Page images
PDF
EPUB

[blocks in formation]

ANDRÉ CHÉNIER (1762-1794). IDYLLES ET ÉLÉGIES,

LA JEUNE CAPTIVE.

L'année même où Bernardin écrivait Paul et Virginie, André Chénier, né à Constantinople d'un père français et d'une mère grecque, revenait se fixer à Paris. Sa mère lui donna le goût de la poésie antique qu'il lisait naturellement comme sa langue maternelle. C'est ce parfum exquis d'antiquité qui fait le charme des Idylles et Elégies qu'il a laissées. Son œuvre en effet n'est pas complète; André Chénier fut guillotiné pendant la Révolution, trois jours avant la chute de Robespierre. C'est dans la prison même qu'il composa l'ode suivante, qui fut interrompue par l'appel du bourreau.

5

10

LA JEUNE CAPTIVE.

L'épi naissant mûrit de la faux respecté;
Sans crainte du pressoir, le pampre, tout l'été,
Boit les doux présents de l'aurore,

Et moi, comme lui belle et jeune comme lui,
Quoi que l'heure présente ait de trouble et d'ennui,
Je ne veux point mourir encore.

Qu'un stoïque aux yeux secs vole embrasser la mort,
Moi, je pleure et j'espère au noir souffle du nord,
Je plie et relève ma tête.

S'il est des jours amers, il en est de si doux!
Hélas! quel miel jamais n'a laissé de dégoûts!
Quelle mer n'a point de tempête?

5

10

15

L'illusion féconde habite dans mon sein;

D'une prison sur moi les murs pèsent en vain :
J'ai les ailes de l'espérance.

Échappée aux réseaux de l'oiseleur cruel,
Plus vive, plus heureuse, aux campagnes du ciel
Philomèle chante et s'élance.

Est-ce à moi de mourir ! Tranquille je m'endors,
Et tranquille je veille; et ma veille aux remords
Ni mon sommeil ne sont en proie.

Ma bienvenue au jour me rit dans tous les yeux,
Sur des fronts abattus mon aspect dans ces lieux

Ranime presque de la joie.

Mon beau voyage encore est si loin de sa fin!
Je pars, et des ormeaux qui bordent le chemin
J'ai passé les premiers à peine.

Au banquet de la vie à peine commencé
Un instant seulement mes lèvres ont pressé

La coupe en mes mains encore pleine.

Je ne suis qu'au printemps, je veux voir la moisson;
Et, comme le soleil, de saison en saison,
Je veux achever mon année.

Brillante sur ma tige et l'honneur du jardin,
Je n'ai vu luire encor que les feux du matin
Je veux achever ma journée.

;

O Mort! tu peux attendre ; éloigne, éloigne-toi;
Va consoler les cœurs que la honte, l'effroi,

Le pâle désespoir dévore.

Pour moi Palès encore a des asiles verts;

Les amours, des baisers; les Muses, des concerts:
Je ne veux pas mourir encore.

[blocks in formation]

IDYLLE:

LE JEUNE MALADE.

"Apollon, dieu sauveur, dieu des savants mystères, Dieu de la vie, et dieu des plantes salutaires, 5 Dieu vainqueur de Python, dieu jeune et triomphant, Prends pitié de mon fils, de mon unique enfant! Prends pitié de sa mère aux larmes condamnée, Qui ne vit que pour lui, qui meurt abandonnée Qui n'a pas dû rester pour voir mourir son fils; 10 Dieu jeune, viens aider sa jeunesse. Assoupis, Assoupis dans son sein cette fièvre brûlante Qui dévore la fleur de sa vie innocente.

Mon fils, tu veux mourir? Tu veux, dans ses vieux ans,
Laisser ta mère seule avec ses cheveux blancs?

15 Tu veux que ce soit moi qui ferme ta paupière ?
Que j'unisse ta cendre à celle de ton père?
C'est toi qui me devais ces soins religieux,
Et ma tombe attendait tes pleurs et tes adieux.
Parle, parle, mon fils, quel chagrin te consume?
20 Les maux qu'on dissimule en ont plus d'amertume.
Ne lèveras-tu point ces yeux appesantis ?

—Ma mère, adieu ; je meurs, et tu n'as plus de fils.
Non, tu n'as plus de fils, ma mère bien-aimée.
Je te perds. Une plaie ardente, envenimée,
25 Me ronge; avec effort je respire, et je crois
Chaque fois respirer pour la dernière fois.
Je ne parlerai pas. Adieu; ce lit me blesse,
Ce tapis qui me couvre accable ma faiblesse ;
Tout me pèse et me lasse. Aide-moi, je me meurs,
30 Tourne-moi sur le flanc. Ah! j'expire! ô douleurs.

-Tiens, mon unique enfant, mon fils, prends ce breuvage;
Sa chaleur te rendra ta force et ton courage.
La mauve, le dictame ont, avec les pavots,

Mêlé leurs sucs puissants qui donnent le repos :
Prends, mon fils, laisse-toi fléchir à ma prière ;
C'est ta mère, ta vieille inconsolable mère,
Qui pleure ; qui jadis te guidait pas à pas,
T'asseyait sur son sein, te portait dans ses bras;
Que tu disais aimer, qui t'apprit à le dire;
Qui chantait, et souvent te forçait à sourire
Lorsque tes jeunes dents, par de vives douleurs,
De tes yeux enfantins faisaient couler des pleurs.

5

10

-O côteaux d'Erymanthe! ô vallons! ô bocage!
O vent sonore et frais qui troublait le feuillage,
Et faisait frémir l'onde, et sur leur jeune sein
Agitait les replis de leur robe de lin!

15

De légères beautés troupe agile et dansante...

Tu sais, tu sais, ma mère? aux bords de l'Erymanthe,

Là, ni loups ravisseurs, ni serpent, ni poisons...

O visage divin! ô fêtes! ô chansons!

Des pas entrelacés, des fleurs, une onde pure,
Aucun lieu n'est si beau dans toute la nature!

NOTES.

Page Ligne

290.

1. Cette ode mélancolique fut faite pour Mlle de Coigny, retenue dans la même prison que Chénier, mais qui fut remise en liberté quelques jours après. Les paroles sont supposées prononcées par la jeune fille elle-même.

2. L'ordre est: respecté de la faux-Ne pas oublier les inversions en poésie:-Toute la pièce est remplie de comparaisons poétiques exprimant les jours de la jeunesse.

8. "Le pampre" pour: la vigne.

20

290.- 4. Métaphore antique pour: la rosée. L'aurore le point du jour. 6. "Quoi que..." en deux mots; wathever trouble and worry.

8. "Qu'un stoïque... vole" let a stoic... rush.

11. "S'il est"=s'il y a.

291.- 5. "Campagnes du ciel" the wide expanse of the skies.

6. "Philomèle" nom poétique pour: le rossignol. Philomèle, selon

la Fable, était fille d'un roi d'Athènes, métamorphosée en rossignol.

23. "Les feux" la lumière éclatante.

28. "Palès" déesse des bergers, dans la mythologie grecque. 292.- 5. "Vainqueur de Python," serpent monstrueux tué par Apollon, selon la Fable.

9. "Qui n'a pas dû" licence poétique pour: n'aurait pas dû. 293.-9. "Que tu disais aimer" tournure purement française pour: que tu disais que tu aimais.

13. "Erymanthe" montagne et rivière d'Arcadie dans l'ancienne Grèce.

QUESTIONS.

1. Quelles circonstances marquent la vie d'André Chénier? 2. Où et quand mourut-il?-3. A t-il laissé des œuvres complètes? 4. En quelle circonstance particulière a été écrite la Jeune Captive? 5. Citez les principales comparaisons que fait la jeune fille entre sa jeunesse et divers objets de la nature?—6. Quels sont les personnages de l'idylle le Jeune malade?—7. Qui parle? et qui est invoqué? pourquoi? 8. Que demande la mère? et que répond le fils?— 9. Quels souvenirs rappelle la mère?

Au dix-huitième siècle brillèrent encore d'excellents écrivains qui ont exercé une grande influence sur les esprits; il faut surtout citer les auteurs de l'Encyclopédie, DIDEROT (1713-1734) et D'ALEMBERT (1717-1783). Dans cet immense travail, le modèle de nos Encyclopédies modernes, on ne se proposait pas de donner des informations uniquement impartiales; il s'agissait aussi de battre en brèche les anciennes opinions et de développer les doctrines nouvelles et les idées modernes qui fermentaient dans tous les esprits. Grâce su talent extraordinaire des deux auteurs principaux, l'ouvrage qui

« PreviousContinue »