton allié.
Penses-tu que j'aie oublié

Qu'après Dieu je te dois la vie?
- Et moi, reprit le rat, penses-tu que j'oublie
Ton naturel? Aucun traité

Peut-il forcer un chat à la reconnoissance?
S'assure-t-on sur l'alliance

Qu'a faite la nécessité? »

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Un torrent tomboit des montagnes :
Tout fuyoit devant lui; l'horreur suivoit ses pas;
Il faisoit trembler les campagnes.
Nul voyageur n'osoit passer
Une barrière si puissante :

Un seul vit des voleurs; et, se sentant presser,
Il mit entre eux et lui cette onde menaçante.
Ce n'étoit que menace et bruit sans profondeur :
Notre homme enfin n'eut que la

Ce succès lui donnant courage,

peur.

Et les mêmes voleurs le poursuivant toujours,
Il rencontra sur son passage
Une rivière dont le cours,

Image d'un sommeil doux, paisible et tranquille,
Lui fit croire d'abord ce trajet fort facile :
Point de bords escarpés, un sable pur et net.
Il entre; et son cheval le met

A couvert des voleurs, mais non de l'onde noire :
Tous deux au Styx allèrent boire;
Tous deux, à nager malheureux,

Allèrent traverser, au séjour ténébreux,
Bien d'autres fleuves que les nôtres.

Les gens sans bruit sont dangereux;
Il n'en est pas ainsi des autres.

FABLE XXIV. —L'Éducation.

Laridon et César, frères dont l'origine

Venoit de chiens fameux, beaux, bien faits et hardis,
A deux maîtres divers échus au temps jadis,
Hantoient, l'un les forêts, et l'autre la cuisine.
Ils avoient eu d'abord chacun un autre nom;
Mais la diverse nourriture

Fortifiant en l'un cette heureuse nature,
En l'autre l'altérant, un certain marmiton
Nomma celui-ci Laridon.

Son frère, ayant couru mainte haute aventure,
Mis maint cerf aux abois, maint sanglier abattu,
Fut le premier César que la gent chienne ait eu.
On eut soin d'empêcher qu'une indigne maîtresse
Ne fit en ses enfans dégénérer son sang.
Laridon, négligé, témoignoit sa tendresse
A l'objet le premier passant.

Il peupla tout de son engeance :
Tourne-broches par lui rendus communs en Franco
Y font un corps à part, gens fuyant les hasards,
Peuple antipode des Césars.

On ne suit pas toujours ses aïeux ni son père :
Le peu de soin, le temps, tout fait qu'on dégénèrc.
Faute de cultiver la nature et ses dons,

Oh! combien de Césars deviendront Laridons!

FABLE XXV. — Les deux Chiens et l'Ane mort.

Les vertus devroient être sœurs,
Ainsi que les vices sont frères.

Dès que l'un de ceux-ci s'empare de nos cœurs,
Tous viennent à la file; il ne s'en manque guères :
J'entends de ceux qui, n'étant pas contraires,
Peuvent loger sous même toit.

A l'égard des vertus, rarement on les voit
Toutes en un sujet éminemment placées
Se tenir par la main sans être dispersées.

L'un est vaillant, mais prompt; l'autre est prudent, mais froid.
Parmi les animaux, le chien se pique d'être

Soigneux et fidèle à son maître;

Mais il est sot, il est gourmand;

Témoin ces deux mâtins qui, dans l'éloignement,
Virent un âne mort qui flottoit sur les ondes.

Le vent de plus en plus l'éloignoit de nos chiens.

«

Ami, dit l'un, tes yeux sont meilleurs que les miens :

Porte un peu tes regar's sur ces plaines profondes;

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