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Il existe, dit-on, une philosophie

Qui nous explique tout sans révélation,

Et qui peut nous guider à travers cette vie
Entre l'indifférence et la religion.

5 J'y consens. Où sont-ils, ces faiseurs de systèmes, Qui savent, sans la foi, trouver la vérité,

Sophistes impuissants qui ne croient qu'en eux-mêmes? Quels sont leurs arguments et leur autorité ?

L'un me montre ici-bas deux principes en guerre,
10 Qui, vaincus tour à tour, sont tous deux immortels;
L'autre découvre au loin, dans le ciel solitaire,
Un inutile Dieu qui ne veut pas d'autels.
Je vois rêver Platon et penser Aristote;

J'écoute, j'applaudis, et poursuis mon chemin.
15 Sous les rois absolus je trouve un dieu despote;
On nous parle aujourd'hui d'un dieu républicain.
Pythagore et Leibnitz transfigurent mon être.
Descartes m'abandonne au sein des tourbillons.
Montaigne s'examine, et ne peut se connaître.
20 Pascal fuit en tremblant ses propres visions.
Voltaire jette à bas tout ce qu'il voit debout.
Spinosa, fatigué de tenter l'impossible,

Cherchant en vain son dieu, croit le trouver partout.
Pour le sophiste anglais l'homme est une machine.
25 Enfin sort des brouillards un rhéteur allemand
Qui, du philosophisme achevant la ruine,
Déclare le ciel vide et conclut au néant.

Voilà donc les débris de l'humaine science!
Et, depuis cinq mille ans qu'on a toujours douté,
30 C'est là le dernier mot qui nous en est resté !
Ah! pauvres insensés, misérables cervelles,
Qui de tant de façons avez tout expliqué,

Pour aller jusqu'aux cieux il vous fallait des ailes;
Vous aviez le désir, la foi vous a manqué.

5

Je vous plains; votre orgueil part d'une âme blessée.
Vous sentiez les tourments dont mon cœur est rempli,
Et vous la connaissiez, cette amère pensée
Qui fait frissonner l'homme en voyant l'infini.
Eh bien! prions ensemble, abjurons la misère
De vos calculs d'enfants, de tant de vains travaux.
Venez, rhéteurs païens, maîtres de la science,
Chrétiens des temps passés et rêveurs d'aujourd'hui ;
Croyez-moi, la prière est un cri d'espérance!

Pour Dieu nous réponde, adressons-nous à lui.
que
Il est juste, il est bon; sans doute il vous pardonne.
Tous vous avez souffert, le reste est oublié.

Si le ciel est désert, nous n'offensons personne ;

Si quelqu'un nous entend, qu'il nous prenne en pitié!

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LE RHIN ALLEMAND.

Nous l'avons eu, votre Rhin allemand!

Il a tenu dans notre verre.

Un couplet qu'on s'en va chantant

Efface-t-il la trace altière

Du pied de nos chevaux marqué dans votre sang?

Nous l'avons eu, votre Rhin allemand.

Son sein porte une plaie ouverte,
Du jour où Condé triomphant

A déchiré sa robe verte.

Où le père a passé, passera bien l'enfant.

Nous l'avons eu, votre Rhin allemand.

Que faisaient vos vertus germaines,
Quand notre César tout-puissant
De son ombre couvrait vos plaines?
Où donc est-il tombé, ce dernier ossement?

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S'il est à vous, votre Rhin allemand,

Lavez-y donc votre livrée ;

Mais parlez-en moins fièrement.
Combien, au jour de la curée,

Étiez-vous de corbeaux contre l'aigle expirant!

Qu'il coule en paix, votre Rhin allemand;
Que vos cathédrales gothiques

S'y réflètent modestement;

Mais craignez que vos airs bachiques
Ne réveillent les morts de leur repos sanglant.

NOTES.

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328.-21. "Epicure" philosophe grec (341-270 av. J.-C.) qui faisait consister le souverain bien dans le plaisir, mais le plaisir dans la modération en toutes choses.

329.-16. "Quand"=quand même, even though.

25. Lucrèce, poète latin, disciple d'Epicure (51 av. J.-C.)

30-31. Ces vers sont souvent cités; c'est une allusion à la naissance

du christianisme.

330.-9. Allusion au manichéisme. Les deux principes sont le bien et le

mal.

12. Le pur déisme.

17. Pythagore, le philosophe grec, enseignant la transmigration des âmes. - Leibnitz, illustre philosophe allemand (1646-1716), chef de l'école optimiste dont la devise est: "Tout est pour le mieux dans ce meilleur des mondes."

18. Allusion à une doctrine de Descartes pour la formation des mondes.

20. Voir page 26.

21. Voir page 235.

22. Spinosa, philosophe panthéiste, né en Hollande (1632-1677).

24. Ce philosophe anglais traité de sophiste est Locke.

25. Il s'agit de Kant, un des plus fameux philosophes allemands dont les enseignements sont abandonnés peu à peu, malgré la vogue qu'ils ont eue longtemps.

331.-12. "Tous" all of you; prononcez TOUSS.

15. Cette pièce est en réponse à la fameuse chanson allemande, Der Wacht am Rhein, composée par le poète Becker vers 1840 et qui est devenue le chant national de l'Allemagne.

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831.-23. Allusion à la conquête de l'Alsace sous Louis XIV. Condé, "le grand Condé" (1621-1686), était le plus fameux général français du dix-septième siècle.

28. "Notre César," Napoléon.

332.— 4. “La curée." Lorsqu'un "noble" gibier succombait enfin, les chiens ou les faucons recevaient en récompense une partie du corps de la victime; c'était la curée. Les Allemands sont ici comparés à des corbeaux s'acharnant sur l'aigle expirant, Napoléon.

6. "Qu'il coule" let it flow.

9. "Airs bachiques" chansons que l'on chante en buvant.

QUESTIONS.

1. Comment peut-on caractériser Alfred de Musset?-2. Donnez les détails de sa vie?-3. Quelles sont ses meilleures poésies?-4. Ses qualités spéciales de style en vers et en prose?-5. Quels sont les sentiments exprimés dans les strophes citées ici?-6. Le poète peut-il s'en tenir aux doctrines d'Epicure?-7. Qu'est-ce qui épouvante sa raison?-8. Si tous ces désirs étaient satisfaits serait-il heureux? Pourquoi non?—9. Quels philosophes cite-t-il et que dit-il de chacun?-10. Quelle est sa conclusion?-11. Quelle est l'occasion et le sujet de la pièce Le Rhin Allemand?-12. Quels sont les idées et les sentiments qui y sont exprimés.

CHAPITRE IX.

VICTOR HUGO (1802-1885). SES EUVRES.

On pourrait presque dire de Victor Hugo qu'il a rempli le dixneuvième siècle de sa puissarte personnalité. Il est né quand

Ce siècle avait deux ans,

et il n'a cessé de produire jusqu'à sa mort, en 1885. Il s'est trouvé mêlé à toutes les luttes d'idées qui ont bouleversé ces années fécondes en progrès de toutes sortes; et, comme la pensée en définitive triomphe, il a en quelque sorte bon gré mal gré marqué de son sceau les jeunes générations auxquelles il a parlé. Critiqué acerbement, honni quelquefois, conspué par des adversaires passionnés, il n'a fait que grandir et tout dominer par la force du vrai génie.

Son talent est multiple. Au début, c'est le poète lyrique, à l'inspiration débordante, d'une richesse merveilleuse d'expression, sachant tout voir et tout peindre aux yeux. Il se crée un rhythme assoupli, libre de toute fausse entrave, se prêtant à tous les effets. La plupart de ses chants lyriques, tantôt éblouissants, tantôt remplis d'un charme penétrant, resteront certainement aussi longtemps que durera la langue française. La plupart, pas tous; parce que, comme on le peut comprendre dans une œuvre aussi considérable, il en est où le génie dépasse la mesure, force la note et devient par instants dur et inégal.

Les principales œuvres dans ce genre sont Odes et Ballades, les Orientales, les Feuilles d'Automne, les Chants du Crépuscule, les Voix intérieures, Contemplations, la Légende des Siècles (trois séries), l'Art d'être Grand Père, les Châtiments, etc.

Victor Hugo s'est aussi adressé au drame. Les tragédies qu'il a écrites en vers et en prose, ont eu, à leur époque, un succès retentissant. Il faut admettre qu'elles sont moins goûtées maintenant. Le poète les a écrites d'après un système qui ne plaît plus autant: c'était le temps de la lutte entre les classiques et les romantiques, lutte oubliée de nos jours. Victor Hugo prenait des situations vio'entes et en faisait un thème d'antithèses morales exprimées par

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