Page images
PDF
EPUB

Nous faisons cas du beau, nous méprisons l'utile;
Et le beau souvent nous détruit.

Ce cerf blâme ses pieds qui le rendent agile;
Il estime un bois qui lui nuit.

[blocks in formation]

Rien ne sert de courir; il faut partir à point :
Le lièvre et la tortue en sont un témoignage.

«

Gageons, dit celle-ci, que vous n'atteindrez point Sitôt moi ce but. Sitôt! êtes-vous sage?

que

Repartit l'animal léger :

Ma commère, il vous faut purger
Avec quatre grains d'ellébore.

Sage ou non, je parie encore. »

Ainsi fut fait, et de tous deux
On mit près du but les enjeux.
Savoir quoi, ce n'est pas l'affaire,
Ni de quel juge l'on convint.
Notre lièvre n'avoit que quatre pas à faire;
J'entends de ceux qu'il fait lorsque, près d'être atteint,
Il s'éloigne des chiens, les renvoie aux calendes,
Et leur fait arpenter les landes.

Ayant, dis-je, du temps de reste pour brouter,
Pour dormir, et pour écouter

D'où vient le vent, il laisse la tortue
Aller son train de sénateur.

Elle part, elle s'évertue;

Elle se hâte avec lenteur.

Lui cependant méprise une telle victoire,
Tient la gageure à peu de gloire,
Croit qu'il y va de son honneur
De partir tard. Il broute, il se repose;
Il s'amuse à tout autre chose

Qu'à la gageure. A la fin, quand il vit

Que l'autre touchoit presque au bout de la carrière,

Il partit comme un trait; mais les élans qu'il fit
Furent vains: la tortue arriva la première.
Eh bien! lui cria-t-elle, avois-je pas raison?
De quoi vous sert votre vitesse?

Moi l'emporter! et que seroit-ce
Si vous portiez une maison? »

[blocks in formation]

L'âne d'un jardinier se plaignoit au Destin
De ce qu'on le faisoit lever devant l'aurore.
Les coqs, lui disoit-il, ont beau chanter matin,
Je suis plus matineux encore.

Et pourquoi? pour porter des herbes au marché!
Belle nécessité d'interrompre mon somme! »
Le Sort, de sa plainte touché,

Lui donne un autre maître; et l'animal de somme
Passe du jardinier aux mains d'un corroyeur.
La pesanteur des peaux et leur mauvaise odeur
Eurent bientôt choqué l'impertinente bête.
« J'ai regret, disoit-il, à mon premier seigneur :
Encor, quand il tournoit la tête,

J'attrapois, s'il m'en souvient bien,

Quelque morceau de chou qui ne me coûtoit rien : Mais ici point d'aubaine, ou, si j'en ai quelqu'une, C'est de coups. Il obtint changement de fortune; Et sur l'état d'un charbonnier

Il fut couché tout le dernier.

[ocr errors]

Autre plainte. Quoi donc! dit le Sort en colère. Ce baudet-ci m'occupe autant

Que cent monarques pourroient faire! Croit-il être le seul qui ne soit pas content? N'ai-je en l'esprit que son affaire? »

Le Sort avoit raison. Tous gens sont ainsi faits : Notre condition jamais ne nous contente;

La pire est toujours la présente. Nous fatiguons le ciel à force de placets. Qu'à chacun Jupiter accorde sa requête, Nous lui romprons encor la tête.

FABLE XII.

Le Soleil et les Grenouilles.

Aux noces d'un ryran tout le peuple en liesse
Noyoit son souci dans les pots.

Esope seul trouvoit que les gens étoient sots
De témoigner tant d'allégresse.

Le Soleil, disoit-il, eut dessein autrefois
De songer à l'hyménée.

Aussitôt on ouït, d'une commune voix,
Se plaindre de leur destinée

Les citoyennes des étangs.

Que ferons-nous s'il lui vient des enfans? Dirent-elles au Sort: un seul Soleil à peine Se peut souffrir;'une demi-douzaine Mettra la mer à sec et tous ses habitans. Adieu joncs et marais : notre race est détruite; Bientôt on la verra réduite

A l'eau du Styx. » Pour un pauvre animal, Grenouilles, à mon sens, ne raisonnoient

pas mal.

[blocks in formation]

Le Villageois et le Serpent.

Ésope conte qu'un manant,
Charitable autant que peu sage,
Un jour d'hiver se promenant

A l'entour de son héritage,

Aperçut un serpent sur la neige étendu,
Transi, gelé, perclus, immobile, rendu,

N'ayant pas à vivre un quart d'heure.

Le villageois le prend, l'emporte en sa demeure;

Et, sans considérer quel sera le loyer
D'une action de ce mérite,

Il l'étend le long du foyer,

Le réchauffe, le ressuscite. L'animal engourdi sent à peine le chaud, Que l'âme lui revient avecque la colère. Il lève un peu la tête, et puis siffle aussitôt ; Puis fait un long repli, puis tâche à faire un sau. Contre son bienfaiteur, son sauveur, et son père. Ingrat, dit le manant, voilà donc mon salaire! Tu mourras. » A ces mots, plein d'un juste courroux, Il vous prend sa cognée, il vous tranche la bête; Il fait trois serpents de deux coups, Un tronçon, la queue, et la tête. L'insecte, sautillant, cherche à se réunir; Mais il ne put y parvenir.

[merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small]

Un d'eux en dit cette raison :

« Les pas empreints sur la poussière

Par ceux qui s'en vont faire au malade leur cour,
Tous, sans exception, regardent sa tanière,
Pas un ne marque de retour:
Cela nous met en méfiance.
Que sa majesté nous dispense :
Grand merci de son passe-port.
Je le crois bon : mais dans cet antre
Je vois fort bien comme l'on entre,
Et ne vois pas comme on en sort. »

FABLE XV. L'Oiseleur, l'Autour, et l'Alouette

Les injustices des pervers

Servent souvent d'excuse aux nôtres.

Telle est la loi de l'univers :

Si tu veux qu'on t'épargne, épargne aussi les autres

Un manant au miroir prenoit des oisillons.
Le fantôme brillant attire une alouette:
Aussitôt un autour, planant sur les sillons,
Descend des airs, fond et se jette

Sur celle qui chantoit, quoique près du tombeau,
Elle avoit évité la perfide machine,

Lorsque, se rencontrant sous la main de l'oiseau,
Elle sent son ongle maline.

Pendant qu'à la plumer l'autour est occupé,
Lui-même sous les rets demeure enveloppé :
«Oiseleur, laisse-moi, dit-il en son langage;
Je ne t'ai jamais fait de mal.

ע

L'oiseleur repartit : « Ce petit animal
T'en avoit-il fait davantage?

D

« PreviousContinue »