D'attendre que ton maître ait fini son sommeil ;
Car il te donnera sans faute à son réveil
Ta portion accoutumée :
Il ne sauroit tarder beaucoup. »
Sur ces entrefaites un loup
Sort du bois, et s'en vient: autre bête affamée. L'âne appelle aussitôt le chien à son secours. Le chien ne bouge, et dit : « Ami, je te conseille De fuir en attendant que ton maître s'éveille; Il ne sauroit tarder : détale vite, et cours. Que si ce loup t'atteint, casse-lui la mâchoire : On t'a ferré de neuf; et, si tu me veux croire, Tu l'étendras tout plat. Pendant ce beau discours, Seigneur loup étrangla le baudet sans remède.
Je conclus qu'il faut qu'on s'entr'aide.
Un marchand grec en certaine contrée Faisoit trafic. Un bassa l'appuyoit; De quoi le Grec en bassa le payoit, Non en marchand: tant c'est chère denrée Qu'un protecteur! Celui-ci coûtoit tant Que notre Grec s'alloit partout plaignant. Trois autres Turcs, d'un rang moindre en puissance, Lui vont offrir leur support en commun. Eux trois vouloient moins de reconnoissance Qu'à ce marchand il n'en coûtoit pour un. Le Grec écoute; avec eux il s'engage, Et le bassa du tout est averti :
Même on lui dit qu'il jouera, s'il est sage, A ces gens-là quelque méchant parti, Les prévenant, les chargeant d'un message Pour Mahomet, droit en son paradis, Et sans tarder; sinon ces gens unis Le préviendront, bien certains qu'à la ronde
Il a des gens tout prêts pour le Quelque poison l'enverra protéger Les trafiquans qui sont en l'autre monde. Sur cet avis le Turc se comporta
Comme Alexandre; et, plein de confiance, Chez le marchand tout droit il s'en alla, Se mit à table. On vit tant d'assurance En ses discours et dans tout son maintien, Qu'on ne crut point qu'il se doutât de rien. Ami, dit-il, je sais que tu me quittes; Même l'on veut que j'en craigne les suites; Mais je te crois un trop homme de bien; Tu n'as point l'air d'un donneur de breuvage. Je n'en dis pas là-dessus davantage; Quant à ces gens qui pensent t'appuyer, Écoute-moi sans tant de dialogue Et de raisons qui pourroient t'ennuyer, Je ne te veux conter qu'un apologue.
Il étoit un berger, son chien, et son troupeau. Quelqu'un lui demanda ce qu'il prétendoit faire D'un dogue de qui l'ordinaire
Étoit un pain entier. Il falloit bien et beau Donner cet animal au seigneur du village. Lui, berger, pour plus de ménage, Auroit deux ou trois mâtineaux,
Qui, lui dépensant moins, veilleroient aux troupeaux Bien mieux que cette bête seule.
Il mangeoit plus que trois; mais on ne disoit pas Qu'il avoit aussi triple gueule,
Quand les loups livroient des combats. Le berger s'en défait; il prend trois chiens de taille A lui dépenser moins, mais à fuir la bataille. Le troupeau s'en sentit; et tu te sentiras
Du choix de semblable canaille.
Si tu fais bien, tu reviendras à moi. » Ee Grec le crut.
Ceci montre aux provinces Que, tout compté, mieux vaut en bonne foi S'abandonner à quelque puissant roi
Que s'appuyer de plusieurs petits princes.
L'avantage de la Science.
Entre deux bourgeois d'une ville S'émut jadis un différend: L'un étoit pauvre, mais habile; L'autre, riche, mais ignorant. Celui-ci sur son concurrent Vouloit emporter l'avantage; Prétendoit que tout homme sage Étoit tenu de l'honorer.
C'étoit tout homme sot: car pourquoi révércr Des biens dépourvus de mérite? La raison m'en semble petite. « Mon ami, disoit-il souvent Au savant,
Vous vous croyez considérable :
Mais, dites-moi, tenez-vous table?
Que sert à vos pareils de lire incessamment? Ils sont toujours logés à la troisième chambre, Vêtus au mois de juin comme au mois de décembre, Ayant pour tout laquais leur ombre seulement. La république a bien affaire
De gens qui ne dépensent rien!
Je ne sais d'homme nécessaire
Que celui dont le luxe épand beaucoup de bien. Nous en usons, Dieu sait! Notre plaisir occupe L'artisan, le vendeur, celui qui fait la jupe, Et celle qui la porte, et vous, qui dédiez
A messieurs les gens de finance De méchans livres bien payés. Ces mots remplis d'impertinence Eurent le sort qu'ils méritoient.
L'homme lettré se tut, il avoit trop à dire. La guerre le vengea bien mieux qu'une satire. Mars détruisit le lieu que nos gens habitoient : L'un et l'autre quitta sa ville. L'ignorant resta sans asile;
Il reçut partout des mépris : L'autre reçut partout quelque faveur nouvelle. Cela décida leur querelle.
Laissez dire les sots: le savoir a son prix.
Jupiter et les Tonnerres.
Jupiter, voyant nos fautes, Dit un jour, du haut des airs : Remplissons de nouveaux hôtes
Les cantons de l'univers
Habités par cette race Qui m'importune et me lasse. Va-t'en, Mercure, aux enfers; Amène-moi la Furie
La plus cruelle des trois. Race que j'ai trop chérie, Tu périras cette fois! >> Jupiter ne tarda guère
A modérer son transport. O vous, rois, qu'il voulut faire Arbitres de notre sort, Laissez, entre la colère Et l'orage qui la suit, L'intervalle d'une nuit.
Le dieu dont l'aile est légère Et la langue a des douceurs, Alla voir les noires sœurs. A Tisiphone et Mégère Il préféra, ce dit-on,
L'impitoyable Alecton. Ce choix la rendit si fière Qu'elle jura par Pluton Que toute l'engeance humaine Seroit bientôt du domaine Des déités de là-bas. Jupiter n'approuva pas Le serment de l'Euménide. Il la renvoie; et pourtant Il lance un foudre à l'instant Sur certain peuple perfide. Le tonnerre, ayant pour guide Le père même de ceux Qu'il menaçoit de ses feux, Se contenta de leur crainte; Il n'embrasa que l'enceinte D'un désert inhabité; Tout père frappe à côté. Qu'arriva-t-il? Notre engeance Prit pied sur cette indulgence. Tout l'Olympe s'en plaignit; Et l'assembleur de nuages Jura le Styx, et promit De former d'autres orages: Ils seroient sûrs. On sourit; On lui dit qu'il étoit père, Et qu'il laissât, pour le mieux, A quelqu'un des autres dieux D'autres tonnerres à faire. Vulcain entreprit l'affaire. Ce dieu remplit ses fourneaux De deux sortes de carreaux: L'un jamais ne se fourvoie; Et c'est celui que toujours L'Olympe en corps nous envoie. L'autre s'écarte en son cours;
Ce n'est qu'aux monts qu'il en coûte, Bien souvent même il se perd;
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