Le monarque prudent et sage
De ses moindres sujets sait tirer quelque usage, Et connoît les divers talens.
Il n'est rien d'inutile aux personnes de sens.
Mais qu'ils tueroient bientôt, du moins à ce qu'ils dirent. C'étoit le roi des ours au compte de ces gens : Le marchand à sa peau devoit faire fortune; Elle garantiroit des froids les plus cuisans; On en pourroit fourrer plutôt deux robes qu'une. Dindenau' prisoit moins ses moutons qu'eux leur ours : Leur, à leur compte, et non à celui de la bête. S'offrant de la livrer au plus tard dans deux jours, Ils conviennent de prix, et se mettent en quête, Trouvent l'ours qui s'avance et vient vers eux au trot. Voilà mes gens frappés comme d'un coup de foudre. Le marché ne tint pas; il fallut le résoudre : D'intérêts contre l'ours, on n'en dit pas un mot. L'un des deux compagnons grimpe au faite d'un arbre L'autre, plus froid que n'est un marbre,
Se couche sur le nez, fait le mort, tient son vent, Ayant quelque part ouï dire
Que l'ours s'acharne peu souvent
Sur un corps qui ne vit, ne meut, ni ne respire. Seigneur ours, comme un sot, donna dans ce panneau : Il voit ce corps gisant, le croit privé de vie;
Et, de peur de supercherie,
Le tourne, le retourne, approche son museau, Flaire aux passages de l'haleine.
C'est, dit-il, un cadavre; ôtons-nous, car il sent. »
1. Marchand de moutons dans Rabelais.
A ces mots, l'ours s'en va dans la forêt prochaine. L'un de nos deux marchands de son arbre descend, Court à son compagnon, lui dit que c'est merveille Qu'il n'ait eu seulement que la peur pour tout mal. Eh bien! ajouta-t-il, la peau de l'animal? Mais que t'a-t-il dit à l'oreille?
Car il t'approchoit de bien près, Te retournant avec sa serre. - Il m'a dit qu'il ne faut jamais
Vendre la peau de l'ours qu'on ne l'ait mis par terre. »
L'Ane vêtu de la peau du Lion.
du lion l'âne s'étant vêtu
Étoit craint partout à la ronde; Et bien qu'animal sans vertu,
Il faisoit trembler tout le monde.
Un petit bout d'oreille échappé par malheur Découvrit la fourbe et l'erreur :
Martin fit alors son office.
Ceux qui ne savoient pas la ruse et la malice S'étonnoient de voir que Martin Chassât les lions au moulin.
Force gens font du bruit en France
Par qui cet apologue est rendu familier. Un équipage cavalier
Fait les trois quarts de leur vaillance.
Les fables ne sont pas ce qu'elles semblent être; Le plus simple animal nous y tient lieu de maître. Une morale nue apporte de l'ennui :
Le conte fait passer le précepte avec lui.
En ces sortes de feinte il faut instruire et plaire; Et conter pour conter me semble peu d'affaire. C'est par cette raison qu'égayant leur esprit Nombre de gens fameux en ce genre ont écrit. Tous ont fui l'ornement et le trop d'étendue; On ne voit point chez eux de parole perdue. Phèdre étoit si succinct qu'aucuns l'en ont blâmé; Ésope en moins de mots s'est encore exprimé. Mais sur tous certain Grec renchérit, et se pique D'une élégance laconique;
Il renferme toujours son conte en quatre vers: Bien ou mal, je le laisse à juger aux experts. Voyons-le avec Ésope en un sujet semblable. L'un amène un chasseur, l'autre un pâtre, en sa fable. J'ai suivi leur projet quant à l'événement, Y cousant en chemin quelque trait seulement. Voici comme, à peu près, Ésope le raconte :
Un pâtre, à ses brebis trouvant quelque mécompte, Voulut à toute force attraper le larron.
Il s'en va près d'un antre, et tend à l'environ Des lacs à prendre loups, soupçonnant cette engeance. Avant que partir de ces lieux,
Si tu fais, disoit-il, ô monarque des dieux, Que le drôle à ces lacs se prenne en ma présence, Et que je goûte ce plaisir,
Parmi vingt veaux je veux choisir
Le plus gras, et t'en faire offrande! »
A ces mots sort de l'antre un lion grand et fort;
Le pâtre se tapit, et dit, à demi mort :
• Que l'homme ne sait guère, hélas! ce qu'il demande ! Pour trouver le larron qui détruit mon troupeau, Et le voir en ces lacs pris avant que je parte, O monarque des dieux, je t'ai promis un veau; Je te promets un bœuf si tu fais qu'il s'écarte! »
C'est ainsi que l'a dit le principal auteur: Passons à son imitateur.
FABLE II. Le Lion et le Chasseur.
Un fanfaron, amateur de la chasse, Venant de perdre un chien de bonne race Qu'il soupçonnoit dans le corps d'un lion, Vit un berger. Enseigne-moi, de grâce, De mon voleur, lui dit-il, la maison; Que de ce pas je me fasse raison. » Le berger dit : « C'est vers cette montagne. En lui payant de tribut un mouton Par chaque mois, j'erre dans la campagne Comme il me plaît; et je suis en repos. » Dans le moment qu'ils tenoient ces propos Le lion sort, et vient d'un pas agile. Le fanfaron aussitôt d'esquiver;
O Jupiter, montre-moi quelque asile, S'écria-t-il, qui me puisse sauver! »
La vraie épreuve de courage
N'est que dans le danger que l'on touche du doigt : Tel le cherchoit, dit-il, qui, changeant de langage, S'enfuit aussitôt qu'il le voit.
Borée et le Soleil virent un voyageur
Qui s'étoit muni par bonheur
Contre le mauvais temps. On entroit dans l'automne, Quand la précaution aux voyageurs est bonne : Il pleut, le soleil luit; et l'écharpe d'Iris Rend ceux qui sortent avertis
Qu'en ces mois le manteau leur est fort nécessaire : Les Latins les nommoient douteux, pour cette affaire. Notre homme s'étoit donc à la pluie attendu : Bon manteau bien doublé, bonne étoffe bien forte. « Celui-ci, dit le Vent, prétend avoir pourvu A tous les accidens; mais il n'a pas prévu Que je saurai souffler de sorte
Qu'il n'est bouton qui tienne : il faudra, si je veux, Que le manteau s'en aille au diable.
L'ébattement pourroit nous en être agréable : Vous plaît-il de l'avoir? - Eh bien! gageons nous deux, Dit Phébus, sans tant de paroles,
A qui plus tôt aura dégarni les épaules
Du cavalier que nous voyons.
Commencez : je vous laisse obscurcir mes rayons. » Il n'en fallut pas plus. Notre souffleur à gage de vapeurs, s'enfle comme un ballon, Fait un vacarme de démon,
Siffle, souffle, tempête, et brise en son passage Maint toit qui n'en peut mais, fait périr maint bateau : Le tout au sujet d'un manteau.
Le cavalier eut soin d'empêcher que l'orage Ne se pût engouffrer dedans. Cela le préserva. Le vent perdit son temps; Plus il se tourmentoit, plus l'autre tenoit ferme : Il eut beau faire agir le collet et les plis. Sitôt qu'il fut au bout du terme Qu'à la gageure on avoit mis, Le Soleil dissipe la nue,
Récrée et puis pénètre enfin le cavalier,
« PreviousContinue » |