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faisait tous les cent ans un tour sur elle-même. « Cette pierre, dit Chevalier, consiste en une masse de rochers arrondis et d'environ trente pieds de circonférence, servant de base à une figure conique élevée par-dessus, composée de deux pierres taillées et dressées au ciseau pour porter juste et à plein l'une sur l'autre. Celle qui terminait le cône a été renversée; le reste subsiste.» La Franche-Comté a dù posséder un grand nombre de dolmens et de menhirs : si les vestiges du druidisme y sont assez rares de nos jours, il faut l'attribuer au zèle des chrétiens des premiers siècles, qui renversèrent et firent disparaître une multitude de ces monuments.

Les druides divisaient le temps par périodes de trente années le sixième jour de la lune commençait toujours chez eux le mois, l'année, le siècle; c'est ce jour qu'ils choisissaient pour célébrer les grandes solennités du culte. Les druides pensaient que les esprits invisibles et le monde visible étaient immortels, que l'eau et le feu étaient les deux agents suprêmes de la nature; ils enseignaient que les âmes entraient dans l'autre monde par la porte de la mort et revenaient dans celui-ci par la porte de la vie; qu'après la mort, l'âme passait dans tel ou tel corps, et que les plaisirs ou les peines de l'autre monde se mesuraient sur le bien ou le mal qu'on avait fait dans celui-ci. Ils enseignaient aussi que la vie d'un homme pouvait se racheter par la vie d'un autre homme; et cette monstrueuse croyance, qu'ils avaient enracinée dans les esprits, coûtait cher aux captifs, aux esclaves, aux malheureux : les puissants les sacrifiaient sans scrupule, pour se racheter. Et la manière dont on faisait mourir les victimes consacrées aux dieux était horrible dans quelque clairière d'une forêt on élevait un énorme mannequin en osier représentant une figure humaine, on le remplissait des êtres condamnés à périr, on entassait des combustibles autour de l'affreux colosse; un prêtre y mettait le feu en chantant, et les malheureux mouraient étouffés par les flammes !

Disons, à l'honneur du progrès, que dans le cours des deux derniers siècles avant l'ère chrétienne ces cruautés étaient devenues de moins en moins fréquentes: la civilisation romaine et le christianisme allaient les faire disparaître.

CHAPITRE DEUXIÈME.

Description de la Gaule par Jules César. Les Arvernes, les Éduens, les Séquanais.
Arvernes. Prétentions de suprématie des Éduens; rivalité des Séquanais.

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Défaite des Arioviste et ses

Suèves; leur portrait par Jules César. Reprise des hostilités. - Double défaite des Éduens.Puissance des Séquanais. Conduite d'Arioviste; ses exigences.

des Séquanais. - Défaite d'Amagétobrie. torix.

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Réconciliation des Éduens et

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Projets et menées d'Orgé

Emigration des Helvètes; leur passage par la Séquanie. Victoires de César sur les Helvètes. Situation de la Séquanie. Députation des Gaulois à César; attitude des députés séquanais. Arioviste et César. — César à Besançon; état et description de cette ville. - Panique de l'armée romaine. — César marche contre les Germains. — Défaite d'Arioviste. — Conduite de César en Séquanie après la défaite d'Arioviste. Soumission des Gaules. -César en Italie. Soulèvement des Gaules. — Massacre des Romains. - Vercingétorix, généralissime de l'insurrection. Son plan de campagne. — Retour de César. —Siége et prise d'Avaricum. — Echec de César devant Gergovie. — Enthousiasme des Gaulois. - Situation de César. — Victoire de César. - Siége d'Alise. Soumission de Vercingétorix; son attitude devant César. Mort de Vercingé

torix.

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Rome venait d'envoyer pour cinq ans dans la Gaule un proconsul qui allait en dix ans changer les destinées de la Gaule et de Rome: c'était Jules César. Cet homme, aussi grand écrivain que grand capitaine, nous a laissé sur le pays dont il devait faire sa conquête, un livre admirable qui s'ouvre par les lignes suivantes : « Toute la Gaule se divise en trois parties. L'une est habitée par les Belges, l'autre par les Aquitains, la troisième par ceux qui, dans leur langue, se nomment Celtes, et, en latin, Gaulois. Ces peuples diffèrent entre eux par le langage, les institutions, les mœurs. La Garonne sépare la Gaule proprement dite de l'Aquitaine; la Seine et la Marne la séparent des Belges. Les Belges commencent à l'extrémité septentrionale de la Gaule et confinent à la partie inférieure du cours du Rhin. L'Aquitaine va depuis la Garonne jusqu'aux Pyrénées, et jusqu'aux rives de l'Océan vers l'Espagne.» Dans cette description, aussi claire que laconique, on reconnaît la main heureuse de l'homme qui faisait avec ces trois mots : Je suis venu, j'ai vu, j'ai vaincu, le bulletin de sa campagne en Asie contre le fils de Mithridate. Si, en examinant la carte, on s'aperçoit que César n'a pas mentionné la Gaule Narbonnaise et le pays des Allobroges, c'est que ces contrées appartenaient alors aux Romains. Les Celtes ou Gaulois étaient partagés en vingt-deux tribus et se réunissaient en trois grandes confédérations, à la tête desquelles venaient les Séquanais, les Éduens, les Arvernes. Les Arvernes (Auvergnats) occupaient le vaste plateau compris entre la Loire, les Cévennes et la Garonne; leur capitale était Gergovie (Clermont) : ils comptaient pour clients les Rutènes (peuple du Rouergue), les Helves (Vivarais), les Vélaunes (Velai), les Gabales (Gévaudan), les Cadurces (Querci), les Nitiobriges (Agénois). Les Éduens (Bourguignons) s'étendaient entre le bas Allier, la moyenne Loire et la Saône; leur capitale était Bibracte (Autun) ils avaient pour clients les Bituriges (Berri), les Mandubiens (Auxois en Bourgogne), les Ambarres

(Charolais), les Ségusiens (Lyonnais et Forez). Les Séquanais avaient pour limites, à l'ouest la Saône, au sud le Rhône, au nord les Vosges, à l'est le Rhin et les montagnes du Jura; leur capitale était Vesuntio (Besançon), et leurs clients étaient les Latobriges (Sundgau), les Tulingiens (haute Alsace), les Rauraques (canton de Bâle). Le premier de ces trois peuples, les Arvernes, exerçait depuis longtemps dans la Gaule une prépondérance marquée; lorsque les Éduens, jaloux de cette prépondérance, projetèrent de la lui ravir. Par l'entremise des Massaliotes (Marseillais), les Éduens traitèrent avec le peuple romain, recurent de lui le titre fatal d'amis et frères et l'engagèrent à marcher contre les Arvernes leurs ennemis. Le peuple romain ne demandait pas mieux que de se mêler des affaires intérieures des Gaulois il attaqua donc les Arvernes, dans un combat terrible livré vers le confluent du Rhône et de l'Isère, et les défit complétement. Depuis ce jour, qui porta le coup le plus sensible à la puissance des Arvernes, les Éduens mirent tout en œuvre pour s'arroger la suprématie; mais il y avait un peuple qui gênait leurs prétentions et n'entendait pas leur céder la prééminence sans combattre : c'étaient les Séquanais; car si les Éduens ne voulaient point souffrir d'égaux, les Séquanais ne voulaient point souffrir de maîtres; si les premiers, enorgueillis de leur titre d'amis du peuple romain, se croyaient les plus forts, les seconds, alliés aux Arvernes leurs compatriotes, se croyaient les plus indépendants. Rivalités funestes dont une politique ambitieuse devait un jour faire son profit! Les Éduens, par leur orgueil et leur tyrannie, poussèrent à bout les Séquanais, et l'on en vint aux mains une première lutte ayant laissé la victoire indécise, les Séquanais accueillirent les propositions de paix qui leur furent faites de la part de la République romaine. La partie n'était qu'ajournée elle allait être gagnée par les Séquanais, mais au prix le plus fatal. Ceux-ci, voyant contre eux les Romains et les Massaliotes, se cherchèrent des alliés au delà du Rhin et gagnèrent, par l'appât d'une forte solde, le chef le plus renommé des Suèves, le célèbre Arioviste, qui promit de leur amener quinze mille de ses guerriers. « Les Suèves, dit César, sont de beaucoup la plus grande et la plus vaillante des nations germaniques: ils sont divisés en cent cantons, d'où sortent chaque année cent mille hommes pour aller en guerre, tandis que les autres cultivent les champs, et ceux-ci vont en guerre à leur tour l'an d'après. Les terres sont communes entre tous, et l'on n'habite jamais un même terrain plus d'un an. Les Suèves vivent moins de blé que de lait, de viande et de gibier. Ils ne portent d'autres vêtements que des peaux de bêtes, qui laissent à découvert la plus grande partie de leur corps. Ils vendent leur butin aux marchands étrangers, mais ne reçoivent presque rien du dehors, et ne souffrent pas qu'on introduise du vin chez eux, parce que le vin, pensent-ils, effémine les hommes. Ils regardent comme la plus belle gloire de leur nation d'avoir une large solitude et de vastes champs vides d'habitants autour de ses frontières : c'est la preuve que beaucoup de peuples n'ont pu soutenir l'effort de leurs armes.... >>

Voilà les redoutables auxiliaires que les Séquanais s'étaient choisis. Assurés du concours de ces géants presque nus, ils s'appuyèrent sur un motif plus spécieux que juste pour reprendre les armes un péage contesté sur la Saône, rivière qui formait la limite entre eux et les Éduens, devint l'objet du litige. Cette question,

que l'on eût résolue à l'amiable dans un temps ordinaire, s'envenima par l'intention où l'on était d'amener une rupture, et la guerre fut déclarée. Les Séquanais, réunis aux Arvernes, marchèrent vers la Saône et défirent les Éduens dans une bataille sanglante; mais les Éduens, plus irrités qu'humiliés de ce revers, rassemblèrent toutes leurs forces et se jetèrent sur le territoire des Séquanais. Ceux-ci, qui s'attendaient à cette invasion, avaient fait venir Arioviste et ses quinze mille guerriers. Arioviste prit le commandement général de l'armée séquano-suève; il attaqua les Éduens, qui s'étaient laissés attirer dans une position désavantageuse, et remporta sur eux une éclatante victoire, l'an 72 avant l'ère chrétienne : il avait détruit presque entièrement leur noblesse, leur cavalerie, leur sénat. Après ce grand désastre, les Éduens ne durent pas seulement renoncer à leurs prétentions de suprématie; il leur fallut satisfaire aux exigences du vainqueur. Ils furent obligés de se reconnaître tributaires d'Arioviste et clients des Séquanais, de livrer en otages les fils des principaux de leur nation, de s'engager par serment à ne jamais redemander ces otages, à ne jamais implorer l'assistance de la République romaine. Cette victoire assura la prépondérance des Séquanais dans la Gaule Celtique; elle leur donna l'alliance de plusieurs tribus, répandit au loin le renom de leurs armes, et fut accueillie avec un vif mécontentement par le peuple romain, le frère et l'ami des Eduens. Mais de courte durée devait être la joie des Séquanais : Arioviste était là pour leur apprendre ce qu'il en coûte toujours d'appeler l'étranger. Eux qui ne voulaient pas de maîtres, ils en voyaient surgir un dans leur allié de la veille, et, vainqueurs, ils allaient se trouver plus malheureux que leurs adversaires vaincus. Arioviste, au lieu de repasser le Rhin avec ses guerriers, s'était cantonné chez les Rauraques, clients des Séquanais; puis, quand on connut, au delà du Rhin, l'abondance et la fertilité de la Gaule, une multitude de Germains abandonnèrent leurs apres régions pour venir rejoindre les Suèves. Alors Arioviste somma les Séquanais de lui céder, à titre de solde, le territoire qu'il occupait dans la Rauracie, les menaçant de porter les armes chez eux s'ils lui refusaient sa demande. Les Séquanais, contraints de dissimuler, et reconnaissant trop tard qu'ils avaient attiré dans leur pays un ennemi plus redoutable pour leur indépendance que les Romains dont ils craignaient la protection, se soumirent aux exigences d'Arioviste; mais, lorsqu'ils virent le chef barbare demander pour d'autres bandes germaines un tiers de leur propre territoire à eux, ils s'indignèrent la communauté de misères les rapprocha des Éduens. Les deux peuples oublièrent leur funeste inimitié, se réconcilièrent et marchèrent ensemble contre les Suèves un autre qu'eux devait vaincre Arioviste. Le chef suève, retranché dans les marais de la Saône, s'y tint pendant plusieurs mois sans vouloir engager la partie : il attendait une occasion favorable, et, celle-ci s'étant présentée, il la saisit habilement, assaillit à l'improviste les forces éduo-séquanaises, les mit en pièces, les écrasa. Cette sanglante défaite eut lieu près d'Amagétobrie (aujourd'hui Broie-les-Pesmes), au confluent de la Saône et de l'Ognon; elle jeta les deux peuples épuisés sous le joug d'Arioviste, qui dès lors ne connut plus de limites à ses exigences: il se fit livrer, avec le tiers des terres séquanaises, les armes des vaincus; il prit en otages les enfants des plus nobles familles, imposa sa tyrannie à tous et procéda par des supplices au moindre mouvement qui contrariait

ses volontés ou ses ordres. Roi nomade de ces contrées, il promenait ses tentes de la Saône au Jura.

Cependant les succès d'Arioviste avaient éveillé l'ambition d'un peuple voisin : les Helvètes (Suisses). Ceux-ci, dont le pays était presque inculte, voulurent à leur tour devenir conquérants, et ils résolurent d'abandonner leurs arides montagnes, pour passer dans les plaines occidentales de la Gaule. Ils s'associèrent plusieurs peuplades voisines du Rhin, se choisirent des chefs et commencèrent leurs préparatifs de départ. Un incident vint retarder quelque temps l'exécution de ce grand projet. Le chef de l'expédition, Orgétorix, qui le premier avait excité ses compatriotes à quitter leur étroit territoire, conçut la pensée de profiter des circonstances pour usurper l'autorité souveraine, c'est-à-dire de se faire nommer roi des contrées que les siens allaient conquérir. Afin de mieux assurer la réussite de ses vues ambitieuses, Orgétorix noua des intelligences avec deux autres grands personnages de la Gaule, l'Éduen Dumnorix et le Séquanais Castic; il les mit dans ses intérêts en flattant leurs espérances: il promit à Castic, dont le père Catamantalède avait autrefois régné sur la Séquanie, de l'aider à reconquérir ce titre; à Dumnorix, dont l'ambition visait secrètement à la royauté, de l'aider à se faire roi des Éduens, et pour mieux s'attacher ce dernier, il lui donna sa fille en mariage. Lui, Orgétorix, devait être monarque suprême de la Gaule et s'établir dans le territoire des Santons (la Saintonge). Mais les magistrats de la fédération helvétique eurent des soupçons sur les projets d'Orgétorix; ils s'emparèrent de sa personne et le mirent en accusation comme aspirant à la royauté. La loi du pays condamnait au supplice du feu celui que l'on reconnaissait coupable d'avoir rêvé l'autorité souveraine. Au jour fixé pour le procès, l'accusé fit comparaître devant le tribunal ses clients, ses serviteurs et ses amis, le tout présentant un chiffre de plus de dix mille personnes, et il parvint avec leur secours à se soustraire au jugement. L'audace de ses amis ne le sauva pas. Les magistrats appelèrent aux armes le reste de la nation, et le coupable Orgétorix, se sentant le plus faible, se donna la mort. Cet événement ne fit pas abandonner aux Helvètes leur projet d'émigration. Lorsqu'ils eurent achevé leurs préparatifs et rassemblé force chariots, attelages, chevaux, armes, vivres, ils se mirent en marche, au nombre de trois cent soixante-huit mille, dont quatre-vingt-douze mille combattants; puis, pour s'ôter la possibilité du retour, ils détruisirent tout ce qu'ils ne pouvaient emporter, ils enterrèrent les blés, ils livrèrent aux flammes leurs douze villes et leurs quatre cents villages! Tel fut l'adieu qu'ils laissèrent à leur pays. En nos jours de civilisation, un acte comme celui-là serait de la sauvagerie; mais si on le juge d'après les mœurs de ces temps barbares, on se surprend à le trouver presque héroïque à force de témérité : cette résolution de tout un peuple qui se sent l'énergie de se fermer par de semblables moyens le chemin du pays natal et qui se condamne à n'avoir plus de patrie qu'au prix de la lutte et du sang, une telle résolution porte avec elle un caractère de grandeur étrange qui frappe l'imagination.

Les émigrants n'avaient que deux chemins pour sortir de leurs montagnes : l'un, par le territoire des Séquanais, entre le Rhône et le Jura; c'était le pas de la Cluse, défilé difficile et très-étroit, où l'on pouvait à peine faire passer un chariot. L'autre chemin, plus court et plus aisé, traversait la Province romaine. Les Helvètes se dé

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