Nous faisons cas du beau, nous méprisons l'utile; Ce cerf blâme ses pieds qui le rendent agile; Rien ne sert de courir; il faut partir à point : « Gageons, dit celle-ci, que vous n'atteindrez point Sitôt moi ce but. Sitôt! êtes-vous sage? que Repartit l'animal léger : Ma commère, il vous faut purger Sage ou non, je parie encore. » Ainsi fut fait, et de tous deux Ayant, dis-je, du temps de reste pour brouter, D'où vient le vent, il laisse la tortue Elle part, elle s'évertue; Elle se hâte avec lenteur. Lui cependant méprise une telle victoire, Qu'à la gageure. A la fin, quand il vit Que l'autre touchoit presque au bout de la carrière, Il partit comme un trait; mais les élans qu'il fit Moi l'emporter! et que seroit-ce L'âne d'un jardinier se plaignoit au Destin Et pourquoi? pour porter des herbes au marché! Lui donne un autre maître; et l'animal de somme J'attrapois, s'il m'en souvient bien, Quelque morceau de chou qui ne me coûtoit rien : Mais ici point d'aubaine, ou, si j'en ai quelqu'une, C'est de coups. Il obtint changement de fortune; Et sur l'état d'un charbonnier Il fut couché tout le dernier. Autre plainte. Quoi donc! dit le Sort en colère. Ce baudet-ci m'occupe autant Que cent monarques pourroient faire! Croit-il être le seul qui ne soit pas content? N'ai-je en l'esprit que son affaire? » Le Sort avoit raison. Tous gens sont ainsi faits : Notre condition jamais ne nous contente; La pire est toujours la présente. Nous fatiguons le ciel à force de placets. Qu'à chacun Jupiter accorde sa requête, Nous lui romprons encor la tête. FABLE XII. Le Soleil et les Grenouilles. Aux noces d'un ryran tout le peuple en liesse Esope seul trouvoit que les gens étoient sots Le Soleil, disoit-il, eut dessein autrefois Aussitôt on ouït, d'une commune voix, Les citoyennes des étangs. Que ferons-nous s'il lui vient des enfans? Dirent-elles au Sort: un seul Soleil à peine Se peut souffrir;'une demi-douzaine Mettra la mer à sec et tous ses habitans. Adieu joncs et marais : notre race est détruite; Bientôt on la verra réduite A l'eau du Styx. » Pour un pauvre animal, Grenouilles, à mon sens, ne raisonnoient pas mal. Le Villageois et le Serpent. Ésope conte qu'un manant, A l'entour de son héritage, Aperçut un serpent sur la neige étendu, N'ayant pas à vivre un quart d'heure. Le villageois le prend, l'emporte en sa demeure; Et, sans considérer quel sera le loyer Il l'étend le long du foyer, Le réchauffe, le ressuscite. L'animal engourdi sent à peine le chaud, Que l'âme lui revient avecque la colère. Il lève un peu la tête, et puis siffle aussitôt ; Puis fait un long repli, puis tâche à faire un sau. Contre son bienfaiteur, son sauveur, et son père. Ingrat, dit le manant, voilà donc mon salaire! Tu mourras. » A ces mots, plein d'un juste courroux, Il vous prend sa cognée, il vous tranche la bête; Il fait trois serpents de deux coups, Un tronçon, la queue, et la tête. L'insecte, sautillant, cherche à se réunir; Mais il ne put y parvenir. Un d'eux en dit cette raison : « Les pas empreints sur la poussière Par ceux qui s'en vont faire au malade leur cour, FABLE XV. L'Oiseleur, l'Autour, et l'Alouette Les injustices des pervers Servent souvent d'excuse aux nôtres. Telle est la loi de l'univers : Si tu veux qu'on t'épargne, épargne aussi les autres Un manant au miroir prenoit des oisillons. Sur celle qui chantoit, quoique près du tombeau, Lorsque, se rencontrant sous la main de l'oiseau, Pendant qu'à la plumer l'autour est occupé, ע L'oiseleur repartit : « Ce petit animal D |