Page images
PDF
EPUB

FII R52

t.4

190

DICTIONNAIRE

DE

PHYSIOLOGIE

COCAÏNE. - L'étude qui suit comprend trois parties :

I., La première est relative aux propriétés de la cocaïne, envisagées aux points de vue chimique, physique, pharmacologique : elle est complétée par un appendice qui traite des diverses cocaïnes et de la série cocaïnique.

II. La seconde partie a reçu le plus de développement. Elle est consacrée à l'action générale de la cocaïne, c'est-à-dire à l'action que cette substance exerce, lorsque, introduite dans l'organisme, elle a pénétré dans le sang et a été amenée par la circulation au contact des éléments vivants. Ce chapitre se subdivise en quatre articles, consacrés à la physiologie générale, à la physiologie spéciale, à la pathologie et à la pharmacologie thérapeutique.

III. La troisième partie est consacrée à l'action locale de la cocaïne et à son emploi chirurgical.

L'histoire de la cocaïne est de date récente. Elle commence en 1862. Elle se développa surtout entre 1884 et le moment présent. Les nombreux travaux publiés dans ces dernières années ont amené trois espèces de progrès, très appréciables, dans nos connaissances relatives à cet alcaloïde.

En premier lieu, on a résolu un problème physiologique, jusque-là débattu, relatif à la nature de l'action générale produite par cet agent. Jusqu'en 1889, on inclinait à adopter l'opinion de quelques expérimentateurs LABORDE, LAFFONT, ARLOING, BALDI, c'est-à-dire à considérer la cocaïne comme un « curare sensitif, » ou encore comme un poison des seules terminaisons sensitives. Depuis ce moment, les travaux de U. Mosso, ALBERTONI, DANILEWSKI, etc., ont décidément fait pencher la balance d'un autre côté et obligé les physiologistes à ranger la cocaïne parmi les anesthesiques généraux.

En second lieu, on a été mieux éclairé sur les périls de l'absorption de la cocaïne, même à faible dose; et, en conséquence, on a mieux posé les règles de son emploi en chirurgie, pour l'anesthésie locale.

Troisièmement, enfin, on a complété l'étude chimique de cette substance; on a précisé différents points relatifs à son emploi thérapeutique.

[blocks in formation]

1. Origine. Production. — 2. Propriétés de la coca.

3. Découverte de la cocaïne; propriétés qui l'ont fait introduire en médecine: action anesthésiante et vaso-constrictive. 4. Constitution chimique de la cocaïne. 5. Extraction. 6. Sels de la cocaïne. 7. Essai du chlorhydrate de cocaïne. 8. Réactions du chlorhydrate de cocaïne. 9. Son identification; son décel. — 10. Analogies. — 11. Observations préliminaires.

1. Origine. La cocaïne est un alcaloide extrait des feuilles de la coca (Erythroxylon coca, LAMARCK).

La plante est un arbuste, haut de 2 à 3 mètres, à branches rugueuses et rougeâtres, souvent épineuses. Ses feuilles, qui en sont la partie utilisée, présentent à la face infé

DICT. DE PHYSIOLOGIE.

TOME IV.

41390

1

rieure un fuseau orienté suivant l'axe, et de couleur brunâtre. Elles sont alternes, constamment pétiolées, à limbe entier, ovales, à nervation caractéristique, larges dans l'espèce ordinaire (0,45 sur 0,25).

L'Erythroxylon est originaire de l'Amérique du Sud, du Pérou et de la Bolivie. Elle a été introduite en Espagne, à Séville, en 1569, par MONARDES; elle a été décrite en 1749 par DE JUSSIEU et nommée par LAMARCK.

Actuellement, sa culture s'est beaucoup développée en même temps que ses usages. C'est au Pérou et en Bolivie qu'elle est le plus répandue; elle réussit également en plaines basses et humides et en montagnes. La production, annuelle de ces pays atteint, en feuilles, plus de 25 millions de kilogrammes.

La plante est encore cultivée abondamment à Ceylan, à Java, à la Jamaïque et dans les Indes anglaises. Mais il s'agit là, le plus souvent, de variétés qui, à côté de la cocaïne utile (benzoyl-cocaïne), contiennent des homologues plus ou moins utilisables et des alcaloïdes accessoires. Ces variétés sont l'E. coca spruceanum, BURCK, à feuilles étroites, cultivée à Java; l'E. coca bolivianum à larges feuilles exploitée à Ceylan et dans les Indes anglaises; l'E. coca truxillo du Pérou, à feuilles étroites.

NITZBERG a fourni les éléments du tableau suivant qui indique la richesse moyenne des feuilles en cocaïne, suivant l'origine.

[blocks in formation]

-

2o La propriété qui a définitivement appelé l'attention sur la cocaïne, c'est son action sur l'œil. Instillée sur le globe oculaire en solution au centième, à la dose de quatre à dix gouttes, elle en anesthésie la surface. De plus, elle dilate la pupille. C'est KARL KOLLER qui signala ces propriétés au Congrès d'ophtalmologie de Vienne, le 15 septembre 1884. Elles furent constatées presque en même temps, et confirmées aussitôt après, par A. BENSON (de Dublin), KOENIGSTEIN, REUSS et HOCK, JELLINCK. Depuis ce moment, la cocaïne est devenue l'un des plus précieux auxiliaires de la chirurgie oculaire.

3o Son action anesthésiante sur les muqueuses, avec lesquelles elle entre en contact, l'a fait employer dans la médecine et dans la chirurgie spéciale du larynx, du pharynx, de l'oreille, des fosses nasales; en gynécologie et, enfin, en obstétrique. Dans beaucoup de ces applications, c'est son action vaso-constrictive qui joue le rôle principal.

4o Enfin, l'action anesthésiante de la cocaïne dans les tissus, où on la fait pénétrer, lui a ouvert l'accès de la chirurgie ordinaire. Elle y joue le rôle d'un agent remarquable d'insensibilité locale.

Telle est, en abrégé, l'histoire de la cocaïne.

2. Propriétés de la coca. Les habitants de la Bolivie, du Pérou, de la NouvelleGrenade (Colombie), du territoire Argentin, employaient depuis un temps immémorial les feuilles de coca, mâchées avec de la chaux ou avec les cendres alcalines de certaines plantes (lipta), comme excitant et réconfortant, pour supprimer les sensations de fatigue qui accompagnent les longues marches et les dépenses de force considérables, pour atténuer le mal des hauteurs, le terrible Soroché, pour faire disparaître ou rendre supportables les sensations de faim et de soif. Cette opinion des vertus de la coca a pris à notre époque une forme plus scientifique. On a dit que la coca était un anti-déperditif, un aliment d'épargne typique.

En réalité, c'est seulement un excitant, et il offre les seuls avantages des excitants généraux, avec leurs inconvénients. C'est-à-dire qu'à la longue il devient, en définitive, un agent d'épuisement dont l'usage continué conduit à la maigreur excessive, au marasme

et à la ruine physiologique; les vieux coqueros en fournissent un exemple frappant. Incidemment, les chiqueurs de feuilles de coca avaient constaté l'action anesthésique de cette substance sur la muqueuse buccale. Le premier effet qu'ils ressentent, en effet, est une impression de chaleur, puis d'engourdissement de la langue et du pharynx; bientôt après se manifeste une stimulation générale.

3. Découverte de la cocaïne. — Propriétés qui l'ont fait introduire en médecine. — C'est la propriété anesthésique qui a déterminé l'introduction de la cocaïne en médecine. Avec les feuilles de coca, qui d'ailleurs contiennent d'autres substances que la cocaïne vraie, les effets sont complexes et incertains; les usages devaient rester limités. La découverte de l'alcaloide extrait des feuilles permit un emploi rationnel : c'est à partir de ce moment que la cocaïne se répandit.

L'alcaloïde cocaïne a été découvert trois fois, à quelques années d'intervalle. Suivant KNAPP, il aurait été préparé pour la première en 1855, sous le nom d'érythroxyline par GAEDEKE; il aurait été obtenu une seconde fois en 1857 par SAMUEL B. PERCY, de NewYork; mais, en définitive, c'est NIEMANN, élève de WOEHLER, qui, l'ayant préparé de nouveau, le nomma et le fit connaître en 1859.

C'est donc avec l'alcaloïde que l'on observa, de rechef, l'action anesthésiante sur la cavité buccale. SCHROFF (de Vienne), en 1862, aperçut nettement cette propriété. FROHNMÜLLER et PLosz la signalèrent aussi en 1863. MANTEGAZZA, MORENO Y MAïz s'en occupèrent aussi. FAUVEL, à Paris, l'utilisa dans les affections douloureuses du pharynx et du larynx (1878) et il fut suivi dans cette voie par DU CAZAL (1881).

4. Constitution chimique de la cocaïne. La cocaïne répond à la formule totale CH1AZO. (LOSSEN). Son histoire chimique est, par elle-même, infiniment intéressante, indépendamment de toute application. On peut dire avec EINHORN qu'elle est l'éther d'un acide aromatique, comme l'atropine, la vératrine, etc. C'est l'éther méthylique de l'acide benzoyl-ecgonine. Par fixation d'eau (ébullition prolongée), la cocaine en effet se scinde, se saponifie en alcool méthylique et benzoyl-ecgonine.

C17H21 AZO + H2O = CH3OH + C16H19 AzO

Alcool Benzoyl-ecgonine méthylique

celle-ci par nouvelle fixation d'eau (action de l'acide chlorhydrique) donne de l'acide benzoïque et de l'ecgonine.

[blocks in formation]

De telle sorte qu'en définitive, par fixation de deux molécules d'eau, la cocaine se sépare en trois molécules, à savoir: alcool méthylique, acide benzoique, ecgonine. Cette dernière, base de presque tous les alcaloïdes cocaïniques, constitue l'acide tropine-carbonique.

[blocks in formation]

La tropine constitue d'ailleurs le noyau fondamental des alcaloïdes des solanées (atropine, hyoscyamine, duboisine, etc.).

Cette constitution a été vérifiée par voie synthétique. Grâce aux travaux de LOSSEN, LIEBERMANN, GIESEL, MERCK et EINHORN, on a reconstitué la cocaïne au moyen de ses trois composants, alcool méthylique, acide benzoïque, ecgonine. Nous avons besoin de connaître cette constitution et de la retenir, parce qu'elle nous permettra de nous rendre compte des homologies de la cocaïne et des groupements auxquels sont dues ses propriétés. Pour le moment, contentons-nous de considérer la cocaïne véritable, la benzoylcocaine dont il sera uniquement question, à moins d'avis contraire.

Deux mots de ses propriétés.

La cocaïne pure cristallise dans l'alcool, en gros prismes; dans la ligroïne, en belles aiguilles. Elle fond à 98°. Elle est soluble dans le chloroforme, l'éther, l'alcool, la benzine, le toluène, le sulfure de carbone, l'éther acétique. Elle dévie à gauche le plan de polarisation. Son pouvoir rotatoire en solution chloroformique est d'environ 13°.

Exactement [a]D=15°,827 +0.005848 n... n indiquant le pourcentage en chloroforme de la solution; la température étant 20o).

[ocr errors]

La cocaïne est une base. Elle se combine à un équivalent d'acide pour former des sels neutres.

5. Extraction. L'extraction se fait par divers procédés, tous fondés sur les deux traits principaux de la cocaïne au point de vue physico-chimique, à savoir : 1o la basicité de cette substance, dont on profite pour la déplacer par la chaux ou par les alcalis, ou pour la combiner avec un acide, acide sulfurique, acide tartrique, et 2o la solubilité, à l'état d'alcaloïde, dans l'alcool, l'éther, la benzine, le pétrole; et à l'état de sels, dans l'eau et l'alcool.

1o La cocaïne brute est obtenue par le procédé BIGNON. Les feuilles de coca sont pulvérisées : la poudre est humectée par un alcali qui déplace et libère l'alcaloïde, et traitée ensuite par les dissolvants, benzine, pétrole qui l'enlèvent.

2o Le procédé DUQUESNEL est le plus habituel.

Les feuilles sont pulvérisées et traitées par l'alcool, qui dissout à la fois la cocaïne et ses sels habituels. On sépare ensuite l'alcool par distillation. Le résidu (sels organiques et alcaloides) est traité par l'acide tartrique en solution aqueuse concentrée; celui-ci s'empare de l'alcaloide combiné aux acides organiques, et de l'alcaloïde libre. On ajoute de l'eau distillée pour précipiter les impuretés insolubles dans l'eau et qui avaient passé dans l'alcool lors de la première opération (chlorophylle, graisses, résines). On filtre. On évapore doucement. On a la cocaïne à l'état de tartrate.

On décompose ensuite le tartrate par l'ammoniaque et on s'empare de la cocaïne par l'éther. On distille l'éther et l'on fait cristalliser la cocaïne dans l'alcool.

La variété truxillo coca du Pérou, à feuilles étroites, fournit, à côté de la cocaïne ordinaire, la cinnamyl-cocaïne, la cocamine, l'isococamine.

Chlorhydrate de cocaïne.

Les deux autres variétés de Java et des Indes anglaises contiennent également de la cinnamyl-cocaïne, de l'isococamine; et, de plus, celles de Java renfermentde la benzoyl pseudo tropine, de la palmityl-3-amyrine; il y a de la cocétine, dans celle des Indes. Il faut enfin signaler d'autres alcaloïdes qui existent dans la coca de l'Amérique du Sud, l'hygrine, l'homo-cocaïne, l'homo-isococaïne, l'acide cocatannique; de plus, la carotine. 6. Sels de la cocaïne. C'est à l'état de sels que la cocaïne est utilisée. La raison en est simple: c'est que la cocaïne est insoluble en liqueur aqueuse, tandis que la plupart de ses sels sont solubles. Le plus employé est le chlorhydrate de cocaïne, qui répond à la formule C17H21AZO,HCl. Il cristallise à l'état anhydre fond à 201o,5. Il est soluble dans l'eau (une partie dans 0,75 d'eau froide); plus soluble dans l'alcool; soluble dans le chloroforme et l'acétone; insoluble dans l'éther; dévie à gauche et possède un pouvoir rotatoire d'environ — 52o.

-

Les autres sels sont rarement employés. Les plus connus sont le bromhydrate, le nitrate, C17H21AZO+HAZO3; le sulfate, (C17H21AzO1)2H2SO1, l'oxalate et le salicylate C17H21Az0*C ̃H603. 7. Essai du chlorhydrate de cocaïne. - Pour juger de la pureté du chlorhydrate de

cocaïne on aura recours aux réactions suivantes (CH. NITZBERg) :

1o Le produit pur, chauffé sur la lame de platine, doit brûler sans laisser de résidu. 2o Le poids du chlorhydrate ne doit pas diminuer si on le chauffe à 100o.

3o Le chlorhydrate doit se dissoudre dans l'acide sulfurique ou dans l'acide azotique sans se colorer.

4o Si l'on ajoute dans la solution acidulée de chlorhydrate de cocaïne quelques gouttes de permanganate de potasse, il ne doit pas y avoir décoloration.

5o Essai de MAC-LAGAN. On dissout 08,1 de chlorhydrate dans 87 centimètres cubes d'eau et l'on ajoute 3 gouttes d'ammoniaque; la solution doit rester claire ou donner un dépôt cristallin, tandis que, si la cocaïne était accompagnée d'isopropyl cocaïne, il y aurait un trouble blanc.

8. Réactions du chlorhydrate de cocaïne. suivants :

Les caractères principaux sont les

1° Amertume de la solution, avec sensation spéciale de chaleur, puis insensibilité de la langue;

2o Précipitation par l'ammoniaque et les alcalis fixes;

« PreviousContinue »