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D'aucun de ses ballots; le Sort l'en affranchit.
Sur tous ses compagnons Atropos et Neptune
Recueillirent leurs droits, tandis que la Fortune
Prenoit soin d'amener son marchand à bon port.
Facteurs, associés, chacun lui fut fidèle.
Il vendit son tabac, son sucre, sa cannelle
Ce qu'il voulut, sa porcelaine encor:
Le luxe et la folie enflèrent son trésor;
Bref, il plut dans son escarcelle.

On ne parloit chez lui que par doubles ducats;
Et mon homme d'avoir chiens, chevaux et carrosses;
Ses jours de jeûne étoient des noces.
Un sien ami, voyant ces somptueux repas,

Lui dit : « Et d'où vient donc un si bon ordinaire?

- Et d'où me viendroit-il que de mon savoir-faire?
Je n'en dois rien qu'à moi, qu'à mes soins, qu'au talent
De risquer à propos et bien placer l'argent.
Le profit lui semblant une fort douce chose,
Il risqua de nouveau le gain qu'il avoit fait.
Mais rien, pour cette fois, ne lui vint à souhait.
Son imprudence en fut la cause :

Un vaisseau mal frété périt au premier vent;
Un autre, mal pourvu des armes nécessaires,
Fut enlevé par les corsaires;

Un troisième au port arrivant,

Rien n'eut cours ni débit : le luxe et la folie
N'étoient plus tels qu'auparavant.
Enfin, ses facteurs le trompant,

Et lui-même ayant fait grand fracas, chère lie,
Mis beaucoup en plaisirs, en bâtimens beaucoup,
Il devint pauvre tout d'un coup.

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Son ami, le voyant en mauvais équipage,
Lui dit : « D'où vient cela? - De la Fortune, hélas!
Consolez-vous, dit l'autre ; et, s'il ne lui plaît pas
Que vous soyez heureux, tout au moins soyez sage.

Je ne sais s'il crut ce conseil :

Mais je sais que chacun impute, en cas pareil,

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Son bonheur à son industrie;
Et si de quelque échec notre faute est suivie,
Nous disons injures au Sort:
Chose n'est ici plus commune.

Le bien, nous le faisons; le mal, c'est la Fortune:
On a toujours raison, le Destin toujours tort.

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C'est souvent du hasard que naît l'opinion;
Et c'est l'opinion qui fait toujours la vogue.
Je pourrois fonder ce prologue

Sur gens de tous états: tout est prévention,
Cabale, entêtement; point ou peu de justice.
C'est un torrent: qu'y faire? il faut qu'il ait son cours :
Cela fut, et sera toujours.

Une femme, à Paris, faisoit la pythonisse:
On l'alloit consulter sur chaque événement.
Perdoit-on un chiffon, avoit-on un amant,
Un mari vivant trop au gré de son épouse,
Une mère fâcheuse, une femme jalouse;
Chez la devineuse on couroit

Pour se faire annoncer ce que l'on désiroit.
Son fait consistoit en adresse :

Quelques termes de l'art, beaucoup de hardiesse,
Du hasard quelquefois, tout cela concouroit,
Tout cela bien souvent faisoit crier miracle.
Enfin, quoique ignorante à vingt et trois carats,
Elle passoit pour un oracle.
L'oracle étoit logé dedans un galetas :

Là, cette femme emplit sa bourse,
Et, sans avoir d'autre ressource,

Gagne de quoi donner un rang à son mari,
Elle achète un office, une maison aussi.
Voilà le galetas rempli

D'une nouvelle hôtesse, à qui toute la villo.

Femmes, filles, valets, gros messieurs, tout enfin
Alloit, comme autrefois, demander son destin;
Le galetas devint l'antre de la sibylle :

L'autre femelle avoit achalandé ce lieu.

Cette dernière femme eut beau faire, eut beau dire,

«

<< Moi devine! on se moque: eh! messieurs, sais-je lire?
« Je n'ai jamais appris que ma croix de par Dieu. »
Point de raisons: fallut deviner et prédire,
Mettre à part force bons ducats,

Et gagner malgré soi plus que deux avocats.
Le meuble et l'équipage aidoient fort à la chose :
Quatre siéges boiteux, un manche de balai,
Tout sentoit son sabbat et sa métamorphose.
Quand cette femme auroit dit vrai

Dans une chambre tapissée,

On s'en seroit moqué : la vogue étoit passée
Au galetas; il avoit le crédit.
L'autre femme se morfondit.

L'enseigne fait la chalandise.

J'ai vu dans le palais une robe mal mise
Gagner gros les gens l'avoient prise
Pour maître tel, qui traînoit après soi
Force écoutans. Demandez-moi pourquoi.

FABLE XVI. Le Chat, la Belette, et le petit Lapin.

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Du palais d'un jeune lapin

Dame belette, un beau matin,
S'empara : c'est une rusée.

Le maître étant absent, ce lui fut chose aisée.
Elle porta chez lui ses pénates, un jour
Qu'il étoit allé faire à l'aurore sa cour
Parmi le thym et la rosée.

Après qu'il eut brouté, trotté, fait tous ses tours,
Jeannot lapin retourne aux souterrains séjours.
La belette avoit mis le nez à la fenêtre.

« O dieux hospitaliers! que vois-je ici paroître!
Dit l'animal chassé du paternel logis.
Holà! madame la belette,

Que l'on déloge sans trompette,

Ou je vais avertir tous les rats du pays. »
La dame au nez pointu répondit que la terre
Étoit au premier occupant.
C'étoit un beau sujet de guerre

Qu'un logis où lui-même il n'entroit qu'en rampant!
« Et quand ce seroit un royaume,
Je voudrois bien savoir, dit-elle, quelle loi
En a pour toujours fait l'octroi

A Jean, fils ou neveu de Pierre ou de Guillaume,
Plutôt qu'à Paul, plutôt qu'à moi. »

Jean lapin allégua la coutume et l'usage:

« Ce sont, dit-il, leurs lois qui m'ont de ce logis
Rendu maître et seigneur, et qui, de père en fils,
L'ont de Pierre à Simon, puis à moi Jean, transmis.
Le premier occupant, est-ce une loi plus sage?
-Or bien, sans crier davantage,
Rapportons-nous, dit-elle, à Raminagrobis.
C'étoit un chat vivant comme un dévot ermite,
Un chat faisant la chattemite,

Un saint homme de chat, bien fourré, gros et gras,
Arbitre expert sur tous les cas.
Jean lapin pour juge l'agrée.
Les voilà tous deux arrivés

Devant sa majesté fourrée.

Grippeminaud leur dit : « Mes enfans, approchez, Approchez; je suis sourd, les ans en sont la cause. » L'un et l'autre approcha, ne craignant nulle chose. Aussitôt qu'à portée il vit les contestans,

Grippeminaud le bon apôtre,

Jetant des deux côtés la griffe en même temps,
Mit les plaideurs d'accord en croquant l'un et l'autre.
Ceci ressemble fort aux débats qu'ont parfois
Les petits souverains se rapportant aux rois.

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Le serpent a deux parties
Du genre humain ennemies,
Tête et queue; et toutes deux
Ont acquis un nom fameux
Auprès des Parques cruelles :
Si bien qu'autrefois entre elles
Il survint de grands débats
Pour le pas.

La tête avoit toujours marché devant la queue.
La queue au ciel se plaignit
Et lui dit :

« Je fais mainte et mainte lieue
Comme il plaît à celle-ci :

Croit-elle que toujours j'en veuille user ainsi?
Je suis son humble servante.

On m'a faite, Dieu merci,
Sa sœur, et non sa suivante.
Toutes deux de même sang,
Traitez-nous de même sorte :
Aussi bien qu'elle je porte
Un poison prompt et puissant.
Enfin, voilà ma requête :
C'est à vous de commander
Qu'on me laisse précéder,

A mon tour, ma sœur la tête.
Je la conduirai si bien

Qu'on ne se plaindra de rien. »

Le ciel eut pour ses vœux une bonté cruelle.
Souvent sa complaisance a de méchans effets.
Il devroit être sourd aux aveugles souhaits.
Il ne le fut pas lors; et la guide nouvelle,
Qui ne voyoit, au grand jour,
Pas plus clair que dans un four,
Donnoit tantôt contre un marbre,
Contre un passant, contre un arbre :

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